Rubaiyat - Quatrains
XXI. Quand suis-je né? Quand mourrai-je? Aucun homme ne peut évoquer le jour
de sa naissance et désigner celui de sa mort. Viens, ma souple bien-aimée! Je veux
demander à l'ivresse de me faire oublier que nous ne saurons jamais.
XXII. Khayyâm, qui cousait les tentes de la Sagesse, tomba dans le brasier de la
Douleur et fut réduit en cendre. L'ange Azraël a coupé les cordes de sa tente. La
Mort a vendu sa gloire pour une chanson.
XXIII. Pourquoi t'affliges-tu, Khayyâm, d'avoir commis tant de fautes! Ta tristesse
est inutile. Après la mort, il y a le néant ou la Miséricorde.
XXII. La vie n'est qu'un jeu monotone où tu es sûr de gagner deux lots: la
douleur et la mort. Heureux, l'enfant qui a expiré le jour de sa naissance! Plus
heureux, celui qui n'est pas venu au monde!
XL. Le vent du sud a flétri la rose dont le rossignol chantait les louanges. Faut-il
pleurer sur elle ou sur nous? Quand la Mort aura flétri nos joues, d'autres roses
s'épanouiront.
LVIII. Les rhéteurs et les savants silencieux sont morts sans avoir pu s'entendre sur
l'être et le non-être. Ignorants, mes frères, continuons de savourer le jus de la
grappe, et laissons ces grands hommes se régaler de raisins secs.
LIX. Ma naissance n'apporta pas le moindre profit à l'univers. Ma mort ne
diminuera ni son immensité ni sa splendeur. Personne n'a jamais pu m'expliquer
pourquoi je suis venu, pourquoi je partirai.
LXVII. Je ne crains pas la mort. Je préfère cet inéluctable à l'autre qui me fut
imposé lors de ma naissance. Qu'est-ce que la vie? Un bien qui m'a été confié
malgré moi et que je rendrai avec indifférence.
LXXXVII. Il y alongtemps que ma jeunesse est allée rejoindre tout ce qui est mort.
Printemps de ma vie, tu es maintenant où sont les printemps passés. Ô ma
jeunesse, tu es partie sans que je m'en aperçoive! Tu es partie comme s'abolit,
chaque jour, la douceur du printemps.
LXXXIX. Aspirer ici-bas à la paix: folie. Croire au repos éternel: folie. Après ta
mort, ton sommeil sera bref, et tu renaîtras, dans une touffe d'herbe qui sera
piétinée ou dans une fleur que le soleil flétrira.
XC. Je me demande ce que je possède vraiment. Je me demande ce qui subsistera
de moi après ma mort. Notre vie est brève comme un incendie. Flammes que le
passant oublie, cendres que le vent disperse: un homme a vécu.
XCIII. Écoute ce grand secret. Quand la première aurore illumina le monde, Adam
n'était déjà qu'une douloureuse créature qui appelait la nuit, qui appelait la Mort.
CI. Que sont devenus tous nos amis? La Mort les a-t-elle renversés et piétinés? Que
sont devenus tous nos amis? J'entends encore leurs chansons dans la taverne...
Sont-ils morts, ou sont-ils ivres d'avoir vécu?
CXXXIV. Las d'interroger vainement les hommes et les livres, j'ai voulu
questionner l'urne. J'ai posé mes lèvres sur ses lèvres, et j'ai murmuré: "Quand je
serai mort, où iraije?", Elle m'a répondu: "Bois à ma bouche. Bois longtemps. Tu
ne reviendras jamais ici-bas."
CXXXV. Si tu es ivre, Khayyâm, sois heureux. Si tu contemples ta bien-aimée aux
joues de rose, sois heureux. Si tu rêves que tu n'existes plus, sois heureux, puisque
la mort est le néant.
CXLI. Contente-toi de savoir que tout est mystère: la création du monde et la
tienne, la destinée du monde et la tienne. Souris à ces mystères comme à un danger
que tu mépriserais. Ne crois pas que tu sauras quelque chose quand tu auras franchi
la porte de la Mort. Paix à l'homme dans le noir silence de l'Au-Delà!
CXLVI. Serviteurs, n'apportez pas les lampes puisque mes convives, exténués, se
sont endormi. J'y vois suffisamment pour distinguer leur pâleur. Étendus et froids,
ils seront ainsi dans la nuit du tombeau. N'apportez pas les lampes, car il n'y a pas
d'aube chez les morts.
CLIII. Puisque notre sort, ici-bas, est de souffrir puis de mourir, ne devons-nous
pas souhaiter de rendre le plus tôt possible à la terre notre corps misérable? Et notre
âme, qu'Allah attend pour la juger selon ses mérites, dites-vous? Je vous répondrai
là-dessus, quand j'aurai été renseigné par quelqu'un revenant de chez les morts.
CLVII. Regarde autour de toi. Tu ne verras qu'afflictions, angoisses et désespoirs.
Tes meilleurs amis sont morts. La tristesse est ta seule compagne. Mais, relève la
tête! Ouvre tes mains! Saisis ce que tu désires et ce que tu peux atteindre. Le passé
est un cadavre que tu dois enterrer.
CLXIX. Silence, ma douleur! Laisse-moi chercher un remède. Il faut que je vive,
car les morts n'ont plus de mémoire. Et je veux revoir sans cesse ma bien-aimée!
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