LA CHOSE

 

 

Je veux tout d'abord remercier mon amie - notre amie - Lise Monette de m'avoir invité ici ce soir à vous parler.

Je vous parlerai de la Chose. La Chose que - pour des raisons qui apparaîtront plus tard - je vous inviterai à penser à écrire avec un C majuscule afin de la distinguer de la chose avec un petit c. J'avais pensé opposer la Grande Chose à la petite chose, comme Lacan oppose le grand Autre au petit autre, mais ces termes auraient pu avoir pour certains d'entre vous une connotation trompeuse-misleading!

Je vous parlerai de la Chose du point de vue de la psychaalyse et à partir du discours freudien. C'est-à-dire que je vous laisserai le soin de comparer la conception psychanalytique de la Chose au concept kantien de Chose-en-soi ou à l'objet de pensée qu'est la Chose pour Heidegger et qu'il interroge dans La Chose (Essais et Conférence) ainsi que dans la question "Qu'est-ce qu'une chose qui a guidé un de ses séminaires?"

Je ne cite pas Kant et Heidegger pour faire cultivé. Je les cite parce que Freud s'est demandé - et a demandé à des amis philosophes qui lui ont ri au nez - s'ils pensaient que l'inconscient avait quelque rapport avec la chose en soi chez Kant et - en ce qui concerne Heidegger - parce que Lacan, à l'époque où il a tenu son séminaire sur l'Ethique de la psychanalyse en '59-60 était profondément influencé par la lecture de Heidegger. Il avait traduit Logos pour le premier numéro de La Psychanalyse en '54.

Je ne pense pas être en mesure de développer plus avant ce qu'il en fut des rapports Kant/Freud, Lacan/Heidegger ni ce qu'il en est des rapports de la psychanalyse et la psychiatrie mais vous lirez sûrement avec intérêt les textes de Paul Laurent Assoun sur Freud et la psychiatrie et de Alain Juranville sur Lacan et la psychiatrie.

La Chose, donc, n'est pas seulement un film de science-fiction que certains d'entre vous ont peut-être vu il y a quelques années où une Chose indescriptible, innommable - impossible devrais-je dire - surgie des abîmes de l'espace et du temps, terrorise et anéantit un group d'hommes, de l'intérieur, quelque part à l'un des pôles, à la fois métaphore des pulsions de mort mais aussi, véritablement, la Chose en tant qu'elle peut être présente en toute chose vivante dont elle assume l'apparence, c'est-à-dire les qualités sensibles et nommables tout en leur restant, comme Chose, radicalement étrangère.

La Chose c'est d'abord et avant tout, pour nous ce soir, un concept freudien qui a été ignoré par la communauté psychanalytique en général à l'exception de Jacques Lacan qui - dans son retour à Freud - s'en est emparé pour la placer au coeur de son élaboration d'une Ethique de la psychanalyse. Donc dans le séminaire de '59-60 que j'ai mentionné tout à l'heure.

Vous savez - j'en suis sûr - ce qu'il convient d'entendre, par Retour à Freud. Il s'agit d'une démarche polémique visant dans un premier temps à dénoncer le réductionisme médical et le déviationisme idéologique dont la psychanalyse fut et est encore l'objet dès après la dernière guerre mondiale, en particulier en Amérique du Nord, au sein de l'Association chargée de veiller à son destin. Dans un deuxième temps il s'est agi pour Lacan de reprendre un à un chaque concept en fonction de son rapport à l'ensemble du système et de son devenir progressif au sein de ce système après en avoir supposé les catégories fondamentales, pour enfin formaliser l'ensemble en faisant appel - plutôt qu'aux mythes empruntés par Freud - à la topologie : "le plus pur des langages" devait déclarer Lacan non sans quelque marque d'idéalisme. Je ne vous entraînerai pas sur la voie de la topologie et des anathèmes ce soir.

 

 

Commençons par la Chose chez Freud ou, comme Freud la nomme en allemand, das Ding. "Das Ding" apparaît de façon significative dans deux textes tout à fait cruciaux. Dans l'Esquisse pour une psychologie scientifique - écrite à la fin de l'été 1895 et dans un texte très court mais d'une inépuisable richesse : Die Verneinung (que Lacan a traduit par La Dénégation), écrit en 1925 et qui marque très fortement le tournant de la seconde topique.

Contrairement à l'opinion peu éclairée qui voit dans l'Esquisse pour une psychologie scientifique une sorte de testament scientifique néo-positiviste; l'ultime adieu aux idéaux épistémologiques (fondés sur la thermodynamique) de Helwhaly Du Bois Reymond et Brücke (qui fut le patron de Freud pendant sept ans dans le laboratoire de neuro-physiologie où Freud fit ses premiers pas et travaux scientifiques); il est plus juste de voir dans l'Esquisse, comme le fit Pontalis ou Lacan, une sorte de fiction physiologique qui en fait - comme le fait remarquer Pontalis dans sa présentation de ce texte au séminaire de Lacan - contient déjà les concepts essentiels de cette métapsychologie qui n'est pas encore inventée : c'est-à-dire, le principe d'inertie, les processus primaires et secondaires, le pré-conscient et l'inconscient, la poussée vers la satisfaction du désir, la satisfaction réelle ou hallucinée du désir, et l'inhibition comme fonction du moi.

On peut par ailleurs concevoir le texte de 1925, La Dénégation, comme le mythe de la naissance -non pas du héros, tant s'en faut! - mais du sujet. Je veux dire le sujet en tant que sujet de l'inconscient auquel s'oppose le moi.

Avant de préciser la place et la fonction de das Ding, la Chose, dans l'oeuvre de Freud, il est nécessaire de signaler quelque chose sur quoi Lacan insiste très fortement dans le séminaire sur l'éthique. Il existe en allemand deux termes courants pour dire ce pour quoi nous n'avons en français que le mot chose et l'anglais "thing". Il y a das Ding et die Sache.

Die Sache est le mot qui est utilisé dans le composé : Sachvorstellung qui est traduit dans le Vocabulaire de Psychanalyse de Laplanche et Pontalis par Représentation de chose et que les auteurs opposent à Wortvorstellung ou représentation de mot.

Quoique présents assez tôt dans le vocabulaire freudien, c'est dans un texte de 1915 - l'Inconscient - que Freud déclare : "La représentation consciente englobe la représentation de choses plus la représentation de mot correspondante, tandis que la repréentation inconsciente est la représentation de chose seule."

Cette distinction a été souvent opposée comme une fin de non-recevoir à la trop délèbre déclaration de Lacan que "l'inconscient est structuré comme un langage", puisque les représentations de mots ne se trouveraient que dans le pré-conscient et le conscient.

Dans son séminaire sur l'Ethique, Lacan a montré - et je crois que la distinction qu'il fait est cruciale si l'on veut suivre son argumentation ultérieure sur le rapport de l'inconscient ou structures de langage - que le mot "die Sache" ne peut se comprendre, en allemand, que par opposition à das Ding.

Die Sache - le composant de Sachvorstellung - représentation de chose, c'est la chose en tant qu'elle est le produit de l'industrie humaine et que, de ce fait, elle a déjà un nom, qu'elle est déjà prise dans un système d'oppositions proprement langagier. C'est la chose qui ne peut-êre perçus que parce qu'elle a un nom qui la détache du contexte de son émergence. C'est la chose qui joue un rôle défini dans les échanges entre les hommes : la cruche qui sert à verser à boire au visiteur - pour reprendre le bel exemple de Heidegger. C'est l'affaire.

Das Ding, par contre, c'est ce qui ne peut être nommé ou ce qui, des choses nommables se tient - comme l'indique Heidegger - en deça de la nommination. C'est la Chose dont l'émergence, l'apparition provoque un sentiment d'inquiétante étrangeté voire de terreur paralysante.

Freud, fait remarquer Lacan, n'a pratiquement jamais parlé de Dingvorstellung mais bien de Sachvorstellung, donnant ainsi à l'inconscient, longtemps avant que Lacan ne l'énonce, la structure d'un langage, ce qui ne veut absolument pas dire, bien sûr, la fonction du langage.

 

 

Venons-en si vous le voulez bien aux deux textes freudiens. Et commencçons par le dernier, le plus récent des deux : La Dénégation écrit en 1925.

Dans La Dénégation Freud part d'un fait minuscule, un fait de technique presque, le genre de fait qui donne au Grand Contempleur par excellence de Freud, Hans Eysenck, une véritable nausée. Cela concerne l'écoute du psychanalyste qui - si un patient lui dit : "Vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve. Ma mère, ce n'est pas elle" - s'empresse de penser par devers lui : "donc c'est bien sa mère" en se contentant, dans l'interprétation, de faire abstraction de la négation pour cerner le contenu de pensée.

Partant de ce fait, Freud replace l'acquisition de la négation au sein d'un véritable mythe de la naissance de la pensée lorsque s'effectue la rencontre en deux fois deux temps d'un sujet-à-voir avec le Réel par le biais de l'acquisition de la fonction de jugement.

Le jugement s'acquiert en deux étapes constituées chacune de deux temps dissymétriques.

La première étape est l'acquisition du jugement d'attribution; la seconde, celle du jugement d'existence.

Au début - dit le texte de La Dénégation - ce qui est mauvais est identifié au dehors, par opposition au dedans, ce qui supposerait la destruction dh./dds donnée a priori. Mais une note en ce point renvoit à l'article "Pulsion et vicissitudes de la pulsion" qui nous indique que le tout début est marqué par une indistinction du dehors et du dedans. La première distinction s'opère du fait d'une expulsion première d'une chose (ein Ring) qui est qualifiée (verbalement dit Freud) comme mauvaise. Cette expulsion crée dans le continuum indifférencié du début une déchirure où s'abîme la Chose mauvaise; nous l'appellerons - ce que ne fait pas Freud - le Réel. Lorsque la Chose est qualifiable de Bonne elle peut être introjectée dans le Dedans qui n'apparaît que comme ce qui, de cette expulsion, demeure - le lieu où se tient le moi-plaisir originel.

Il est important de souligner que dans ce texte, le mot das Ding n'est employé qu'en ce qui concerne l'acquisition du jugement d'attribution et la création de l'opposition dehors/dedans, par déchirure, arrachement du continuum, indifférencié originel.

Lorsqu'il s'agit de l'acquisition du jugement d'existence, c'est-à-dire de savoir si, dans le moi, quelque chose (etwas) présent en tant que représentation, peut être retrouvé aussi dans la perception (réalité) [qui ici s'oppose nettement au Dehors dans quoi la Chose mauvaise s'abîme et qu'on peut nommer Réel], le mot Ding ne réapparaît plus, c'est etwas d'abord puis objet (Befriedisgungsobjekt) qui est employé.

 

 

Curieusement, Freud en dit davantage sur la Chose, à la fois de façon directe et de façon allusive, dans ce texte tout à fait extraordinaire qu'est l'Esquisse pour une psychologie scientifique, écrit dans le train dans un état d'exaltation tout à fait extraordinaire au retour d'une de ses visites à son grand ami Wilhelm Fliess. Ce texte est comme le texte germinal de la psychanalyse dont nous pouvons faire dater le commencement de cette année 1895. Il contient mainte anticipation géniale et son destin n'est pas moins étonnant que son contenu puisqu'écrit dans un état d'exaltation délirante il sera oublié dès qu'envoyé à Fliess.

La Chose - das Ding - apparaît dans le chapitre intitulé "Mémoire et jugement". Freud y aborde l'étude de la première rencontre de l'enfant avec un aspect inconnu de l'autre, du monde extérieur. Il nomme cet aspect : le Nebenwensch, qu'on pourrait traduire pr "le prochain". De quoi s'agit-il? Si l'on tient compte de ce dont il vient d'être question, ce n'est pas une personne totalement inconnue mais bien plutôt un aspect inconnud'une personne que l'enfant connaît bien. Si vous étiez psychanalystes et moi analysant je pourrais vous dire : "sa mère, ce n'est pas elle!" pour que vous puissiez penser par devers vous : c'est sa mère! Disons donc qu'il s'agit d'un aspect absolument inconnu de sa mère, de sa mère en tant qu'elle se manifeste à l'enfant d'une manière tout à fait inhabituelle. Que se passe-t-il? "Dans ce cas - dit la traduction exécrable que nous avons du texte de Freud - les complexes perceptifs qui en émanent sont, en partie, nouveaux et non comparables à autre chose... mais d'autres perceptions (par exemple visuelles comme les mouvements de la main) rappelleront au sujet les impressions visuelles que lui ont causé les mouvements de sa propre main, impressions auxquelles seront associées les souvenirs d'autres mouvements encore."

En ce point Freud précise son exemple et il ajoute : "Si le Nebeuwensch crie, le sujet se souvient de ses propres cris et revit ses propres expériences douloureuses. Le complexe du Nebenwensch se divise alors en deux parties, l'une donnant une impression de structure permanente et restant un tant cohérent [raduction pour als Ding beisammenbleibt c'est-à-dire se ramasse en elle-même comme une Chose - dont on a vue qu'elle est inconnaissable, insymbolisable]; tandis que l'autre partie peut être comprise [c'est-à-dire nommée] grâce à une activité annémanique, c'est-à-dire attribuée à une annonce que le propre corps du sujet lui fait parvenir."

Cette Chose qui se ramasse en elle-même - das Ding - c'est ce qui est radicalement étranger au sujet. C'est l'Autre absolu. Cet Autre dont un an après l'Esquisse, dans la lettre 52, Freud parle comme "de ce personnage préhistorique, inoubliable, que nul n'arrive plus tard à égaler".

Un rêve d'un analysant que j'appellerai Heinz peut vous aider à penser métaphoriquement la Chose, à l'Imaginariser à défaut de pouvoir la Symboliser. C'est vers la fin de son analyse - au moment où par le biais d'une série tout à fait extraordinaire de rêve de proche en proche, métonymiquement l'amènent à s'approcher de la mythique scène primitive de l'accouplement entre ses parents. Non pas la scène vue - car en fait Heinz a partagé le lit de ses parents de 0 à 8 ou 9 ans et il l'a vu maintes fois - mais de la scène surprise au cours d'un voyage comme l'excluant complètement et vue en même temps que confronté à la jouissance cette fois sans retenue de sa mère. Heinz approche de cette scène en s'approchant dans son souvenir d'une chambre. Il fait alors le rêve suivant. Il est dans son lit et la porte lentement s'ouvre sur une béance de néant d'où lentement émerge "une chose sans forme, sans couleur, innommable, méconnaissable. Je suis paralysé. Une plainte s'élève dont j'ignore si elle vient de la Chose ou de moi. Et je me réveille".

Qu'est-ce que cette chose? Ce n'est pas l'objet, l'objet de satisfaction qui est défini par Freud comme objet à retrouver donc comme objet perdu. Cet objet que Lacan nomme a. Sur cet objet à retrouver (dit Freud dans le trois essais sur la sexualité) fondera toute relation d'objet possible. Un objet à retrouver mais qui ne le sera jamais et qui, de ne jamais l'être, sera précisément la cause de la relance du Désir. Cet objet à jamais perdu au regard duquel tout objet - nécessairement autre - ne sera jamais qu'un substitut à compter parmi d'autres, comme Don Juan ses conquêtes : mille être.

Conception amène puisque renvoyant à l'impossible satisfaction du Désir à son inéluctable relance : Encore.

Une Conception suffisamment menaçante sans doute pour entraîner Karl Abraham à trahir la pensée de Freud et à inventer un objet qui pourrait remplacer avec succès l'objet perdu et arrêter le déplacement métonymique du désir : à savoir l'Objet génital.

L'Objet génital pleinement satisfaisant n'est pas un concept freudien.

Qu'est-ce que das Ding, i das Ding, la Chose n'est pas l'objet? Je dirai qu'elle est la condition de la possibilité de la constitution de l'objet comme objet perdu, comme objet à retrouver. La Chose est la condition de l'objet dans la mesure où elle ouvre la béance du Réel comme dimension radicale du signifiant - ou en d'autre terme - la rencontre avec le manque radical, l'impossibilité de ne faire qu'un, de l'indifférencié.

Telle sera en tout cas la lecture que Laca proposera de la Chose de Freud.

Je ne dirais pas - comme le fait Juranville commentant la reprise par Lacan de la Chose - que la Chose est "le signifiant incarné réel", mais que bien plutôt elle provoque l'ouverture du Réel nécessaire à l'avènement du Sa en tant que c'est ce qui marque la Chose en tant qu'elle ne cesse de se dérober à la saisie, en tant qu'aussi elle expulse l'enfant de l'indifférencié originel.

Mais il est vrai que pour Lacan "il appartient à l'essence de la chose d'être unique, étrangère à tout le domaine des comparaisons et des normes, soit le monde".

En fait dans son commentaire de la Chose Lacan fait écho sans jamais le citer à la conférence sur la Chose de Heidegger parue en France en 1958 dans le recueil Essais et Conférences. Il est à remarquer d'ailleurs que c'est lorsqu'il ne cite pas ses sources que Lacan se tient au plus près d'elles. On pourrait le remarquer tout aussi bien par rapport à Blanchot et à Bataille qu'il ne cite que très rarement que par rapport à Heidegger. On pourrait en dire autant d'ailleurs du rapport de Freud à Nietsche.

D'une certaine manière le manque radical inclut par la Chose, la distance fondamentale entre le sujet, entre cette Chose qui à la fois s'avance et s'efface en toute chose et à chaque fois nous interpelle comme sujet Lacan la marque du signifiant maître, le signifiant phallus autour des modalités du manque qu'il marque s'articule le sujet.

Je ne veux pas ici développer pour vous la position de Lacan à ce sujet, mais bien plutôt soumettre à votre écoute une autre possibilité de développement.

Qu'on me permette d'entrer ici - à mes propres risques - dans le domaine de la supposition. Un peu comme le fit Freud lorsqu'il introduisit spéculativement - c'est-à-dire sans fondement empirique ou clinique d'aucune sorte - le concept de pulsion de mort dans la théorie.

Peu de commentateurs ont relevé l'étrangeté de l'exemple introduit par Freud dans l'Esquisse, celui de ce Nebenwensch de cette Mère qui n'est pas reconnue comme mère et qui pousse des cris. Quand on pense à ce que Freud n'a cessé de répéter tout au long de sa vie sur l'excellence et le bonheur sous image de la relation entre la mère et son rejeton - en particulier lorsqu'il est encore infans - cet appel à une mère qui pousse des cris est à tout le moins surprenant. Et si cela ne vous surprend pas, je me suis quant à moi permis d'associer plus ou moins librement à partir des cris de la Chose, à l'appel de la Chose.

Supposons que le Nebenwensch féminin crie parce qu'elle est au lit (ou ailleurs si vos fantaisies sexuelles vous font choisir quelqu'autre lieu) avec son partenaire sexuel. Disons - our simplifier les choses et pour ceux qui d'entre vous auraient quelques préjugés moraux, avec le père du bébé qui et là, dans son berceau, juste à côté. Et, parce que ce Nebenwensch au féminin est parcouru d'un bon orgasme, aussi puissant qu'irrépressible, elle geint ou crie dans le même temps qu'elle jouit. Elle jouit et elle crie, ce qui n'est pas inhabituel, quelque chose dont l'évantail pourrait aller comme disait Nerval "des soupirs de la Sainte aux cris de la Fée".

Lorsqu'elle jouit elle n'est certainement pas en train de penser à son rejeton là, juste à côté dans son berceau. A la pointe évanouissante de son orgasme, elle ne pense même pas à celui-là qui l'a fait jouir. Elle est perdue, abolie pour reprendre un terme qu'affectionnait Mallarmé, dans sa jouissance qui le temps d'un spasme fulgure comme une seconde mort (Pierra Aulagnier). Elle est perdue dans ce que Freud appelait prudemment le noir continent de la sexualité féminine. Elle vit quelque chose dont - à en croire Freud et Lacan - elle ne pourrait rien dire. Non qu'elle soit plus bête qu'un homme mais parce que cette jouissance ne serait pas symbolisable. Ce qui est symbolisable c'est la jouissance phallique.

Il est certain qu'à tout le moins la jouissance du Nebenwensch au féminin n'est pas symbolisable par l'enfant qui, dans ces cris, ne reconnaît que les cris de ses propres expériences des souffrances. On pourrait voir là, précisément, comment se constitue ce masochisme primaire qui amènera certains sujets à tenter de retrouver, par un processus de souffrances croissantes infligé à leur corps, le moment de cette jouissance.

Il s'agit, face à la jouissance du Nebenwensch au féminin, d'une situation par excellence où l'enfant, au-delà de l'image familière de la mère (ces images des choses quotidiennes qu'évoque Heidegger en d'autres termes) l'enfant est confronté àune femme qu'il ne reconnaît pas plus qu'elle ne le reconnaît, qui jouit et qui als Ding beisannenbleibt, se rassemble en elle-même comme une Chose, appelant par ses cris les cris de l'enfant, appelant le sujet àlancer un "mot" vers la Chose, faisant émerger l'enfant comme sujet de l'énonciation d'un cri (de souffrance).

 

 

Cette association mienne à l'appel de la Chose n'est pas une simple rêverie, mais elle rejoint d'une part cette parole, son sujet qu'on appelle le mythe, "l parole distante" comme l'appelle Heidegger, la forme primordiale de symbolisation dit Lacan dans son séminaire sur la relation d'Objet (Hans). Pas l'un de ces mythes grecs cependant auxquels les analystes, y compris Lacan, sont restés obstinément attachés même si ce dernier les a formalisé dans le plus par des langages : la topologie. Mais un mythe Indien harapien qui a survécu à la vague indo-européenne qui en Inde comme dans le monde Méditerranéen a imposé un panthéon viril à des peuples qui à l'époque des mégalithes honoraient une Déesse femme originaire. "Mère du monde sans enfant" disent les hindous de la Déesse primordiale comme à travers toute l'Inde sous le nom de Kali. Celle qui détruit le Chaos, personnifié par le Démon Buffle, en en jouissant sexuellement afin ue puisse advenir un monde symboliquement ordonné d'où elle s'effacera pour laisser place aux déesses-mères.

Kali crie lorsqu'elle jouit, elle pousse une sorte de "Kha, Kha" qui est le son articulé que pousse la femme indienne lorsqu'elle jouit.

Mais cette association à l'appel de la Chose renvoit également à une petite séquence clinique que je rapporterais ici. Il s'agit d'une sorte de petite hallucination visuelle rapportée par une analysante que j'appellerai Nicole vers la fin de son analyse, à un moment où presque tous les symptômes qui avaient amené Nicole en analyse, avaient disparu, sauf qu'elle ne pouvait toujours pas jouir d'un homme l'aimât-elle passionnément comme elle aimait son mari. Nicole était partie au bord de la mer avec son mari. Ils avaient loué une chambre chez une amie dont la maison donnait sur la plage. C'était le dernier jour des vacances. Nicole était assise au bord de la mer à quelque distance de la maison tandis que son mari et l'amie, que nous appellerons Marthe, préparaient le repas.

Ils l'appelèrent à manger mais soudain lorsqu'elle entendit, mêlé au soupir des vagues, le bruit à peine audible de leur bouche en train de mâcher, de déglutir et de boire, Nicole vit de la façon la plus claire le visage de son père, lèvres entrouvertes se pencher vers une béance de chair rouge, palpitante et ruisselante entre des jambes écartées tandis que le soupir des vagues devenaient une longue plainte puis un cri dans sa tête. Elle fut alors saisie par une nausée d'une telle violence qu'elle eut le sentiment que son corps se retrounait comme un gant et devenait une sorte d'immense trique rigide et turgescente.

Dans les séances qui suivirent, cette petite hallucination devint la clé du dénouement de l'analyse de Nicole et la possibilité pour elle de s'identifier à cette béance jouissante plutôt qu'à la trique qui manquait dans le décor. Vous savez sans doute ce qu'en français de France "avoir la trique" veut dire.

Effectivement peu de temps après l'analyse et la symbolisation de cette petite vision hallucinatoire, Nicole connut son premier orgasme avec un homme.

Sans doute s'agissait-il d'une reconstitution hallucinée dans le Réel, d'une scène primitive forclose. Et je pense qu'ici, la Chose, est cet être absolument étranger que sa mère jouissante avait été derrière une porte que dans son souvenir, Nicole minuscule, essayait d'ouvrir avant de s'évanouir et de se retrouver quelques minutes plus tard en train de vomir dans la cuisine devant son père surgi en toute hâte.

L'ouverture des jambes de l'hallucination est équivalente à l'ouverture de la porte du souvenir où seul le père fut reconnu comme tel.

Confrontée à la Chose, la réaction immédiate de Nicole-enfant fut le dégoût. Dégoût dont on sait qu'il constitue le coeur de la névrose hystérique et qui devait prendre parfois chez Nicole la forme symptomale inquiétante d'épisodes anorectiques sévères.

Sa réaction seconde fut de s'identifier au pénis manquant dans cette scène de cunnilingus comme on dit, de devenir ce phallus manquant, objet supposé du désir de sa mère dont la présence dans la scène aurait permis à Nicole, peut-être, de surmonter l'horreur de la confrontation avec la béance de chair au sein de cette Chose jouissante et absolument étrangère.

Lorsque Freud écrivit son fameux commandement éthique "Là où c'était, là comme sujet dois-je advenir", Freud n'indiquait-il pas que ce lieu (où c'était) est, à la limite du Réel, le lieu de la Chose, où il est de notre devoir de permettre aux analyzands de se rendre au terme d'une analyse, afin qu'à l'appel de la Chose, une parole vraie puisse surgir.

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