Retour aux origines

Jean-François Ducharme (1).

« Lorsqu’il m’a semblé que je pouvais commencer à faire part de pensées, de réflexions voire surtout de questions qui m’eussent inutilement encombré si j’avais dû les garder par devers moi, c’était autant pour m’en débarrasser que pour voir si et comment elles me feraient retour, en d’autres termes si elles ne pouvaient pas éventuellement devenir l’objet d’un travail, d’une élaboration plutôt que d’un ressassement perpétuel, disons l’occasion d’une rencontre, voire d’une trouvaille » - François Peraldi, La Jouissance de Kali (1985a, p. 197).

Introduction.

Peraldi est décédé en 1993 et, il y a quelques mois, eut lieu à Montréal un colloque en son honneur. Je voudrais dans ce qui suit joindre ma modeste voix à tous ceux qui, lors de cette journée et depuis son décès, ont voulu lui rendre hommage.

Une précision s’impose : je ne fais pas partie des anciens collègues de Peraldi, ni de ses anciens analysants, pas plus que de ceux qui ont assisté à son séminaire.

En fait, Peraldi m’est inconnu au sens où je l’ai jamais rencontré, n’ai vu de lui qu’une seule et unique photo et si je sais que ceux qui l’ont fréquenté aiment se remémorer sa voix, celle-ci ne s’est jamais rendue à mes oreilles.

Pourtant, ses écrits ont eu une grande influence sur ce que je pourrais appeler un peu pompeusement mon « parcours analytique ». C’est ce dont je voudrais témoigner dans les pages qui suivent en soulignant certaines originalités de son travail, du moins, celles qui m’ont le plus interpellé, et en relançant quelques unes de ses assertions les plus passionnées.

Le travail qui suit est divisé en quatre sections qui représentent, à mon avis, autant d’axes de lecture de son œuvre. Soit :

Son intérêt pour l’institution et sa propension à « penser contre » la psychiatrie.

Sa préoccupation pour les origines et la rencontre avec « das Ding ».

Ses avancées vers le « réel du sexe » et les sous-cultures.

Ses réflexions autour du milieu analytique.

1) L’institution et le penser contre.

Une partie des travaux de Peraldi, particulièrement ceux publiés entre 1976 et 1981, est consacrée à l’étude du fonctionnement de ce vaste champ qu’est celui de la « santé mentale ». Peraldi se promène en terre connue puisque, on le sait, il œuvrera en France, puis au Québec dans divers centres psychiatriques en tant que psychanalyste chargé d’analyse institutionnelle.

Une première prémisse, fondamentale, soutient toute sa réflexion : la « santé mentale » ne se situe pas dans un espace où le politique est absent et il faut donc faire de cette donne un critère essentiel de l’analyse. Dit autrement, toute institution ne peut être pensée en dehors du système (capitaliste ou autre) dans lequel elle se perpétue et, en conséquence, une lecture de son fonctionnement doit déterminer les lieux où se loge le pouvoir, les intérêts qu’il cherche à protéger et les moyens qu’il utilise pour s’assurer de rencontrer ses buts.

Peraldi analyse donc les divers lieux chargés de s’occuper de la « santé mentale » avec, dans son attirail, une théorie sur le Pouvoir et ses Appareils qu’il emprunte à Louis Althusser, dont, manifestement, il est un lecteur attentif. Sa lecture garde le cap sur les inégalités sociales, les exploitations et les abus de pouvoir, avec, en guise de munitions, une articulation des moyens de maintien et de renforcement des conditions de productions capitalistes (idéologie, répression brutale, surveillance, etc.).

Un psychanalyste qui se préoccupe de la lutte des classes, il faut bien le dire, ce n’est pas banal (et pourquoi donc au fait?). Peraldi ne se veut pas neutre, encore moins bienveillant, et le fameux credo/alibi psychanalytique se voit définitivement mis au rancart. À ce propos, une vérité de La Palisse vaut la peine d’être répétée: lorsqu’il est question pour un psychanalyste de se prononcer sur un phénomène social, c’est-à dire, dans un sens très large, ce qui se passe en dehors de son cabinet, la neutralité bienveillante n’est jamais « neutre ». Elle est toujours une manifestation de soutien plus ou moins tacite au Pouvoir.

Il m’importe dans les lignes qui suivent de faire ressortir la position de Peraldi face à un pouvoir spécifique, celui qui, dans le lucratif marché de la « santé mentale » règne en roi et maître : le pouvoir psychiatrique.

Peraldi ne se satisfait pas d’une simple élaboration de ce qui distingue la psychiatrie de la psychanalyse, ce qui, au demeurant, n’est pas sans avoir reçu des échos de ses contemporains. Il franchit un pas supplémentaire et se compromet dans un terrain beaucoup moins fréquenté, celui de la critique, dure et implacable, du pouvoir psychiatrique et de ce qu’il représente. Seule alternative à un assommant assujettissement, Peraldi conteste et récuse les fondements sur lesquels la psychiatrie s’appuie et, de même, son efficace. Ses arguments, énoncés avec une clarté peu commune, ne peuvent manquer d’ébranler certaines certitudes.

Sur les visées de la psychiatrie, il écrira dans un article publié dans le journal le Devoir, en 1977a :

« (La psychiatrie)…n’a nullement pour fonction essentielle de guérir, les statistiques ne cessent depuis vingt ans de le répéter jusqu’à nausée- mais bien plutôt de participer à l’assujettissement idéologique de concert avec d’autres appareils du pouvoir (…) afin que soit assurée la reproduction de la force du travail, l’une des conditions essentielles de la reproduction des moyens de production propres à la société capitaliste ».

Selon Peraldi, la psychiatrie travaille au maintien des conditions de production capitalistes et à leur renforcement de trois manières, grâce à l’idéologie, à la répression brutale et à la surveillance. Je voudrais relever deux composantes de cette idéologie que Peraldi dénonce, soit a) la conception médicale de la Folie et b) ce qu’il nomme la condamnation de la mort par le pouvoir médical » (2).

a) La critique que formule Peraldi envers la psychiatrie – et tout le réseau qui la soutient - va de pair avec une conception de la folie et du fou qui, si elle ne date pas d’hier, tranche encore trop avec ce que réclame la doxa.

Commençons par la négative en disant que le fou n’est pas autre, étranger, ailleurs, un objet de curiosité ou de pitié qui rassure sur notre normalité. Le fou n’est pas un objet qui doit être traité par une confortable médication et une non moins confortable thérapie « de soutien ». Le fou n’est pas un objet défectueux, proie au défaut d’une allusive synapse, dont une recherche toujours plus à la fine pointe de la technologie indiquerait, à défaut de sa localisation ou de sa propriété, ce qui devrait tenir lieu de solution médicamenteuse; solution dont le brevet appartient, par le plus heureux des hasards, à la compagnie pharmaceutique qui finance ladite recherche.

Il convient bien mieux d’aborder la folie avec la perspective que le fou n’est que le lieu de fixation ou le symptôme manifeste d’une folie qui lui vient d’ailleurs, par déplacement, de ses proches où de l’institution qui le soigne. Le fou est souvent pour les autres un « garde fou » et la clinique montre bien comment son amélioration peut provoquer, chez ceux qui l’entourent, de profondes instabilités. La folie est un effet de l’inconscient et sa résolution ne dépend donc que la possibilité du démasquage de l’inconscient et des mécanismes qui s’y rattachent (1978a).

Ces considérations feront dire à Peraldi sur l’efficace du Pouvoir Psychiatrique: « Il me semble qu’on peut d’ores et déjà affirmer, preuves en main, qu’elles (les techniques médicales) sont sans aucun effet thérapeutique sur la folie lorsqu’on considère celle-ci au niveau global et social de ses manifestations », 1978a, p 18 (3).

b) Peraldi maintient que la psychanalyse se fonde en partie de cette donnée voulant que le Bios – la réalité environnementale que se crée l’homme – est étroitement liée aux pulsions de mort et aux pulsions libidinales postulées par Freud. Il lancera, lapidaire : « Nul n’a droit de regard sur la mort lorsque celle-ci est un choix. On ne saurait trop dénoncer l’abus de pouvoir absolument exorbitant que l’Appareil du Pouvoir Médical exerce au nom de la condamnation de la mort. Peut-être faut-il faire se suicider les psychiatres ainsi que le conseille David Cooper afin d’ébranler l’ordre psychiatrique, mais nous posons plutôt quant à nous que la lutte contre l’Appareil de Pouvoir Psychiatrique repose sur la revendication du droit au suicide » (1977 b, p. 123-124).

Force est d’admettre que la position énoncée par Peraldi, aussi controversée soit-elle, a le mérite d’ébranler un nouveau tabou collectif, ce bâillonnant « suicide, tolérance zéro » que prône bêtement certains organismes en « suicidologie », et que supporte tacitement le Pouvoir Psychiatrique.

Ceci étant dit, Peraldi refuse catégoriquement que la psychanalyse soit considérée comme une branche, une servante ou une « cousine un peu folle » de la psychiatrie. Les deux disciplines sont selon lui différentes, antinomiques, et il s’évertue à plusieurs reprises à expliquer pourquoi et comment, dont en soulignant l’irréconciliable différence entre le mode d’écoute de la psychiatrie, qui s’appuie sur des idéaux d’écoute objective de la normalité, de celle de la psychanalyse.

Soulignons sans élaborer, puisque ce n’est pas l’essentiel de notre propos, que Peraldi substitue à l’écoute « objective » du « névropathe », tant vénérée par la psychiatrie, une écoute authentiquement analytique, allant au delà du sens, une écoute mobilisatrice, où « l’écouteur est profondément impliqué dans son corps érotique » et où il ne s’agit plus seulement de savoir ce qui est dit, mais bien « ce que l’on fait lorsque l’on énonce quoi que ce soi » (1978a, p13).

Peraldi se positionne manifestement contre le pouvoir psychiatrique ce qui, soulignons-le, diffère d’une intention d’ajouter un autre point de vue qui, parce qu’il n’égratigne personne, contribue à ce que les composantes d’un système puisse continuer à s’entre-nourissonner tranquillement (pour reprendre une joyeuse expression de Dolto) et où toutes les nouvelles idées, aussi hétérogènes puissent-elles être dans leurs fondements, seront accueillies avec un sympathique et paresseux « comme c’est intéressant ». 

Il me semble falloir souligner le courage et la volonté montrés par Peraldi dans sa dénonciation de ce qu’il perçoit comme de l’abus de pouvoir où, pire encore, comme de la simple bêtise. Il n’est sûrement pas toujours facile de « penser contre ». Peraldi ne s’en prive pas et il suffit de parcourir son œuvre pour réaliser comment cette manière de penser le caractérise: contre les tenants de la communication, du behaviorisme, contre les apôtres, dans la clinique, des bons sentiments, de la « belle âme », etc.

Dans La Jouissance de Kali (1985a) Peraldi donne un aperçu de ce qu’il a pu éprouver eu égard à cette propension qui, parmi d’autres, caractérise son style. Il dira : « J’ai beaucoup appris de l’expérience, mais ce fut un soulagement que de me trouver confirmer par Bachelard dans ce que ce je croyais être un mauvais penchant, que je ne pouvais que penser contre », p. 197.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire d’emblée, la difficulté du « penser contre » ne réside peut-être pas autant dans la rebuffade qu’elle suscite (bien que…), mais plutôt dans la constatation sans cesse répétée du vacuum d’indifférence dans laquelle elle ne manque pas de chuter. On connaît la boutade qui, au « tais-toi » générique qui épingle si bien le modus operendi d’un régime dictatorial, donne au régime démocratique un tout aussi bâillonnant « cause toujours ». Peraldi dénonce à quelques reprises ce triomphe de l’individualisme, marque de l’idéologie libérale.

Je conclurai cette section en me permettant un plongeon dans la critique : si Peraldi ne se gêne pas pour dénoncer sans relâche le pouvoir psychiatrique, il me semble qu’on ne peut pas dire la même chose de la majorité des collègues qui assistaient à son séminaire et qui lui ont survécu.

L’hypothèse qu’un tel discours puisse avoir perdu quoi que se soit d’actuel et de pertinent devant être écartée, comment expliquer ce silence? Dans la foulée du magnifique texte de Peraldi sur les pluralités fonctionnelles du silence (1991), je lance le souhait que cette disposition à (se) taire saura un jour se révéler pour ce qu’elle est : une préparation à dire vrai.

2) Fantasme des origines et origines du fantasme.

Je voudrais, dans cette section, tenter de cerner quelques caractéristiques de l’évolution de la pensée de Peraldi au cours des années 1983-1985. C’est mon avis que cette période marque un changement radical dans l’œuvre de Peraldi, rupture dont tout le reste de ses écrits portera des traces.

Un article charnière dans l’oeuvre de Peraldi me servira de levier, celui intitulé l’attente du Père, publié en 1984, où il tente lui-même ce qu’il qualifie une lecture « inter-texte » d’une œuvre, celle de Marguerite Duras.

Cet article, fascinant à plus d’un égard, a pour point de départ la mention, par Peraldi, d’une conversation qu’il a eu avec Duras. Dans celle-ci, la célèbre auteure l’invite à se prononcer sur une interprétation que lui aurait jadis concoctée son analyste, un dénommé F.P, et qui va comme suit (le contexte importe peu): « cette douleur est celle de la perte de votre père que vous avez déplacée sur la perte de votre chien ». Ce à quoi Margerite Duras aurait rétorqué : « non, ce n’est pas cela » » pour peu de temps après interrompre à son analyse.

Peraldi passe vite sur la réponse qu’il formule à Duras pour plutôt souligner l’effet qu’a sur lui cette conversation. Il écrit sans trop préciser, énigmatique comme il a peu coutume de l’être : « Cependant, je ne pouvais ignorer sa question car d’un certaine manière elle me concernait également. Les jours ont passé. La question du père chez Marguerite Duras se développait toute seules, en filigrane. En fait, la question du père ne m’a jamais lâché », p. 27.

Peraldi raconte alors relire L’après-midi de Monsieur Andesmas, le seul ouvrage de Duras ayant un père comme personnage central, et y faire des découvertes qui le ravissent. Voici, de manière schématisée, sur quoi elles portent :

Peraldi propose (construit) que ce n’est que dans Monsieur Andesmas, ouvrage publié en 1962, que Marguerite Duras (re)trouve, l’espace d’un temps, le nom du Père (toute sa production antérieure aurait été plutôt sous-tendue par ce qu’il nomme « l’attente du Père »). Se produit alors dans l’oeuvre de Duras un retournement auquel l’interprétation de son analyste, F.P (ci-haut mentionné) n’est peut-être pas étrangère (les différentes dates pertinentes concordent). Une rupture s’opère dans la chaîne et le Nom du Père retrouvé est expulsé avec le souvenir de l’oubli du père. Marguerite Duras se trouve alors en mesure de s’avancer dans un lieu nouveau, dont toute son oeuvre sera marquée dès Le Ravissement de Lol. V. Stein, soit vers ce que « plusieurs millénaires de phallocentrisme méditerranéen ont tenté de barrer : La femme. » (p 37). (...); « ...vers le lieu même de la plus grande terreur, vers la femme, vers ce qui de la femme touche au Réel au-delà de la grille fracassée du Symbolique ». (p. 33). Peraldi poursuit encore: « Marguerite Duras s’avancera vers des territoires peu fréquentés de la pensée. Elle tentera de dire la mort. Pas la mort biologique, la mort du sujet : la mort originaire » (p.39). Et Peraldi de terminer en s’emparant d’un mythe qui marquera la suite de ses propres travaux, le mythe de Kali.

La thèse que je voudrais brièvement présenter, malgré la spéculation qui lui est inhérente, est celle-ci: l’évolution des écrits de Peraldi jusqu’en 1983-1985 recoupe en plusieurs points celle-là même qu’il identifie chez Margerite Duras soit, pour le dire grossièrement, le passage d’un endroit où il y a du « Père » vers un lieu autre, celui des origines.

Voici quelques arguments pour étoffer cette thèse :

Une première partie de l’œuvre de Peraldi, que j’ai située comme couvrant les années 1976-1981 se caractérise par une contestation du Pouvoir, particulièrement le pouvoir psychiatrique (tel que décrit dans la section précédente). Sans rien diminuer de la justesse de son propos, on a l’impression que Peraldi s’acharne à vouloir destituer le pouvoir que certains s’accordent et que, bien sûr, d’autres reconnaissent, en démontrant que ce pouvoir repose, non pas sur un savoir fondé mais sur une idéologie (un système de fausses croyances), un phallus imaginaire soit, dit autrement, du semblant.

Selon une perspective phallo-centrée, serait-il exagéré de dire que Peraldi s’en prend au Père et à ce qui peut tenir lieu de ses représentants? Peut-on ajouter que, par la place qu’il prend, celle du contestataire, il se situe en position d’attente - d’une réaction, d’un changement, d’une dénonciation - peu importe - et, pour aller un pas plus loin, en attente d’un Père.

Surgit en 1978 une brèche dans sa série d’article « contre » le pouvoir et ses institutions, un article intitulé: « La castration sadique-anale de votre père ». De manière très semblable à ce qui débute son travail sur Marguerite Duras, Peraldi s’appuie sur une interprétation de son analyste : « vous avez réalisé, sans souffrance la castration sadique-anale de votre père », pour élaborer les questions de l’enseignement, de la transmission et de la fin de l’analyse.

Comme pour Marguerite Duras l’interprétation dûment critiquée de l’analyste porte sur le père, un animal qui tient lieu de substitut (le serpent, le chien) et vient clore définitivement le processus analytique entrepris. Dans les deux cas, Peraldi ne reproche pas tant le contenu d’une interprétation techniquement cohérente que le « contretemps » avec laquelle elle a été énoncée.

Il m’apparaît que cet article, « la castration sadique-anale de votre père », pave la voie à une modification notable dans l’œuvre de Peraldi, dont on retrouve l’ébauche dans l’Amante Marine (1980) et qui prend définitivement son envol dans une période qui semble très fructueuse, en 1983-85 avec, respectivement Elle, l’Autre (1983), L’attente du père (1984), Voyage dans l’entre-deux- morts (1984), Sept ans après (1984), l’exil accompli (1985) et la Jouissance de Kali (1985).

Ce second tournant dans l’œuvre de Peraldi, en écho à ce qu’il dit sur l’aboutissement du processus chez Duras, se caractérise, outre un changement dans le style d’écriture, par une préoccupation constante pour la question des origines, ce trou que borde l’Autre maternelle archaïque, et ses diverses représentations. Les parcours qu’il prend pour y arriver peuvent varier (la relation sado-masochiste, les mythes, la folie de Norbert, l’extase des mystiques etc.) mais tous les articles qu’il écrit dans cette période témoignent de cet « entre-deux-morts », temps du jugement d’attribution et d’existence qui ponctue la mise au monde d’un sujet et son rapport subséquent à das Ding

Au terme de son parcours, Peraldi (1985a) s’appuie sur deux textes de Freud qu’il affectionne particulièrement, l’Esquisse (1895) et La Dénégation (1925), pour formuler une proposition qui tenterait d’inventer cette première mort, «ce moment de déchirement avec le continuum », « ce lieu de la destruction de l’indifférencié originaire », « la femme antérieure à toute imago maternelle ». C’est ainsi que, reprenant un Freud qui, dans l’Esquisse, lie cette déchirure au moment où l’infans entend de la mère (du Nebenmensch), un cri, Peraldi associe librement sur ce que pourrait bien être ce cri en se demandant :

« Pourquoi ne crierait-elle pas parce qu’elle est en train de jouir avec son homme (supposément) non loin du bébé, qu’elle est perdue dans sa jouissance. Peut-il y avoir pour le bébé qui entend cela pour la première fois image moins maternante de la mère? Lorsqu’elle jouit, elle n’est absolument plus mère. Le moment de sa jouissance est celui de l’expulsion radicale de l’infans, elle est toute entière abîmée dans sa jouissance et elle crie. Dans ces cris l’infans ne reconnaît que la douleur de ses propres cris et l’expulsion radicale dont il est l’objet. C’est là –dis-je- sans trop extrapoler la première mort dont d’originera le sujet. C’est là, proposai-je, cette valence libre à laquelle peut s’articuler le mythe de Kali au discours freudien ». (1985a p 213). (4).

Une dernière observation pour terminer cette section.

Qu’est ce qui, pour Peraldi, vient bouleverser son écriture autour des années 80 et concrétise le passage que j’ai tenté ici de cerner? Ne connaissant rien de sa vie personnelle, j’ignore si Peraldi, au même titre que ce qu’il suppose à Duras lors de sa transition, connaît « une crise très profonde ». Ce n’est pas impossible si l’on tient compte que Peraldi dira à quelques reprises s’être avancé sur ces sentiers « at my own risk ».

Je constate par ailleurs que c’est durant cette période (en 1981) que Peraldi se dirige vers les Indes, au Tibet pour être plus précis, pays qui, dit-il « m’est étranger mais qui est le seul par lequel il est inscrit que je doive passer pour parvenir chez moi, dans ce qui m’est propre ». 1985a, p 174.

Il avait dit de Duras « ...elle s’est avancée, seule, dans un espace d’écriture qu’elle aurait dû créer, pas à pas et qui l’a mené non pas vers les Grecs et ses versions de l’Œdipe, non pas vers une quelconque figure maternelle mais vers l’Inde. Non pas l’Inde réelle mais l’Inde comme seuil du Réel ». (1984a, p, 33).

Il conclura l’exil accompli (1985) en disant pour lui : « au delà du corps de la mère il n’y a Rien...Je ne devais découvrir qu’au Thibet que c’est dans ce Rien qu’il m’appartient, si je sais m’y tenir, de me saisir d’un bout de Réel et de le faire mien » (1985b, p. 187).

Entre Peraldi et Duras, les chemins empruntés se recoupent, les destins se croisent et l’un est invité à devenir l’image de l’autre. Peraldi semble penser « tout contre » elle et à ce titre, Duras rejoint les autres figures féminines (Michèle Montrelay, Lucie Irigaray, la déesse Kali…), qui semblent l’avoir accompagné, loin du pouvoir machisme et du phallocentrisme méditerranéens, dans sa quête du Réel.

3) Le voile du fantasme et le réel du sexe.

Les écrits de Peraldi témoignent de son parcours et de ses expérience et, lui qui se décrit comme « un voyageur en perpétuel exil » (1991; p.195), il n’est pas rare qu’il formule sa pensée à partir de telle anecdote de voyage, telle rencontre fortuite ou, encore, tel souvenir de son passé. Dire de son itinéraire qu’il se distingue de ce que les guides touristiques branchés se plaisent à appeler leurs « coups de coeur » et proposent aux touristes en mal de pré-fabriqués apparaît, sans doute, une évidence. Peraldi se démarque par sa propension à se promener ailleurs, loin des discours courants, des conventions et des idées reçues, pour penser et articuler ses idées. Les exemples ne manquent pas : le travail avec des fous, l’étude de l’Art du Rien, les voyage en Orient, le transfert de pensée, et j’en passe, lui servent tour à tour de tremplin pour développer sa pensée à propos de, respectivement, une écoute autre que celle du sens, la fin de l’analyse, la Jouissance féminine et le transfert.

J’irai un pas plus loin et proposerai que Peraldi se passionne (du latin « souffrir ») pour ce qui fait « coupure », ce qui vient déchirer le voile-écran du fantasme et qui, l’espace d’un temps, fait irruption et bouleverse l’ordre établi. Nombre de ses écrits témoignent de sa détermination à surpasser le confort du refoulement et à se tenir assez près d’une béance pour pouvoir explorer les secrets qu’elle recèle.

Les exemples sont multiples. Ce sera par exemple :

- Sa conception d’un inconscient pulsatile qui, après avoir été parfois fermé à double tour des mois durant, s’ouvre en une béance et laisse entendre un Wutze! sonnant et dissonant, jaillissement d’une parole pleine qui traverse le bavardage quotidien (5).

- Son insistance à refuser une conception linéaire de l’histoire et à soutenir et détailler ce qui, dans l’invention de Freud (et, au même titre de Charles Sanders Peirce), relève d’une véritable coupure épistémologique.

- Tout son travail sur la pulsion de mort, auquel il consacre une année de son séminaire, en tant que cette avancée freudienne, édulcorée par plusieurs, constitue une véritable percée qui vient bouleverser un ordre établi.

- Autour de quoi tourne toute sa pensée à propos de la naissance du sujet, ce périple vers l’origine que Peraldi n’a de cesse d’élaborer et de ré-élaborer à l’aide de mille et une métaphores, cette séparation illimitée avec le Tout-Amour, ce déchirement avec l’Autre maternel, cette rupture avec la Chose (das Ding) et, enfin, la propulsion au bord du vide, du Réel, qui lui est subséquente.

- Dans un registre plus personnel, ce sera finalement sa nécessité, pour être libre de penser, de quitter ses origines, de rompre avec la terre maternelle, bref de s’exiler, ce dernier terme, l’exil, apparaissant central dans le « champ flottant des signifiants » qui vient à émerger d’une certaine lecture de ses écrits.

De cette perspective, il ne faut pas se surprendre que Peraldi fasse part à ses lecteurs de ses visites dans des endroits où ont lieu des pratiques sexuelles diverses, non conventionnelles, parfois sordides, recoupant ce qu’il nomme par, non pas perversion, mais bien polysexualité. Des lieux où la sexualité s’exprime et se manifeste crûment et où le dégoût, les blessures et la souffrance côtoient à la fois l’éthique du sadique et la quête de désaliénation à l’ordre symbolique telle celle du masochiste. Des lieux où, rappelle-t-il, il devient bien difficile de refouler l’une des innovations théoriques de Freud, à savoir que la violence et le sexe sont irrémédiablement intriqués. Peraldi qualifiera son travail de tentative de pointer vers quelque chose de peu touché et de peu pensé, « le réel du sexe » (1986).

Je n’insisterai pas ici sur ce que Peraldi théorise à partir de l’expérience très singulière que constitue le monde des pratiques sado-masochistes. Je voudrais tout au plus relever un aspect global de ses travaux sur « le réel du sexe », à savoir que ceux-ci se fondent sur une ouverture pour des cultures autres que celle du Beau. Dit autrement, ces textes de Peraldi illustrent admirablement que l’on peut réfléchir sur autres choses que des « Classiques » acceptés par une classe sociale aisée et qui font, entre eux, lien social. Que ni la beauté de l’objet, ni sa valorisation et encore moins sa valeur marchande ne peut tenir lieu de sceau garantissant la légitimité ou l’intérêt de l’étude qui lui est consacrée.

Il n’y a pas de raison pour que de telles avancées dans des lieux « moins fréquentés » ne se poursuivent pas et ce créneau, large en soi, apparaît riche en potentiel et en découverte. Il me semble que la psychanalyse gagnerait à s’intéresser et à expérimenter, à diverses titres et de diverses manières, aux multiples cultures (qu’importe les appellations - underground, trash, contre-culture etc.) et phénomènes plus ou moins marginaux (gangs de rue, backyard wrestling, body percing, etc.) qui existent et qui, pour nombre de personnes, constituent une part notable (parfois cachée) de leur vie.

Des endroits où, disons-le, tout est plus brute, moins poli, où le masque de la convenance brille par son absence mais où, lorsqu’on y regarde un peu attentivement, ce qu’on y trouve surgit comme autant de tentatives de réponses aux questions que la psychanalyse affirme fondamentales : Qu’est-ce qu’être un homme? Qu’est-ce qu’être une femme? Comment se développe l’identité sexuée? Comment se déprendre avec le primat du phallus? Qu’elle est la fonction de la parole? Des lieux qui, s’ils ne mettent pas en jeu le « réel du sexe », soulèvent certainement des questions sur le « réel du corps ».

Il n’y a pas de raison que la psychanalyse (appliquée) devienne ou demeure l’étude de l’inconscient bourgeois.

Je dirai même plus, quitte à forcer un peu la démonstration :

Ne serait-il pas plutôt cohérent que des individus fondant leur pratique sur l’écoute de ce qui, dans le discours d’un sujet, vient percer un bavardage moïque, accorde la même attention à ce qui, dans la société, apparaît avoir un statut similaire en jurant avec la doxa? Là où, peut-être, loin des médias de masse et du politiquement correct, le refoulé se manifeste dans son éternel retour?

Ne serait-il pas plutôt logique que des individus dont la pratique tend à lever le refoulement sur des contenus forts en libido (érotique, sexuel, agressif, etc.) débusquent des endroits où, justement, cette libido se manifeste sous toutes ses formes, fussent-elles débridées, macabres ou scabreuses?

Peraldi constate à quelques reprises que ses comparses analystes ne se précipitent pas à sa suite dans l’exploration de la « polysexualité » et que, lors de ses conférences sur la question, les regards suspicieux et les interrogations sur sa moralité sont monnaie courante. Je le soupçonne personnellement de ne pas avoir activement cherché la compagnie d’analystes lors de ses aventures et de prendre un certain plaisir  à effaroucher les plus guindés d’entre eux. Peu importe. Il est certes difficile d’être en désaccord avec lui lorsqu’il souligne que côté « expérience », l’exemple offert par Lacan et, ajouterais-je, par certains de ses contemporains, n’est pas toujours très édifiant (6).

Peraldi raconte ses expériences dans des endroits où se posent de plein fouet les questions qui, en analyse, ont été les siennes et qui, vraisemblablement, ne le lâchent pas. Iconoclastes, parfois provocateurs, les écrits de Peraldi laissent sentir à qui sait être attentif ses pointes symptômales, gages, selon ses dires, d’un authentique écrit analytique.

4) La psychanalyse, ses institutions, son milieu.

Peraldi consacre plusieurs articles à l’étude et au commentaire du milieu dans lequel il pratique son métier, celui de la psychanalyse. Il s’adonne à cette tâche avec ses thèmes de prédilection habituels (les origines, la naissance, les modes de transmission, le fonctionnement des institutions, etc.) et – c’est son style- en sachant ponctuer son discours de diverses anecdotes (sur l’embarras de tel analyste de l’IPA, sur son analyse personnelle, son rapport à Lacan, à Julien Bigras, ses relations avec la SPM, etc.)

Pour quelqu’un qui en est à ses premiers pas dans le métier « psy », la contribution de Peraldi sur l’histoire de la psychanalyse est très appréciée, et ce d’autant plus qu’elle ne reçoit au Québec que de trop rares échos. Dans les lignes qui suivent, je voudrais relever et commenter certaines des assertions qu’a formulé Peraldi à propos du milieu analytique montréalais, celui-là même où il s’est exilé.

Sur la marge analytique montréalaise.

La marge analytique montréalaise inclut tous ceux qui, par choix ou par dépit, décident de ne pas mettre leur désir d’être analyste au service d’une institution reconnue, fusse-t-elle celle qui a pignon sur rue à Montréal (la Société Psychanalytique de Montréal) ou ailleurs.

Peraldi a certainement participé à l’essor de cette marge mais il n’a jamais voulu en être le représentant ou le leader et il s’est toujours gardé de « faire école » ou de tout autre tentative d’institutionnalisation. Sans doute, Peraldi préfère la position du voyageur en exil à celle d’un leader qui, immanquablement, doit supporter le transfert imaginaire teinté d’amour et de haine de ses subalternes, « l’hainamoration » dira-t-il, citant Lacan.

Puisqu’il est question de Lacan, soulignons que Peraldi refuse de prêter serment à ce dernier et de vouer sa carrière à son adoration. Il écrira à maintes reprises ne pas particulièrement apprécier « la personne de Lacan », dont il précise lui être non pas « antipathique » mais « antinomique » (1985c, p 61). Qu’il ne soit pas englué dans un rapport personnel avec Lacan donne à ses écrits une certaine touche de liberté qui, malheureusement, ne va pas toujours de soi chez certains « lacaniens ». Tout un travail passionnant pourrait être fait à propos du transfert de Peraldi sur Lacan, depuis les premières mentions de la dette qu’il a envers lui, une dette « ineffaçable » et « complexe » (1985c, p. 56) au travail qu’il a entreprend sur son œuvre (plusieurs années de son séminaire), jusqu’à ce qu’il le qualifie, à la fin de sa vie, de « faussaire émotif, un faussaire intellectuel » (Hazan, 1994, p145).

Cela dit, que Peraldi ne veuille pas être « chef », pas plus que Lacan d’ailleurs, ne fait pas en sorte qu’il ne se trouve pas dans cette exacte position au sein de la marge analytique montréalaise. Je ne peux m’empêcher de voir un certain « double bind » dans la position de Peraldi quand, suite à un premier rassemblement du Réseau des Cartels qu’il participe à fonder, il prend la parole pour manifester son désaccord sur le déroulement de la journée et remettre les pendules à l’heure quant à la marche à suivre. Soyez autonome et parlez vrai! (voir son article intitulé la « transmission réticulée, 1988, une transcription de sa présentation lors la première rencontre du Réseau des Cartels ).

S’il est possible de cerner l’impact qu’a eu Peraldi sur la marge analytique, l’effet de son décès sur celle-ci demeure à mon avis plus nébuleux, très peu d’écrits y étant consacrés.

Permettez quelques questions qui, peut-être, pourront être reprises par ceux qui en savent plus sur la question :

- Peu de temps après le décès de Peraldi, le Réseau des Cartels disparaît pour donner place au Cercle Lacanien d’Études Freudiennes (CLEF). Quelles raisons ont motivé la mutation du réseau et, également, qu’est-ce qui a entraîné la disparition rapide de cette première incarnation du CLEF? Pourquoi avoir tenté une institutionnalisation après la mort de Peraldi?

- Ceux qui ont écrit suite à la mort de Peraldi évoquent souvent une intention de « briser le silence ». À ma connaissance, peu ont tenté de définir ce silence ou de l’expliquer. De quelle nature est-il? Quelle a été sa fonction? (7).

Un peu plus de dix ans après la mort de Peraldi, il semble que ceux qui suivaient son séminaire où qui étaient impliqués dans le Réseau des Cartels se sont dispersés ou alors ont formé un certain nombre de petits groupes (GIFRIC, ELM, LAPM, CLEF), de cartels, où alors invitent des psychanalystes d’ici ou d’ailleurs pour des conférences (GEPI, Pont Freudien, COGEP). Pour le néophyte, les différents regroupements analytiques demeurent souvent la façon la plus simple (et la plus abordable) de se familiariser avec la psychanalyse. La marge reste donc bien vivante à Montréal mais, par contre, on peut déplorer son dispersement et, ce qui va avec, sa propension à méconnaître son histoire ou son identité propre.

Les liens entre la Société de Psychanalyse de Montréal et la marge analytique montréalaise.

Dans ses articles, Peraldi déplore à quelques reprises les difficultés auxquelles il a été confronté avec la SPM, surtout, en fait, à partir du moment où certains ont cru qu’il avait l’intention d’ouvrir à Montréal une succursale de l’École de la Cause. Il raconte avoir entendu, de la part d’un des pontes de la Société un fracassant : « Qu’on le sache, à Montréal le lacanisme ne passera pas» (1985c, p. 55; 1989, p. 38) et se demande ce qui peut motiver une telle esclandre, à des lieux et à des années des scissions et des querelles entre Lacan et l’establishment analytique (1953 et 1964).

Il me semble que la distance entre la SPM et la marge demeure intégrale (mais peut-être que je me trompe). En écho au « le lacanisme ne passera pas » évoqué par Peraldi, je peux à tout le moins témoigner avoir entendu, entre les murs de l’université, un non moins sordide « pas de lacaniens chez moi ». Remarquez, je veux bien comprendre qu’on trouve certains « lacaniens » embêtants, j’en connais aussi, mais de préjuger et de mettre à l’index des gens parce qu’ils ont été pris (ou dénoncés) avec un texte d’un Lacan en main m’apparaît une coutume bien peu glorieuse.

Restons dans l’anecdote : il y a quelques années, des amis et moi, membres d’un petit groupe nommé le Cénacle du Fil D’Ariane, avons réussi à organiser deux colloques (De la pilule à la parole puis L’inconscient vu par...) où des analystes de différentes organisations (SPM, GIFRIC, ELM, etc.) étaient invités à partager leurs vues sur la psychanalyse. Les deux événements connurent un succès appréciable et attirèrent un public nombreux. Dans l’après-coup, et non sans sous-estimer la « chutzpa » d’une des organisatrices, nous avons probablement pu accomplir un tel exploit parce que nous étions alors étudiants et, en l’occurrence, ne menacions personne. Est-il naïf d’espérer que cela pourrait être autrement?

c) La psychanalyse et ses dérivés.

Peraldi présente un tableau très précis de ce que représente, pour lui, la praxis analytique. Il le fera de multiples manières, soit en rappelant son objet théorique (l’inconscient), sa méthode (l’association libre et l’écoute flottante) et sa technique (l’interprétation du désir inconscient mis en acte dans et par le transfert), de même qu’en élaborant les fondements théoriques auxquels il se réfère (la Chose, le signifiant, le réel etc.) et en présentant des études de cas (dont, notamment, son superbe article sur son travail avec un patient psychotique, le cas Norbert 1978a et 1984c, ainsi que son « récit d’une analyse silencieuse », 1991).

Il dira : « la psychanalyse est une construction théorico-pratique dans laquelle la théorisation et la pratique sont les deux composantes d’un seul et même acte : l’acte analytique; une construction pourvue d’un corpus conceptuel et d’une activité en constante interaction dialectique, en constant devenir et dont la scientificité rejoint ou recoupe celle de la physique moderne ». (1990, p.19)

Cette limpidité que certains, nul doute, qualifieront de radicale, a son corollaire, à savoir sa dénonciation ferme et sans équivoque de ce qu’il perçoit comme une « batardisation» de la découverte originale de Freud et de ce qui, à ce jour, lui confie toute sa virulence subversive.

Peraldi s’oppose à ce que certains termes ou « produits dérivés » de la psychanalyse (psychodynamique, psychothérapie d’orientation analytique, etc.) soient utilisés pour désigner une sorte d’espace mitoyen, un intermédiaire entre la psychanalyse et d’autres disciplines comme la psychiatrie ou la psychologie. Il dira qu’il n’y a pas d’intermédiaire et de continuité entre ces disciplines pour une incontournable raison : elles ne relèvent pas du même champ épistémologique.

Il apparaît à propos de rappeler cette position de Peraldi dans un contexte où, pour le meilleur et pour le pire, certaines institutions montréalaises qui se vouent à essayer de transmettre un certain savoir analytique préfèrent éviter la nomination « psychanalytique ». Cela donne parfois des situations empreintes de confusion, des endroits où on se dit tacitement psychanalytique mais officiellement psychodynamique et où les différences qui distingueraient les deux sont feintes d’être ignorées, voire carrément tûes. Dans le pire des cas, le recours à des appellations autres sert de subterfuge pour édulcorer ce qui fait la singularité de la psychanalyse et apporter en douce certains « aménagements » (modification du cadre, oubli de certains pans de la théorie, promotion du « borderline », etc.) à ce qui la caractérise.

Il convient aussi de rappeler ces propos de Peraldi à une époque où les formations en « psychothérapie analytique » sont devenues des étapes préliminaires obligées au « devenir-analyste ». Résultats : à Montréal comme ailleurs, les « trentenaires » se voient en grande majorité exclus des sociétés analytiques (du moins ceux affiliés à l’IPA). Autres temps, autres mœurs : François Peraldi devint membre de l’École Freudienne de Paris (EFP) en 1964, à l’âge de 26 ans et, peu s’en faut, il ne constituait pas une exception. À quand une étude articulant la psychanalyse (et son déclin) aux baby-boomers et à ce qui les caractérisent?

En guise de conclusion

Peraldi fut certainement un figure centrale dans le paysage psychanalytique montréalais, que ce soit par l’intermédiaire de ses articles, la tenue de son séminaire, sa contribution au réseau des cartels, la création de revues, etc. La place qu’il a tenue demeure à ce jour vide et il ne semble pas qu’il y ait personne en vue qui voudrait ou pourrait la prendre. Pour cette raison, je me trouve souvent dans l’étrange position de regretter son départ, « to miss him », même si je le n’ai jamais connu.

Que le modeste travail qui précède puisse participer à lancer, à Montréal ou ailleurs, l’amorce d’un « retour à Peraldi », non pas pour le totémiser, mais pour conserver puis poursuivre, dans un esprit similaire au sien, la découverte de la psychanalyse.

Notes.

(1) L’auteur est psychologue et conseiller clinique au Centre de Jour de Dans la Rue, organisme venant en aide aux jeunes défavorisés. Il peut être rejoint à l’adresse suivante : [email protected]

2) Le lecteur intéressé est invité à se référer à ces différents articles pour des exemples précis de l’utilisation de la répression et de la surveillance par le Pouvoir Psychiatrique.

3) Ce qui, précisons-le, ne veut pas dire que les techniques médicales sont sans effets.

(4) Peraldi reprend cette avancée dans plusieurs de ses subséquents articles. On en trouve à mon avis sa version la plus limpide dans les premières pages d’un article publié intitulé The Thing for Freud and the freudian thing, publié en 1987 dans The American Journal of Psychoanalysis, vol 47, p 309-314.).

(5) Je me souviens de l’effet de consternation éprouvé lorsque, fraîchement sorti de l’Université, maîtrise en poche, jeune psychologue, je tombai sur un article de Peraldi où il résumait les 3 premières années d’une analyse par quelque chose comme un « j’attend, je reste silencieux, le discours moique se déploie autour de l’Autre maternel, etc. ». Le rapport au temps et à l’efficacité du bon psychologue que j’étais – formé aux tests qualitatifs, aux groupes contrôles et à la détection rapide du « borderline » -, s’en trouvait bien bouleversé.

(6) Il s’agit là de ce qu’on peut appeler l’expérience de la vie, l’expérience quotidienne et familière du monde, tel qu’il le souligne dans « La jouissance de Kali, (1985a), p. 197.

(7) Chantal Saint-Jarre (1994) associe ce silence à celui généralement associé au sida, à la mort-sida.

Références.

Saint-Jarre, C. (1994). Rompre l’interminable silence. Discours social. Vol 6, p 155-167.

Hazan, M. (1994). Transmission, filiation et institution psychanalytique : rencontre avec François Peraldi. Filigrane, no 3, p.135-161.

Hazan, M. (2001). Le séminaire de François Peraldi : témoignage d’une rencontre paradoxale avec la transmission de la psychanalyse à Montréal. Filigrane, no 2, p 74 à 91.

Peraldi, F. (1977a). Une psychiatrie occidentale qui a tant besoin de se donner bonne conscience. Le Devoir, édition du 22 septembre.

Peraldi, F. (1977b). Comment être psychiatre? Brèches, no 7, p.123-124.

Peraldi, F. (1978a). Les lieux de l’écoute. Pour une clinique psychanalytiques des psychoses...Santé mentale au Québec, vol III, no 2, p.1-26.

Peraldi, F. (1978b). « La castration sadique-anale de votre père... ». Interprétation, no 21, p. 87-100.

Peraldi, F. (1980). Amante Marine. Les femmes et le folie, 5e colloque sur la santé mentale. p. 10-16.

Peraldi, F. (1983). Elle, l’Autre. Études Freudiennes, no 21-22, p. 99-114.

Peraldi, F. (1984a). L’attente du Père. Incidence d’une interprétation sur l’oeuvre de Marguerite Duras. Études Freudiennes, no 23, p25-41.

Peraldi, F. (1984b). Voyage dans l’entre-deux-morts. Frayages, no 1, p19-38.

Peraldi, F. (1984c). Sept ans après. Santé mentale au Québec, no 1, p39-49.

Peraldi, F. (1985a). La Jouissance de Kali. Confrontation, no 13, p197-213.

Peraldi, F. (1985b). L’exil accompli. Frayages, vol 2, p 173-187.

Peraldi, F. (1985c) Pas sans Lacan. Études Freudiennes, no 25, p. 53-80.

Peraldi, F. (1986). Bouche dégoût. Traverses, no 37, p.72-81.

Peraldi, F. (1988). La transmission réticulée. Journée des Cartels, p. 54-61.

Peraldi, F. (1989). Mais comment peut-on être lacanien. L’instant Freudien, psychanalyse et culture, VLB Éditeur, p. 37-53.

Peraldi, F. (1990). Le réel, la mort (éditorial). Santé mentale au Québec, vol XV. No 2, p14-32.

Peraldi, F. (1991). L’expérience du silence. Texte, no 10, p. 189-219.

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