Les azutants optiques

Les azurants optiques(Zweidler and Hefti 1954; Anliker and Müller 1975; Ciba-Geigy 1994; Dubreuil 1994; Werthemann and Kaschig 1994; Dubreuil 1995; Werthemann and Kaschig 1995)

1. Aspect historique et psychologique(Anliker and Müller 1975)

a. « Le blanc et le fluorescent »

Le blanc est par définition la couleur achromatique lumineuse par opposition au noir qui est la couleur achromatique sombre. D'un point de vue physique, le blanc idéal est par convention celui obtenu avec le sulfate de baryum ou l'oxyde de magnésium qui ont une réflexion de 100 %. Par expérience, si on a le choix entre deux blancs d'égale luminosité, celui qui présente une couleur un peu jaunâtre apparaît toujours moins blanc que celui qui a une couleur bleu-violette. La raison est purement subjective. En fait, le bleu et le blanc sont des couleurs « froides » alors que le jaune est une couleur « chaude ». Le jaune est donc antagoniste du blanc. Un sondage réalisé auprès de près de 2000 personnes a montré qu'un blanc fluorescent était considéré par la majorité des personnes interrogées (95 %) comme plus blanc qu'un neutre car le stimulus généré par la fluorescence est sans doute plus grand. Aussi le blanc fluorescent est préféré par une grande majorité des sondés (82 %).

b. La découverte des azurants optiques

Depuis toujours, l'homme a recherché à augmenter la brillance des objets qu'il utilise, et plus particulièrement les vêtements. Il a donc toujours recherché des procédés de blanchiment. Depuis la découverte de Krais (Krais 1929) en 1929 démontrant qu'une substance naturelle « l'esculine » pouvait être fixée sur des vêtements pour augmenter leur blancheur, de nombreux progrès dans l'industrie des azurants optiques ont été réalisés.

Figure I-5 : Structure de l'esculine.

En effet, les limites de l'efficacité de l'esculine sont très vite apparues en raison de sa fragilité à la lumière. La synthèse de substances plus efficaces a alors été explorée. Il a fallu pourtant attendre 1940 pour que des azurants optiques efficaces soient découverts tels les dérivés de l'acide 4,4'-diamino stilbène-2,2 disulfonique qui constituent aujourd'hui encore la famille la plus importante d'azurants optiques utilisés industriellement.

c. Nomenclature

Cette nouvelle classe de composés a été appelée « optical (ou fluorescent) bleaching agents » en anglais pour ne pas les confondre avec les « chemical bleaching agents ». Ces deux appellations ont été introduites pour bien distinguer les réactifs qui peuvent apporter un surcroît de blancheur et ceux qui éliminent les molécules colorées. Aujourd'hui, ces composés sont plus connus sous le nom de « Fluorescent Whitening Agents » (FWAs). En français, on les appelle « agents d'azurage optique » ou « azurants optiques ».

2. Principales structures des azurants optiques(Zweidler, Geigy et al. 1969; Venkataraman 1971; Dorlars, Schellhammer et al. 1975)

a. Les azurants optiques peuvent être classés selon six structures différentes

La liste qui suit présente la structure des principaux dérivés utilisés dans l'industrie.
  1. (Ai) les dérivés du stilbène substitués par des groupes aromatiques (ou distyrylbiphényle) tel que le Tinopal SK,
  2. ou hétéroaromatiques (hétérocycliques),
  3. (Aii) les acides 4,4'-diaminostilbène-2,2'disulfoniques acylés par des dérivés de l'acide cyanurique,
  4. (B) les composés de type coumarine ou carbostyryle,
  5. (C) les 1,3-diphényl-2-pyrazolines,
  6. (D) les naphtalimides,
  7. (E) les dérivés du benzoxazole substitué,
  8. (F) les composés comportant des groupes héteroaromatique, éthylénique ou aromatique.

b. Principales utilisations des azurants optiques

En fonction du type de substrat, les industriels utilisent différents azurants optiques.Tableau I-2 : Principales utilisations des azurants optiques (Anliker and Müller 1975).

c. Les azurants optiques utilisés en papeterie

Les principaux azurants optiques utilisés dans l'industrie du papier sont les acides 4,4'-diaminostilbène-2,2'disulfoniques acylés par des dérivés de l'acide cyanurique ainsi que les dérivés du stilbène substitués par des groupements aromatiques que nous noterons respectivement diaminostilbène et distyrylbiphényle. La Figure I-6 présente les principaux dérivés de l'acide 4,4'-diaminostilbène-2,2'disulfonique utilisés en papeterie.

Figure I-6 : Les principaux dérivés de l'acide 4,4'-diaminostilbène-2,2'disulfonique utilisés en papeterie.

Ce sont les dérivés de s-triazinyle (dérivés de la s-triazine substituée) qui prédominent, dont les substituants R1, R2, R3 et R4 laissent une certaine marge de manoeuvre pour des variations chimiques.

Leur solubilité dans l'eau est assurée par incorporation de groupes sulfonés (-SO3H). A ce titre, les azurants optiques pour papier sont comparables aux colorants directs. Le nombre de groupes sulfonés présents dans la molécule d'azurant constitue un critère général de classification, et l'on peut ainsi distinguer les différents types suivants :

L'affinité des azurants optiques pour la cellulose dépend principalement du nombre de groupements sulfonés qu'ils comportent. Le choix entre ces différents composés est essentiellement défini par le stade d'introduction de l'azurant optique (size press, couchage). Les papetiers choisiront alors un type d'azurant optique plutôt qu'un autre.

d. Affinité pour les fibres cellulosiques

Comme tous les azurants optiques possèdent des groupes sulfonés pour assurer leur solubilité, ces dérivés présentent un caractère anionique. En milieu aqueux, les fibres cellulosiques possèdent également une surface chargée plus ou moins négativement qui dépend, entre autres, de la proportion de groupes anioniques présents dans la matrice. Lorsque la fibre cellulosique de charge négative entre en contact avec l'azurant de charge également négative, dans une solution aqueuse exempte d'électrolyte, il se produit tout d'abord une répulsion qui augmente au fur et à mesure que les deux systèmes se rapprochent (Figure I-7). Cette répulsion gène et peut même empêcher le rapprochement entre la molécule d'azurant optique et la cellulose préalablement à l'intervention des forces de Van der Waals ou des liaisons hydrogène. On explique ainsi la faible affinité des azurants pour la cellulose en eau douce. Afin de minimiser l'effet de la répulsion électrostatique, il est nécessaire d'ajouter des électrolytes inorganiques tels que les ions Ca2+ ou Mg2+.

Figure I-7 : Répulsion et attraction des azurants optiques à la surface de la fibre de cellulose.

Il est clair que si le nombre de groupes sulfonés dans la molécule d'azurant est important, la solubilité va augmenter et l'affinité pour les fibres de cellulose diminuer. Aussi les azurants de type disulfonique, bien que moins solubles, ont suffisamment d'affinité pour être appliqués en eau douce.

d. Limitation

La quantité d'agent d'azurage optique ne peut pas être augmentée à l'infini. En effet, la courbe représentant la fluorescence en fonction de la quantité d'azurant optique atteint un maximum au delà duquel la fluorescence n'augmente plus. Cette limite correspond à la formation d'agrégats de molécules d'azurants lorsque tous les sites à la surface de la fibre sont occupés. De plus, les molécules d'azurants peuvent absorber la lumière incidente en particulier dans le domaine bleu violet. Il en résulte un « virage au vert » qui correspond à un verdissement des fibres visible à l'oeil nu.

e. Indice de fluorescence(Doshi 1995)

L'indice de fluorescence correspond à la différence entre la réflexion avec et sans filtre UV. Cette différence doit correspondre à la participation de la fluorescence à l'émission de lumière.

Indice Fluorescence = IF = DB

DB = (brillance sans filtre UV)-(brillance avec filtre UV).

Ce sont ces indices qui sont actuellement utilisés pour déterminer la quantité d'azurant optique présent au sein des papiers.

3. Propriétés des azurants optiques(Anliker and Müller 1975)

a. Propriétés physiques

La propriété fondamentale des substances colorées est de pouvoir absorber la radiation lumineuse à un endroit précis du spectre UV-visible. Les matières non colorées telles que les textiles et les papiers, présentent une forte réflexion car la lumière est dispersée au niveau de chaque brin des fibres, alors qu'un colorant rouge par exemple absorbe la majeure partie du bleu, vert et jaune. Sur la Figure I-8 nous avons schématisé les principaux processus qui peuvent se dérouler lorsqu'un photon est absorbé.

Figure I-8 : Mécanismes d'excitation et de désactivation (A : absorption, F : fluorescence, P : phosphorescence, T : désactivation thermique et I : interaction).

Lorsqu'un photon est absorbé par une molécule, son énergie est transférée à la molécule et est utilisée pour faire passer un électron de l'état fondamental (S0) jusqu'à un état excité S1. Ces niveaux d'énergie sont appelés état singulet. Seul un photon d'énergie correspondant à la différence d'énergie entre les états S1 et S0 peut faire passer un électron d'un état fondamental S0 à un état excité S1. On peut associer à cette énergie une longueur d'onde l inversement proportionnelle à cette énergie selon la loi de Planck :

h est la constante de Planck et c la vitesse de la lumière. La molécule excitée peut retourner à son état fondamental suivant différents processus : thermique, désactivation chimique, fluorescence ou phosphorescence. La désactivation thermique ou chimique se déroule sans émission lumineuse à l'inverse des deux autres modes de désactivation. Dans tous les cas, la première étape (10-12 s) correspond à la perte de l'énergie de vibration par collision avec les molécules voisines. Il y a ensuite trois possibilités, soit l'électron retourne directement à l'état fondamental S0, soit il est transféré dans un état métastable T1 (état triplet) en empruntant deux voies différentes pour retourner à l'état fondamental. La fluorescence correspond à la redescente de l'électron de l'état singulet S1 à l'état fondamental S0 dans un temps de 10-9 à 10-8 s sans passer par l'état métastable T1. Il faut noter toutefois, que l'énergie correspondant à la réémission d'un photon est plus faible que l'énergie d'excitation car cette dernière perd de l'énergie par voie thermique (loi de Stokes). La phosphorescence correspond au passage de l'électron de l'état triplet T1 vers l'état fondamental S0 soit directement soit par passage par S1. Le temps pendant lequel la molécule émet un rayonnement lumineux est dans ce cas assez long car il dépend du temps de vie de l'état triplet (de l'ordre de la seconde). Le rendement quantique pour une molécule donnée correspond au nombre de photons émis par rapport au nombre de photons absorbés. Un bon azurant optique doit avoir un rendement quantique le plus proche possible de 1.

b. Isomérie cis-trans

Du fait de la présence d'une ou de deux doubles liaisons, les azurants optiques peuvent exister sous forme de plusieurs isomères. Pour les dérivés de type diaminostilbène il existe les formes cis et trans et pour les dérivés de type distyrylbiphènyle les formes cis-cis, cis-trans, trans-trans et trans-cis. Il faut toutefois remarquer que seules les formes trans fluorescent (formes (E)-diaminostilbène ou (E, E) distyrylbiphényle). Nous avons représenté sur la Figure I-9, les équilibres entre les formes cis et trans et cis-cis, cis-trans avec entre parenthèses les rendements quantiques correspondants(Werthemann and Kaschig 1994).

Figure I-9 : Rendements quantitatifs des réactions de photo-isomérisation des principaux types d'azurants optiques sur le marché (Rendement quantique).

4. Contribution des azurants optiques à la blancheur des matériaux(Anliker and Müller 1975)

Comme nous l'avons mentionné précédemment, les colorants absorbent et réfléchissent tout à la fois dans le spectre visible, les azurants optiques absorbent dans l'ultra-violet et réémettent la lumière dans la partie bleue à bleu violette du spectre visible. Les azurants optiques ont donc la faculté de transformer en lumière visible l'énergie absorbée dans l'UV, et contribuent ainsi à l'augmentation de la luminosité. La cellulose non blanchie absorbe une partie de la lumière visible dans le domaine des faibles longueurs d'onde (400-460 nm). L'absorption dans cette région fait que la cellulose apparaît plus ou moins jaunâtre. Cette teinte jaune (déficience en bleu) provenant le plus souvent d'impuretés (incrustations) absorbant la lumière peut être atténuée par blanchiment chimique mais n'est pas totalement supprimée. Il est possible de compenser cette teinte par un léger nuançage à l'aide d'un colorant bleu, la teinte corrigée est alors plus blanche à l'oeil mais également moins lumineuse. Les azurants optiques reflètent par fluorescence un surplus de lumière dans le spectre bleu à bleu violet. Ainsi, un échantillon traité avec un azurant optique paraît non seulement plus blanc, mais également plus lumineux (Figure I-10).

Figure I-10 : Action des azurants optiques sur le papier.

Lors de l'interaction d'un azurant optique avec la lumière incidente, les conditions suivantes doivent être remplies :

C. BIBLIOGRAPHIE


Anliker, R. and G. Müller (1975). Fluorescent Whitening Agents. Stuttgart, Academic Press.

 Ciba-Geigy (1994). Emploi d'azurants optiques dans l'industrie papetière.

 Dorlars, A., C.-W. Schellhammer, et al. (1975). "Heterocycles as Structural Units in New Optical Brighteners." Angewandte Chemie, International Edition in English 14(10): 665-679.

 Doshi, M. R. (1995). "Optical Properties of Paper: Color Stripping and Fluorescent Indices." Progress in Paper Recycling 4(3): 86-89.

 Dubreuil, M. (1994). "How Does the Presence of Optical Brighteners in Recycled Fibers Affect Paper Optical Properties?" Progress in Paper Recycling: 96-100.

 Dubreuil, M. (1995). "Introducing to Fluorescent in Fiber Recycling." Progress in Paper Recycling 101: 98-108.

 Krais, P. (1929). "Uber ein neues Schwarz und ein neues Weis." Textilberichte 10: 468-469.

 Venkataraman, K. (1971). The Chemistry of Synthetic Dyes. New York, Academic Press.

 Werthemann, D. P. and J. Kaschig (1994). The envirenmental Fate of Fluorescent Whitening Agents. Appita '94, Appita.

 Werthemann, D. P. and J. Kaschig (1995). "Le sort environnemental des azurants optiques." La Papeterie(189): 28-33.

 Zweidler, R., J. R. Geigy, et al. (1969). "Einführung in die Chemie der optischen Aufheller." Textilveredlung 4(2): 75-87.

 Zweidler, R. and H. Hefti (1954). Brighteners, Fluorescent. Kirk-Othmer Encyclopedia of chemical technology. T. I. Encyclopedia. New York. 4: 213-226.

 
 
 
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