DORA ET LE TRANSFERT

Le 5/12/1989

 

C'est à Lagache qu'on doit d'avoir éffectué dans les années 1950-1951 un retour sur la notion de transfert dont "la manipulation - dit-il - est l'instrument essentiel de la méthode thérapeutique" propre à la psychanalyse. Il est curieux de constater que si le transfert ne fait guère partie des préoccupations de Lacan jusqu'à ce qu'en 1951 il intervienne publiquement sur la question, il ne faisait pas davantage partie des péoccupations du monde psychanalyrtique at large, non plus d'ailleurs que les quesions de technique psychanalytique en général. Cette carence avait amené Otto Fenichel à publier, en 1941, l'une des toutes premières études exhaustive sur la technique psychanalytique : Problèmes de technique psychanalytique, qui devait être traduite en français en 1953.

Remarquant que les questions techniques n'étaient obordées que dans de rares ouvrages, Otto Fenichel en donnait trois raisons explicatives :

1° ) la psychanalyse scientifique ayant pour objet "la totalité des phénomènes psychiques humains", la technique thérapeutique n'est plus qu'un sujet très reestreint parmi beaucoup d'autres;

2° ) c'est une question objectivement difficile dont la difficulté s'accroît d'une sorte d'entrave subjective des analystes à aborder ces questions de façon détaillée;

3° ) enfin, la raison majeure semble en être que "l'infinie multiplicité des situations qui surgissent au cours d'une analyse ne permet guère de formuler des lois générales sur la manière d'agir de l'analyste dans toutes les situations données, car chacune d'elle est essentiellement unique".

 

Dans cet ouvrage, Fenichel ne consacre que quelques pages au transfert et si j'y fais allusion ici, c'est parcequ'il sera une cible privilégiée pour Lacan qui lui reprochera de trahit la pensée fruedienneb du fait de sa collusion avec Anna Freud, en promouvant la théorie d'un Moi clivé en une partie qui ressent et peut se laisser envahir par des dérivés des pulsions refoulées et une partie dite saine qui juge dans le clair registre de la connaissance et qui, avec l'aide d'une identification à l'analyste, peut reconnaître les manifestations de l'inconscient lorsque le refoulement est levé et les contrôler ou les refouler complètement.

Fenichel conçoit le transfert comme une répétition de l'instinct et du mécanisme de défense spécifique qui s'oppose à son émergence dans le conscient. Faisant une comparaison entre les transferts de la vie courante et ceux de l'analyse, il remarque que dans la vie courante les réactions émotionnelles de l'entourage à celles des réactions adaptées au transfert d'un sujet empêchent l'aperception de la dimension transférentielle de ses actes, tandis que dans l'analyse - si l'analyste sait être un "pu miroir" - le caractère transférentiel du Moi-qui-ressent deviennent plus claires et, par l'interprértation, l'analyste peut en démontrer la nature au Moi-qui-juge. Cette interprétation, qui doit être prudente et se faire au bon moment, doit d'abord porter sur les défenses puis sur l'instinct lui-même.

 

C'est sans doute devant ces insuffisances que la Société Psy-

chanalytique de Paris décide de prendre la question du transfert comme thème du quatorzième Congrès des Psychanalystes de Langue Romane qui eut lieu à Paris en 1951. C'est à Daniel Lagache qu'il revint de présenter un rapport très important : Le problème du transfert, auquel Lacan rend un hommage ambigu dans son Intervention sur le transfert lors de ce même congrès : rapport, écrit Lacan "dont la prudence dans la méthode, le scrupule dans le procès, l'ouverture dans les conclusions, tout ici nous est exemple de la distance maintenue [ce que j'appelle `démarcation' du point de vue épistémologique qui est le nôtre] entre notre praxis et la psychologie" (p. 217, Ecrits).

La question du transfert restera au centre des débats pendant plusieurs années, en fait jusqu'à ce qu'en 1960-1961, Lacan lui consacre un séminaire d'une année où l'on verra tout ce qui l'oppose à ce qui - oendant ces mêmes dix années - aura été développé par Sacha Nacht, Maurice bouvet et quelques autres. Mais nous n'en sommes pas là.

En 1951 le problème du transfert est posé par Lagache dans toute son ampleur, et Lacan profite de l'occasion qui lui est ainsi offerte pour le resituer dans le cadre de sa conception de l'expérience analytique "qui se déroule toute entière dans un rapport de sujet à sujet, pour la démarquer de cette expérience de la psychologie considÎrée comme une objectivation de certaines propriétés de l'individu" (Ecrits, p. 216) et la définir comme une expérience dialectique - puisqu'on n'y use que de paroles - "notion qui doit prévaloir quand on pose la question de la nature du transfert" (Ecrits, p.216). Mais il y a plus dans l'intervention de Lacan puisqu'uil remarque pour la première fois que d'une part après avoir marqué la psychologie de son sceau, la psychanalyse est en danger - du fait de la pusillanimité des psychanalystes eux-mêmes et de ceux qui, plus particulièrement, parlent de technique psychanalytique - d'être récupérée par la psychologie des comportements. Pusillanimité qu'il attribue à leur crainte devant l'audace de la découverte par Freud "qu'il y a des maladies qui parlent et que se pose dès lors la question de la vérité de ce qu'elles disent."

Nous les voyons donc, ces analystes pusillanimes, "sous toutes sortes de formes qui vont du piétisme aux idéaux de l'efficience la plus vulgaire en passant par la gane des prpédeutiques naturalistes, se réfugier sous l'aile d'un psychologisme qui, chosifiant l'être humain, irait à des méfaits auprès desquels ceux du scientisme physicien (le pacte de Brücke, Helmholtz et Dubois-Reymond de tout devoir expliquer de l'homme dans les termes de la thermo-dynamique) ne seraient plus que bagatelles." (Ecrits, p. 217)

 

Devant ce danger interne au champ de la psychanalyse, une lutte épistéoologique s'impose contre cet effet de la coupure épistémologique freudienne que ja n'ai pas évoqué dans la faisceau épistémologique lors du précédent sÎminaire : les tentatives de récupération de la nouvelle science par des disciplnes épistémologiquement antérieures à la coupure, comme, ici, la psychologie. Face à ces tentatives, il convient de réaffirmer avec vigueur le sens de la coupure freudienne et dénoncer tout ce qui tend à la confondre avec une simple rupture épistémologique à des fins de récupération, d'une part, et d'éfacemment de la nouveauté radicale de la coupure, de l'autre. Tel est le sens et la nécéssité du "retour à Freud" que Lacan inaugure dans ce texte. Contre la récupération idéologique de la psychanalyse par la psychologie aux fins de créer un "homo psychologicus" "je pose, écrit Lacan, la question de savoir si nious nous laissons fasciner par sa fabrication ou si, en repensant l'oeuvre de Freud, nous ne pouvons pas retrouver le sens authentique de son initiative et le moyen de maintenir sa valeur de salut" (Ecrits. p. 217). Et puisqu'il s'agit de parler du transfert, "je fonderai ma démonstration, ajoute Lacan, sur le cas de Dora, pour ce qu'il représente dans l'expérience encore neuve du transfert, le premier où Freud reconnaisse que l'analyste y a sa part." (Ecrits. p. 217-218)

 

Jacques Mauger a accepté de nous présenter ce beau texte de Freud afin de nous en rafraichir le souvenir.

 

Jacques Mauger : [Tout d'abord, il convient de remarquer que le coeur de la problèmatique de Dora tourne autour de la question du père.] Ce n'est pas sans importance, bien sûr, de souligner çà dès le départ étant donné qu'il ne s'agit pas seulement d'une théorie constitutionnelle ou d'une théorie du substratum héréditaire de la part du père. C'est aussi, on le sent bien, une théorie sexuelle, une théorie de la sexualité du père ou de l'impact de la sexualité du père sur la sexualité de la fille. Déjà donc Freud le savait quand il écrit le texte sur Dora. En plus, c'est en tout cas ce qu'il nous raconte, Dora est amenée sur l'ordre du père. Le traitement commence donc de cette façon-là. Le père, dont l'intelligence fascine Freud, apporte un premier schéma de ce qui se serait passé selon, bien sûr, sa propre vision. C'est-à-dire que le père présente l'histoire que Dora va raconter comme une sorte d'imagination, une sorte de fiction. Et c'est frappant aussi d'entendre le père dire déjà à Freud: "Vous savez que ma femme n'est rien pour moi", étant donné que ce sera repris de façon si importante dans ce qui va suivre, mais cette fois-là par monsieur K. Bien sûr Freud entend çà et dit bien qu'il veut entendre un autre son de cloche et qu'il doit attendre que Dora donne sa version des faits. Mais quand même çà m'est apparu important de le souligner. C'est d'ailleurs tiré du texte lui-même.

 

Ensuite, quant à l'état morbide, ce qui est présenté, la question qui se pose est: Quelle est la nature des symptômes névrotiques à ce moment-là de l'élaboration de la théorie freudienne? Freud repond en disant que les symptômes névrotiques c'est la réalisation de fantasmes à contenu sexuel. C'est une des significations possibles. Disons bien qu'un symptôme c'est surdéterminé et que çà a d'autres significations mais qu'il y a cette représentation, il y a cette réalisation d'un fantasme à contenu sexuel qui explique la toux. Vous avez lu, comme moi, ces lignes si importantes où son intuition l'amène à voir dans la toux de Dora et ce qu'elle en dit, que çà semble mettre en scène le rapport entre son père et madame K. Ce que Freud donc aperçoit c'est que là où Dora dit que madame K est intéressée par la fortune de son père, il voit bien, dit-il, en portant attention à des petites particularités du langage, qu'il s'agit plutôt de la non-fortune ou de l'impuissance du père. Et on sait tout ce qu'il en tire à ce moment-là de savoir sur la sexualité chez Dora, un savoir quant à la fellation, un rapport de fellation entre le père et madame K. Et Dora va se placer dans ce fantasme-là par substitution. Déjà Freud se demande à ce moment-là d'où lui vient ce savoir. Où a-t-elle pris, cette jeune Dora, toutes ses connaissances sur la sexualité en général, et en particulier sur la sexualité imaginée au sujet de son père et de madame K. Ce n'est pas sans importance parce qu'il va revenir sur cette question quand il parlera un peu plus par la suite du rapport qu'il a un peu minimisé entre eux deux.

 

Parlant toujours de l'étiologie du symptôme névrotique de l'hystérie, il évoque au passage le catharre, qui est un mot carrefour qui, justement, réunit la mère, madame K. et le père par le catharre de la région génitale, le catharre et la toux nerveuse de Dora. Il associe aussi sur la question des muqueuses en parlant du chuchotement comme un des plaisirs privilégiés chez Dora, dans son enfance, la notion de zone érogène stimulée dès de moment-là. Enfin je passe très rapidement afin simplement de nous remettre un peu tout cela en tête, et pour voir ce que Lacan fait de cette lecture du cas Dora. Donc le symptôme, nous dit Freud, à la fois présente simultanément plusieurs représentations surdéterminées et peut prendre des sens différents. Il parle aussi des idées hyper-intenses, du couple d'opposés d'une pensée qui, elle, se manifeste comme une sorte de compulsion : ( "je ne peux pas pardonner à mon père" dit Dora), mais qui cache une autre pensée qui, elle, est refoulée, amortie, une pensée inconsciente qui irait dans le sens opposé.

 

Un autre passage important est celui oû il parle de choses qu'il reprendra plusieurs années plus tard, à propos de la toux, à savoir l'espèce d'état en stratification, en étagement du symptôme. Il décrit un noyau - l'image du grain de sable - d'irritation de la zone érogène stimulée. Ensuite il parle d'une première stratification qui aurait plus à voir avec l'imitation. Vous vous rappelez l'imitation du catharre, la fille de papa qui a le même catharre que sa mère, donné par la faute du père. Un autre niveau d'étagement est la substitution. Dora qui se substitue tantôt à la mère, tantôt à madame K, dans qui est porté à madame K, et par monsieur K et par le père de Dora. Enfin, il y a bien sûr, dans cette stratification ce que Freud appellera l'identification proprement dite, c'est-à-dire le retour de la libido sur le père, le retour du refoulé qui donne sa signification dernière, nous dira-t-il, qui est un temps important du refoulement et qui réalise le fantasme.

 

Ensuite est présenté le premier rêve. Je ne vais pas le reprendre dans le détail mais dire peut-être du premier rêve que c'est le rêve de l'incendie : Dora sort de la maison et se sauve avec le père. Freud essaiera de démontrer justement comment "se sauver avec le père", c'est se sauver vers le père, c'est se sauver de monsieur K et aussi se sauver de Freud. Mais à ce moment-là il ne s'en rend pas compte. Il remarquera par la suite jusqu'à quel point, même s'il avait un peu commencé à percevoir là un avertissement, il n'avait pas donné une importance suffisante à ce que déjà le premier rêve pouvait lui apporter dans le transfert comme avertissement que de la même façon que Dora se serait prêtée au dire de monsieur K, de la même façon elle s'est prêtée à Freud sur l'ordre du père. "Vous vous prêtez", disait Freud à Dora, "à cette cure à laquelle seul votre père vous a décidé à recourrir", laissant entendre qu'elle pouvait avoir du ressentiment dont il voyait certains signes mais dont il avouera par la suite qu'il n'y avait pas alors donné une importance suffisante. Il dira également de ce premier rêve que c'est un rêve de désir. Il essaiera d'appliquer ce qu'il a déjà beaucoup élaboré dans l'interprétation des rêves, à savoir que le désir du rêve n'est pas cette décision de mettre à exécution sa vengeance, son désir de partir, mais qu'au fond le désir réalisé est finalement d'allaer vers le père pour se défendre de côté-là. C'est aller vers le père et non pas seulement pour se sauver avec lui qui est proposé comme sens dans les associations de Dora. Se sauver de monsieur K aurait été selon le rapport, le désir qui aurait été le plus caché, alors que celui qui a été le plus caché, dira Freud, c'est le désir d'aller vers le père. Donc le désir du premier rêve c'est de voir le père à la place de l'étranger, monsieur K. Ce rêve est surdéterminé car il faut y voir aussi la vengeance contre le père, contre monsieur K, et contre madame K aussi. Il y a des gens qui sont visés. C'est également la vengeance contre Freud qu'il verra trop tard.

 

Je vais examiner rapidement le deuxième rêve, le rêve dans une ville étrangère et le père mort. On sait que c'est un rêve qui en fait précède presque immédiatement la suspension de cette analyse deux séances plus tard. Freud en fait tout un développement. Il s'en est même ouvert à Dora disant qu'il est très satisfait du travail qu'ils ont fait ensemble. C'est là qu'elle lui apprend que finalement ils en sont à la dernière séance. La question de la vengeance revient encore. Il s'agit encore de s'absenter de la maison. Et les associations de Dora concernent ce qu'elle a vécu avec monsieur K quand il lui a servi "Ma femme n'est rien pour moi" alors qu'elle avait déja entendu çà dans les confidences d'une gouvernante qui lui avait répété les paroles de Mr. K. à elle adressées. Dora s'est sentie plus que jamais traitée comme une gouvernante par monsieur K,et, du moins on peut le penser, traitée de la même façon par le père aussi. Elle servait au père et elle a sans doute senti que dans le rapport à Freud, elle servait à Freud, ce qui n'est pas entièrement faux, il s'en est d'ailleurs sans doute aperçu mais il n'a pas accordé suffisamment d'importance à cet aspect des choses dans le développement du transfert. On verra tout à l'heure pourquoi.

 

Après ce deuxième rêve, Freud nous dira que le père était venu, après que Dora eut décidé de s'arrêter, assurer Freud que Dora allait revenir et de la même façon qu'il l'avait amenée à l'analyse, de la même façon il était sûr qu'il allait la ramener. Ce qui n'est jamais arrivé. Il dira d'ailleurs que tant et aussi longtemps que le père a pensé que Freud pouvait convaincre sa fille que tout çà était de la fiction, çà n'allait pas trop mal mais dès qu'il a commencé à avoir des doutes il s'est montré moins intéressé à l'analyse. Après ce deuxième rêve, après le départ de Dora, Freud interprètera ce départ comme une mise en acte d'une vengeance qui visait tous les hommes dont nous avons parlés. Il parlera aussi de la tendance à se nuire de Dora, comme s'il y avait une là sorte d'évocation de son masochisme mais sansl'élaborer plus avant. Et ce qui est intéressant aussi, c'est que Freud se pose la question: "Quelle a été sa valeur pour moi?" C'est intéressant qu'il se la pose de cette façon-là, en tout cas dans la traduction française, "quelle a été la valeur de Dora pour moi", alors que justement la phrase du père de Dora quant à sa femme c'est : "elle n'avait pas de valeur pour moi". Monsieur K. dit la même chose, "ma femme n'a pas de valeur pour moi". Freud reprend la phrase à peu près dans les mêmes termes.

 

Je passe aux conclusions de Freud pour n'en souligner que certains éléments. D'abord une des premières conclusions, c'est de dire comment, pour certaines personnes que Freud traite, il traite la réalité psychique inconsciente comme on traite la réalité d'autres phénomènes psychologiques conscients avec la même véracité, avec la même impression de certitude. Il dira aussi que la sexualité est la force motrice du symptôme, que le symptôme névrotique c'est l'activité sexuelle du névrosé, que c'est la clé du problème du névrosé. Ensuite il insiste sur la question du conflit, interne et externe, et là il aborde un peu plus le transfert, ce qu'il appelle le rapport avec la personne du médecin. C'est important de souligner qu'il parle à ce moment-là de la personne du médecin, donc de la personne totale, et de l'amour ou des sentiments qui englobent la personne du médecin. Disons bien que dans la cure, la névrose ou la production névrotique, n'est pas une production de symptômes qui se continuent, il n'y a pas de symptômes nouveaux, dit-il, mais c'est plutôt une production de transfert, çà passe du symptôme au transfert. C'est une production de transfert, une sorte de nouvelle édition assez comparable au symptôme. Remarquons bien que l'analyse du transfert est la plus difficile. Comparativement au rêve, par exemple, qui peut prendre quelques heures, le transfert doit être analysé à partir de points de repères très minuscules, nous dit-il, auquel l'analysant ne collabore pas, alors que pour le rêve il se peut que l'analysant puisse collaborer.

 

Il insiste aussi beaucoup sur la nécéssité de saisir cette question transférentielle à temps. Il reviendra souvent là-dessus sachant bien que lui-même ne l'a pas fait. Au début, il dit comment il se plaçait dans le transfert : il avait le sentiment de remplacer le père dans l'amour que lui portait sa fille. Il pensait qu'il se plaçait justement en position du père non seulement comme la personne du médecin mais en la personne du père, la personne totale. Il dit bien qu'il aurait dû non seulement croire que c'était surdéterminé - il ne s'agissait pas juste du père mais également de monsieur K. - mais il aurait aussi peut-être dû demander à Dora s'il n'y avait pas quelques détails, quelques facteurs inconnus, quelques x d'une certaine façon, qu'elle aurait pu investir chez lui et qui auraient pu être la clé de ce qui s'est passé dans le transfert. Déjà de passer de la personne totale du père à monsieur K comme substitution c'est une chose, mais c'est plus que çà encore, c'est déjà ici une intuition qu'il ne s'agit pas uniquement de la personne mais de quelques détails. On verra qu'est-ce que çà peut devenir dans la lecture de Lacan. Il revient donc sur la question du temps, de faire à temps, d'intervenir à temps ce qu'il faut pour maîtriser le transfert ou en tout cas ces dimensions-là du transfert, le temps nécessaire. Il dit bien que: "La tendance à la cruauté et la vengeance utilisées pour constituer les symptômes se transfèrent sur le médecin, sur la personne du médecin avant que celui-ci n'ait eu le temps de les détacher de sa personne en les ramenant à leur source." C'est ainsi que Dora a rendu l'analyste Freud impuissant.

 

Il mentionnera plus tard comment il aurait dû saisir toute la dimension homosexuelle, l'importance et même la prédominance du rapport de Dora avec madame K. Dans un certain sens, je pense qu'il se donne ici à lui-même la réponse à la question qui l'a un peu hanté, soit d'où Dora tenait-elle cette connaissance de la vie sexuelle des adultes et, entre autres choses, de ces pratiques inhabituelles, dans sa tête à lui en tout cas, pour une jeune fille de cet âge-là. C'est là qu'il fait ressortir l'attachement, le rapport et la connaissance partagée entree madame K et Dora.

 

En plus, il aurait dû également remarquer une dimension énigmatique : pourquoi la vengeance portait si ouvertement, de façon aussi continue contre monsieur K, contre le père, contre Freud jusqu'à un certain point, alors qu'en même temps madame K, avec qui elle avait aussi maille à partir, était la plupart du temps protégée dans ses accusations. Il laisse entendre ici qu'il aurait dû voir là un signe que celle qui était protégée c'était celle qui était au coeur même de ces conflits.

 

Pour terminer, on sait que 15 mois plus tard, Dora reviendra faire une visite à Freud. Ce qu'elle vient lui demander est assez interessant, quoiqu' il ne sache pas très bien ce qu'elle vient faire. Sous prétexte de venir lui demander de l'aide, elle lui raconte quand même des symptômes qui sont réapparus après l' accident arrivé à monsieur K sous ses yeux. Bien sûr, la culpabilité, l'auto-reproche sont très présents, la névralgie faciale aurait un lien avec la gifle qu'elle aurait donné elle-même, et on sent que Freud est dans une position où en la voyant revenir, alors que c'est lui qui avait été pour ainsi dire évincé, il ne croit pas vraiment qu'elle revient pour continuer l'analyse.

Comme vous le savez, le cas Dora a été l'objet d'une multitude de commentaires. On pourrait encore en dire beaucoup de choses mais je pense que ce qu'il s'agissait de faire, c'était plus d'introduire ou en tout cas de rappeler un certain nombre d'éléments pour voir un peu ce que Lacan a fait dans sa lecture.

 

 

François Peraldi: Avais-tu des choses à ajouter sur Lacan?

 

Jacques Mauger: Non, pas maintenant.

 

François Peraldi: Je vais donc continuer à dire certaines choses puisque j'ai introduit la présentation de Dora dans notre séminaire à travers le texte de Lacan. Je vais reprendre rapidement pourquoi Lacan a relu Dora et surtout comment il l'a relu et ensuite on se gardera un peu de temps pour discuter de différentes questions que le cas Dora soulève, que la lecture qu'en a faite Lacan soulève et que les conclusions qu'il en tire sur le transfert soulèvent. Merci, Jacques, de nous avoir replongé ou permis de replonger dans cette première des cinq psychanalyses.

 

Il y a une chose que je voulais dire en passant. Il est sûr qu'on a toujours fait beaucoup de critiques à l'encontre de la technique de Freud dans ces cinq analyses, la manière dont il est intervenu dont il ne me semble pas que ce soit quelque chose qui doive se faire. Mais au fond il s'agit, du point de vue épistémologique, de ne jamais oublier que cette technique-là qui fut la sienne, est fondatrice de ce que nous faisons lorsque nous faisons de l'analyse. Et lorsque je dis fondatrice, il faudrait justement mesurer jusqu'à quel point on maintient ce fondement ou pas. Il y a des gens à New York, comme Jacob Arlow, qui déclarent tout uniment que ce que faisait Freud n'a, au regard de la psychanalyse d'aujourd'hui, pas plus d'importance que ce que faisait Galilée par rapport à la physique moderne. C'est une manière de s'en débarrasser. On a trop souvent trop facilement poussé des grands cris, "Ah, il faisait ceci! Ah, il faisait celà! Ah, il donnait à manger du hareng à son patient qui n'aimait pas ça!...", en oubliant que dans le même temps c'est pourtant lui qui inventait une toute nouvelle technique de l'écoute.

 

L'autre chose que je voulais dire c'est qu'effectivement, en relisant ce texte, on s'aperçoit qu'il y a un mouvement du texte qui est admirable et c'est ce mouvement du texte, plus que encore que son contenu qui retient l'attention de Lacan. Et c'est assez extraordinaire, au fond, que parti pour illustrer à l'aide d'un cas clinique, le cas de Dora, sa théorie et sa pratique de l'analyse des rêves, Freud, en fait, trébuche, d'où le sois-disant ratage de l'analyse, sur la découverte du transfert. C'est sûr que des transferts il en parlait déjà depuis longtemps dans les textes sur l'hystérie, mais c'est vraiment sur la découverte du transfert et de sa fonction centrale que ce traitement interrompu l'amène. Je crois que c'est la dimension centrale du transfert sur quoi il bute qui est importante à retenir. Alors là encore, il ne faut pas en prendre nécessairement la leçon que tout ratage est bon à raconter, bon à dire, ni qu'il faille en parler complaisammen avec ses amis analystes et s'attarder à faire le récit de ses ratages, sauf, et c'est très rare, lorsque le ratage débouche, comme c'est le cas de Freud dans Dora, sur une découverte, c'est-à-dire la position centrale du transfert. Or, malheureusement, lorsqu'on entend les récits de ratage en analyse, c'est rarissime que çà débouche sur une découverte de la taille du transfert. Donc, il vaut peut-être mieux garder çà pour soi.

 

D'autre part, si ce mouvement du texte, qui commence tranquillement par : je vais vous montrer comment on analyse les rêves et paf! il se cassse la gueule sur le transfert - est admirable, l'écriture du texte ne l'est pas moins. Et là encore c'est cette l'écriture que Lacan va lire plus que ce qui est écrit par cette écriture. "Il est frappant, remarque Lacan dans son Intervention que personne n'ait jusqu'à présent souligné que le cas de Dora est exposé sous la forme d'une série de renversements dialectiques," dont il prend le modèle dans le renversement dialectique de la belle âme qui se nourrit, chez Hegel, du désordre qu'elle se plait à dénoncer. Quelque chose de cet ordre-là est effectivement dans Dora qui pousse des grands cris en dénonçant les désordres dans sa famille mais qui trouve de larges satisfactions à les dénoncer.

 

Lorsque Lacan voit dans la cure de Dora une série de renversements dialectiques il va là un peu contre la définition que Lagache donne de la psychanalyse, en particulier lorsqu'il affirme que l'expérience analytique est une expérience de sujet à sujet qui ne prend pas en compte les comportements qui font de celui dont on les observe un objet de la psychologie, mais qui prend en compte les paroles du sujet de l'expérience analytique, bien sûr du transfert, et enfin - et çà c'est peut-être une chose qui est extrêmement intéressante - qui conditionne la nature dialectique de l'exposé lui-même, de l'écrit lui-même qui se présente, nous dit Lacan, comme "une scansion des structures où se transmute pour le sujet la vérité et qui ne touche pas seulement sa compréhension des choses mais sa position-même en tant que sujet dans sa fonction, ses objets."

 

Et il ajoute ceci qui me semble dans le cas présent aussi vrai pour Dora que pour Freud dont on pourrait dire que le concept ou la conception qu'il a de l'exposé, la manière d'exposer le cas est identique au progrès du sujet, c'est-à-dire à la réalité de la cure. Et au fond là encore, on a une sorte d'extraordinaire indication sur la manière dont on peut concevoir l'écriture des récits de cas comme suivant non pas se qui se joue au jour au le jour mais comme suivant quelque chose qui est dialectique en son essence même. Or, remarque Lacan, c'est la première fois que Freud donne le concept de l'obstacle sur lequel est venu se briser cette analyse sous le nom de transfert.

 

Il est quand même assez intéressant de souligner que ce soit précisément sur ce texte fondateur de ce concept de transfert, du transfert négatif, que Lacan, pour parler du transfert, va centrer son analyse, sa lecture de Freud alors que, puisque Lacan ne lit Dora que pour parler du transfert, que pour faire une intervention sur la notion de transfert. Il ne parle pas du tout de ce qu'il en est de l'analyse des rêves ou de l'analyse des motions pulsionnelles de Dora ou des mécanismes de défense. Ce qui l'intéresse là-dedans c'est de retrouver finalement chez Freud le texte qui fonde, mais toujours dans une problématique du fondement de la psychanalyse, le concept de transfert comme tel, comme concept, par opposition peut-être à ce qui jusqu'à présent ne s'est présenté chez Freud que comme une notion de transfert et non pas comme un concept.

 

Alors c'est d'autant plus intéressant qu'il choisisse le texte de Dora pour parler du transfert alors que précisément Lagache, donc au même congrès où tous les deux vont parler, ne parle pratiquement pas du texte de Dora mais s'intéresse beaucoup plus aux Remarques sur le transfert qui est un texte déjà plus tardif de 1912 et puis surtout au remaniement de la conception du transfert telle qu'elle est introduit par Au-delà du principe de plaisir. *** Et alors Lagache, étant donné ce qu'on vu de l'intervention de la part de Lacan sur le rapport de Lagache qui lui est un de ces grands rapports comme on en fait dans les congrès internationaux ou en tout cas les congrès de psychanalyse de langue française qui avait pour objet de présenter un état de la question, s'intéresse aux textes tardifs de Freud, à tous les grands textes qui ont traité du transfert comme ceux de Brault, Baling, Reikman, Meichelbaum et autres, alors que Lacan va centrer son attention non pas sur tous ces textes, non pas sur ces grands développements généraux sur le transfert mais sur le texte fondateur, vers retour sur le texte germinatif d'où émerge le concept de transfert. C'est une énorme différence d'approche entre l'approche universitaire qui est celle de tout englober, de bien faire un relevé du terrain et puis l'approche - je ne saurais pas comment la définir d'ailleurs - qui me semble un point d'émergeance d'unee pensée sur un texte finalement qui ne se présente pas comme un texte sur le transfert.

 

Avant de voir comment Lacan dégage la notion de transfert de sa lecture du texte de Freud, je voudrais, parce que çà va constituer une espèce de fond sur lequel les positions de Lacan prennent tout leur relief et aussi parce qu'il fait son intervention dans le cadre de la présentation du rapport de Lagache, passer en revue assez rapidement quelles sont les conceptions que Lagache se fait du transfert. En fait, en 1951, il y a deux textes importants de Lagache sur le transfert, donc que la Société psychanalytique de Paris à laquelle appartenait encore à ce moment-là Lagache, que Lacan a décidé de mettre au programme du Congrès des Psychanalystes de Langue romane.

 

Un premier texte, qui est intéressant à lire d'ailleurs parce qu'il est assez court, est un résumé du second. C'est une présentation qu'il a fait à la Société britannique de Psychanalyse en 1951, qui s'appelle Quelques aspects du transfert et le deuxième c'est le grand rapport qui s'intitule Le problème du transfert. Je vais simplement parcourir, résumer ce résumé qui est quelques aspects du transfert. Le rapport est énorme et beaucoup trop long juste pour pointer quelles sont les positions clé de Lagache par rapport auxquelles Lacan ne va pas complètement se démarquer mais tenir un discours quand même en porte-à-faux. Et c'est très important cette dimension-là parce que les conceptions que Lagache se fait du transfert sont encore des conceptions extrêmement présentes et prégnantes dans certaines vues analytiques et peut-être même dans la conception qu'on peut se faire nous-mêmes du transfert. Il faut bien articuler en quoi les conceptions de Lacan en diffère et en diverge.

 

Tout d'abord, dans son texte Lagache pose que la manipulation du transfert comme indiqué tout à l'heure, est l'élément essentiel de la psychanalyse comme pratique thérapeutique mais dans le même mouvement il rappelle, et là déjà on voit un écart avec la position de Lacan, que dans les dernières décennies la psychanalyse est devenue ce qu'il appelle une psychanalyse de la conduite. On n'est plus du tout dans le même registre que Lacan où on a une psychanalyse du sujet. C'est une expérience dialectique, c'est une psychanalyse de la conduite. Lagache n'est quand même pas behavioriste et par conduite il entend une totalité, il entend quelque chose comme ce qu'on appelle en France le behaviorisme mollaire. Je ne sais pas si çà existe ici mais il entend par conduite une totalité structurée des réponses physiologiques motrices et symboliques d'un sujet ayant une signification. Je crois que c'est le `ayant une signification' qui fait basculer quand même cette visée un peu comportementale vers la psychanalyse puisque pour les behavioristes strictes à la Watson, les comportements n'ont pas à avoir de signification. Alors d'une certaine manière ce que veut dire Lagache - et là encore il sera intéressant de faire une analyse comparative de Lagache et Lacan à cette époque-là - quand il évoque la psychanalyse de la conduite et qu'il évoque la conduite comme un ensemble structuré de phénomènes qui ont une signification, il insiste sur le fait que pour saisir la conduite d'un sujet il est plus important de s'attacher à la manière dont il se conduit - c'est çà qui a de la signification à saisir - qu'au sens apparent de sa conduite.

 

Alors si on reprend dans la conception lacanienne à venir ce dont il est question on pourrait dire que pour Lagache l'analyste a à être plus attentif aux conditions de dénonciation qu'à l'énoncé lui-même, qui est un peu çà que Lagache entend par une psychanalyse de la conduite. Donc on n'est plus dans le registre de la psychologie stricte, on est dans le registre de l'analyse mais avec des variantes par rapport à ce que Lacan pourrait énoncer qui sera beaucoup plus stricte, d'une certaine manière beaucoup plus strictement défini. Et critiquant la notion de transfert comme déplacement d'un fait - c'est la définition classique: on déplace des affects de l'enfance sur la personne de l'analyste; ce serait donc des manifestations affectives de type émotionnel qui seront en jeux dans le transfert dans la définition classique du transfert - Lagache considère que ces déplacements ne font que connoter, dit-il, des aspects partiels d'un cycle de comportements complet, c'est-à-dire motivation, moyen, but, objet et fait. Et le lien des différentes facettes est la signification aux fonctions de la conduite, c'est-à-dire la propriété par laquelle elle réduit les tensions de l'organisme et réalise ses possibilités, d'où l'hypothèse suivante pour Lagache que le transfert est essentiellement un transfert de fonction. Ce sera, par exemple, la défense contre un besoin ou contre une émotion mais qui sera exprimé dans les termes fournis par la situation analytique. Je crois que c'est important ce point-là, le fait que Lagache par opposition Finichel, réduit la définition du transfert à ce qui se passe dans le situation analytique. Il ne voit comme Finichel des transferts partout où il y a deux sujets finalement.

 

Et faisant un assez détour par Freud, Lagache remarque qu'on trouve deux moments dans la conception freudienne du transfert. Tout d'abord, dans un premier temps, le transfert apparaîtrait chez Freud comme une sorte de prédisposition du sujet à réactiver sur l'analyste des tendances et des fantasmes refoulés ainsi que les mécanismes de défense qui maintiennent ses fantasmes et ses tendances refoulées. Et dans un deuxième temps, qui est successif à l'introduction du principe de répétition, le transfert apparaît, surtout quand il est présent sous sa forme négative, comme conséquence du principe de répétition. C'est parce que nous sommes dominés par un principe de répétition que l'on va transférer sur l'analyste, par exemple, des situations antérieurement connues ou antérieurement structurées.

 

Et c'est en essayant d'approfondir le lien entre la répétition comme principe et le transfert que Lagache curieusement, c'est bien là qu'il diverge quand même profondément de Lacan, essaie de fonder le transfert sur une découverte de la psychologie expérimentale des années 1920 qui s'appelle l'effet Zeigarnik. Et l'effet Zeigarnik c'est la propriété qu'ont les tâches inachevées d'être plus facilement retenues et plus volontiers reprises. Toutes les personnes qui apprennent le piano savent çà. C'est d'ailleurs un effet assez curieux. J'en parle puisque Lacan en parle quand il fait allusion à Lagache dans le texte. Zeigarnik, c'est le nom de celui qui a mis en évidence cet effet-là et, de crainte qu'on l'oublie (je ne sais pas si c'est luii ou l'effet) lui a donné son nom. A la lumière de cet effet-là donc, il semble de surcroît que l'échec joue un rôle dans la persistence de la tension. A la lumière de cet effet Zeigarnik, le transfert peut être conçu, propose Lagache, comme l'actualisation dans la situation psychanalytique d'un conflit non résolu. Et la blessure narcissique inhérente selon Freud à l'échec de la sexualité infantile n'est pas seulement un motif de défense, elle inspire une exigeance inconsciente de réparation dont la clinique psychanalytique montre souvent qu'elle est la principale fonction du transfert.

 

Alors plutôt que de définir, à partir de cette espèce de définition générale et apparemment pseudo-expérimentale du transfert, des types de transfert - on a l'habitude faire transfert positif, transfert négatif - Lagache, toujours en s'appuyant sur la pssychologie expérimentale, définit opérationnellement le transfert en fonction de ses effets. C'est-à-dire qu'il parlera d'effets positifs ou d'effets négatifs sur ce qu'il appelle l'apprentissage de la règle fondamentale, c'est-à-dire la possibilité pour l'analysant d'associer librement ou pas. Tout ce qui soustend, tout ce qui favorise l'association libre serait transfert d'ordre positif et tout ce qui viendrait freiner la libre association serait transfert négatif. Tout çà bien sûr uniquement à saisir dans le strict cadre de l'analyse. Je crois qu'il est important de limiter quand même chez Lagache, comme chez Lacan d'ailleurs, cette limitation du concept du transfert à ce qui se passe dans l'analyse. C'est d'ailleurs quelque chose que Leclerc, qui était à New York il y a quelque temps rappelait, à savoir que c'est par un abus total de notre langage par un espèce de déplacement indu du langage psychanalytique dans la vie courante qu'on parler de transfert, par exemple comme ici on pourrait supposer qu'on faisait des transferts sur Jacques pendant qu'il nous parlait de Dora. Cà n'a aucun sens. Pour Lacan, pour Lagache, pour Leclerc maintenant, le transfert comme concept n'a de sens que dans le cas de la situation psychanalytique. Pas pour Freud, mais pour Lagache.

 

Autre personne: (168)

 

François Peraldi: Oui, et c'est peut-être tout ce qui fait la différence entre une notion et un concept. Je veux dire que quand on le voit partout ce n'est plus qu'une notion, çà sert à désigner quelque chose de vaguement phénoménologiquement observable. Quand on le saisit dans l'analyse toujours avec la pensé que l'analyse peut être une science, en tout cas dans cette période-là, on l'élève si on peut dire à la dignité d'un concept. C'est-à-dire que là il doit avoir un sens défini par rapport à l'ensemble des concepts qui sont mis en jeux dans la pensé psychanalytique. Dans ce sens-là, c'est un peu la même question pour tout ce qui concerne l'analyse. Est-ce qu'on peut parler d'un conscient en dehors de l'analyse, est-ce qu'on peut parler de résistance en dehors de l'analyse et est-ce que çà a le même sens partout? Est-ce qu'il y a une spécificité de l'analyse ou pas. C'est sûr que les conditions dans lesquelles se construit le transfert au sein de l'analyse, ces conditions-là ne sont jamais réunies dans la vie courante.

 

Autre personne: Elle ne sont jamais réunies mais est-ce qu'on ne peut pas les retrouver à un certain moment donné? En fait de quoi est-ce qu'on parle quand on en retrouve des éléments sans qu'elles soient toutes réunis. Comme par exemple quand il parle de de la façon dont les gens __________(187). Il explique que des gens ne comprenaient pas et, petit à petit, avec le temps, plus de gens l'ont lu, l'ont relu, et il dit c'est tout comme si vous-mêmes aviez graduellement _________ (192).

 

François Peraldi: J'ai l'impression que c'est un peu par une sorte d'abus, sans vouloir faire un procès d'intention, d'étendre comme çà le langage de la psychanalyse qui est déjà si difficile à cerner au sein même d'une situation qui est quand même très strictement définie, la situation analytique, de le transposer dans le champ général où le nombre de paramètres qui entoure la dite manifestation est tel qu'il est extrêmement difficile d'en dégager la spécificité d'une certaine manière. Parler de transfert sur Beaudelaire, parler de transfert pour que les gens disent "Je ne comprends rien, c'est incompréhensible", çà ne sert à rien dans la mesure où le transfert dans l'analyse ne sert pas du tout à çà, ne désigne pas du tout le même type de phénomène et où, de surcroît il n'a de sens dans l'analyse que parce qu'il permet d'opérer une fonction, un travail extrêmement spécifique, précis. Ce serait simplement de ne pas confondre l'utilisation du transfert comme concept et l'utilisation du transfert comme notion mais en faisant quand même une démarcation très stricte, et au fond c'est pour que la confusion ne se fasse pas, j'imagine, un peu contre Manonie, qui lui ne la fait pas mais qui peut prêter à une sorte de vulgarisation extrême du langage de la psychanalyse. Des transferts on en trouve partout. J'ai un transfert négatif sur Mulroney parce que je ne peux pas supporter sa fiole ou j'ai un transfert positif sur Trudeau parce qu'il me fait rigoler. Cà n'a aucun sens.

 

Autre personne: ____ (217)

 

François Peraldi: Non, bien sûr, mais c'est le risque à partir du moment où tu sors des limites extrêmement précises de l'analyse, en tout cas les positions de Lagache et Lacan. A vrai dire, je me suis fait un petit peu bûcher le nez par Leclerc quand il a fait cette déclaration sur le fait qu'on pouvait décemment parler de transfert que dans l'analyse, parce que je lui racontais que quand on est arrivé, on s'était levé le matin à cinq heures d'ici pour prendre le premier avion aller à New York écouter Leclerc et revenir à Montréal le soir. Je lui disais que si vraiment on pouvait véritablement voir-là la manifestation du transfert pour faire des choses comme çà quand on a plus 17 ans. Alors il avait gentiment souri et dès qu'il a pris la parole sur les transferts, il n'a pas manqué immédiatement de dire qu'on parle de transfert à tort et à travers.

 

Autre personne: Puisqu'on parle de transfert, on pourrait insister sur le fait que dans la situation le transfert naît ou surgit du fait que l'analyste ne doit jamais s'identifier à la personne à qui est destiné le discours du patient et que précisément parce que l'analyste n'est intéressé qu'à déchiffrer l'inconscient. Il ne se confond jamais lui-même, il sait lui-même qu'il ne doit jamais se confondre avec la personne qu'est le patient, avec le discours du patient. C'est de çà que naît _____ (246). Et là on pourrait dire deux choses. Tout ce qui pourrait ressembler à des effets comme ceux qui sont obtenus, tout ce qui pourrait ressembler en tant qu'effets à ces choses-là dans la vie courante pourrait être appelé _____ (251). Et d'autre part il y aurait aussi peut-être à revenir à ce que tu appelles une notion. On pourrait peut-être se dire que la notion de transfert est ____ (255). On a plus tendance à parler du transfert notion lorsque, plutôt que de faire comme Leclerc, c'est-à-dire de définir le transfert comme étant le résultat du fait que l'analyste jamais n'accepte de se _____ (259). Alors ____ (259) si on observait le transfert depuis ce qui se passe chez celui qui parle chez le patient. Là peut-être que c'est facile de trouver dans l'analyse, si on regarde le transfert de ce point de vue là, des choses qui ressemblent à ce qui se passe dans la vie courante et ce qui ressemble au fait, par exemple, de prendre l'avion pour aller écouter quelqu'un à New York. Donc si on met l'accent sur le transfert tel que vu depuis ce qui se passe au pôle du patient, là on pose toutes sorte de _____ (267).

 

François Peraldi: Oui, tout à fait. Juste avant de venir il se trouve que par un hasard extraordinaire dans le travail d'analyse un patient que j'ai a vu des phobies qu'il avait depuis 10 ans et qui était extrêmement embarrassantes disparaître complètement alors qu'elles ne l'avait pas quitté depuis plus de 10 ans. Alors bien entendu il est arrivé avec toutes les manifestations débordantes, larmoyantes, souriantes et béatifiantes du transfert le plus positif qu'on puisse imaginer. Il était devenu: "Vraiment je vous aime tellement, c'est tellement extraordinaire ce que vous avez fait." Bien sûr c'est la dimension transférentielle du style notion. D'abord effectivement je ne suis pas tellement dupe de ce que c'est à moi que çà s'adresserait en pressentant d'ailleurs très bien que derrière ce débordement merveilleux, je vais en prendre pour mon compte un jour ou l'autre. Enfin je vais en prendre pour mon compte pas davantage que je ne le fais là, enfin le ton va varier.

 

Pour en revenir à ses effets transférentiels, le transfert négatif à ce moment-là correspondrait donc à la prédominance des habitudes des pensées du moi qui cherche sa sécurité dans les solution acquises et la réduction des tensions, et le transfert positif correspondrait à la formation d'habitudes nouvelles sur la base des besoins, des émotions défoulées et à l'atteinte d'un niveau de tension optimum favorable à l'expression de soi et à la réalisation des possibilités du patient.

 

Enfin, un dernier point chez Lagache, s'interrogeant sur le rôle de l'analyse dans la détermination du transfert, Lagache rejette l'idée de Fineichel que l'analyste ne serait qu'un pur miroir dont l'absolu neutralité permettrait d'attribuer toute la responsabilité du transfert à l'analysant en termes intra-individuels. Par pur miroir, on pourrait toujours dire que c'est son affaire à lui. Et, tout au contraire, Lagache pose que ce sont les traits négatifs et frustrants de l'analyse - on verra que la position de Lacan et d'autres encore que celle de Lagache et Leclerc - soit le silence, la passivité, le refus de répondre aux demandes, qui déterminent finalement l'émergeance du transfert dans un registre inter-individuel. Lacan lui posera la question non pas dans le registre intra- ou inter-individuel mais de sujet à sujet, ce qui est encore autre chose. Et on peut comprendre dans ce cas, encore que Lagache n'en fasse pas mention, que c'est le transfert négatif qui, en réponse à cette frustration, constituera, comme le dit Lacan, le moment inaugural du drame analytique. D'où l'hypothèse, soutient Lagache, que les régressions successives qui se manifestent dans l'évolution du transfert sont induites en partie par le rôle frustrateur de l'analyste.

 

Alors, bien sûr, toute autre que cette démarche synthétisante et globalisante de Lagache, que je viens de parcourir à toute vitesse un peu comme vous aviez fait pour Egueul (je viens de parcourir un texte de 150 pages), et la démarche de Lacan et son retour aux sources, se fonde, dit-il, sur l'examen des relations dialectiques qui ont constitué le moment de l'échec de cette cure interrompue, c'est-à-dire le moment où Freud a découvert le transfert négatif en trébuchant dessus. Alors je ne vais pas reprendre la lecture de Lacan au pas à pas. J'espère, comme l'a supposé Jacques pour le Dora de Freud, que vous avez lu et relu le texte de Lacan Intervention sur le transfert et que vous l'avez fait d'ailleurs en vous reportant à chaque fois au texte de Freud, ce qui est particulièrement délicat, parce que la pagination à laquelle le texte des écrits renvoie est fausse.

 

Mais quand on le fait, on peut remarquer que Lacan, et c'est inéressant, ne modifie pas bien sûr le texte de Freud, sauf qu'il nomme le moments qu'il constitue. Jacques nous a présenté le texte freudien dans son devenir. Lacan utilise utilise quand même un principe de lecture un peu différent en lisant tout ce dont Jacques nous a parlé comme présenté de façon dialectique. C'est sûr que quand il nomme les moments dialectiques de cette cure, ils nous apparaissent comme moments dialectiques, mais je ne pense pas qu'ils soient apparus comme moments dialectiques dans le récit avant que Lacan ne les aient nommés comme tels. C'est quand même une chose importante à mentionner. Une fois qu'il les a nommés c'est évident, mais c'est tout ce miracle, d'une certaine manière, de ce que Lacan appelle la lecture structurale qui n'est pas une lecture au pas à pas qui est une lecture fidèle, mais réorganisatrice en fonction d'un principe de lecture, le principe étant ici que si l'expérience analytique est dialectique, on retrouvera la nature dialectique dans le texte, dans l'exposé de cas, dans le transfert, etc. Et de la manière dont il le fait, effectivement à aucun moment on a le sentiment qu'il trahit le texte de Freud encore qu'il en donne une lecture certainement différente de celle qu'on peut faire quand on lit simplement pas à pas.

 

Alors je vais simplement rappeler cette série de développements qui sont scandés chacun par un renversement dialectique, et qui sont des développements de la vérité qui est toujours (il n'utilise pas encore ce terme-là) mi-dite chez Dora mais qui, à chaque nouveau développement, tend de plus en plus à passer de la vérité des intérêts du moi, si l'on peut dire, qui sont des intérêts de totale méconnaissance, à ce que pourrait être ou ce que pourrait avoir été la vérité du désir inconscient de Dora, mais qui du fait du mur du transfert demeure pour Freud presque hors d'atteinte (en tout cas, hors d'atteinte dans l'analyse même s'il touche presque après l'analyse à ce qu'il n'a pas touché). Donc des séries de développements qui sont des séries de vérité, si on peut dire, où en fait la vérité à chaque fois passe, tend à se manifester de plus en plus proche du désir inconscient de Dora. Et alors chacun de ces développements se trouve scandé, selon la lecture de Lacan, de ce qu'il appelle des renversements dialectiques, c'est-à-dire puisque pour lui l'analyse est une expérience entre deux sujets, le sujet Freud et le sujet Dora, un changement de la place d'où le sujet parle. C'est çà un renversement dialectique. C'est ce qu'on appelle un moment fécond dans l'analyse.

 

Je vais énumérer rapidement ces moments. Vous vous rappellez le premier développement - on va reprendre un peu les choses, mais très vite, dont Jacques a parlé - le père est un hypocrite; est-ce que Freud est le même hypocrite que le père? Le père est un hypocrite. Il cache la vérité sur ses relations amoureuses avec madame K, laissant Dora, de ce fait, aux prises avec les assiduités de monsieur K. Le premier renversement dialectique, sur le mode égueulien selon Lacan, consiste de la part de Freud à indiquer à Dora qu'elle n'est peut-être pas seulement l'objet de cette situation qu'elle dénonce avec grand scandale mais qu'elle y tient sans doute une position de sujet. Et effectivement deuxième développement d'un autre registre un petit peu plus refoulé de la vérité, si l'on peut dire, ce n'est pas du tout passivement que Dora cautionne qu'elle a décrit mais c'est activement et c'est ce qui permet de mettre en évidence le jeu de ses identifications à son propre père et de la jalousie dont son père est l'objet. Deuxième renversement dialectique après ce registre ou est-ce qu'on s'approche davantage de la vérité ou est-ce que la vérité inconsciente se fait un peu plus jour? On ne le sait pas. Deuxième renversement dialectique, c'est un démasquage, toujours de la part de Freud, de ce qui motive la jalousie. Il lui dit en somme, "Cà n'est pas votre père qui cause finalement la jalousie qui vous envahit mais c'est - Jacques nous l'a indiqué - l'intérêt que vous avez pour votre rivale, le sujet rival, à savoir madame K." Suit un troisième développement - dont Jacques nous a parlé aussi - où à chaque fois on s'approche encore davantage de quelque chose du registre de l'inconscient qui permet la mise en évidence, mais là sur un mode qui est un peu gênant pour Freud, désir homosexuel refoulé de Dora pour madame K. Et alors c'est au moment du troisième renversement dialectique, qui aurait dû dévoilé à Dora ce que masquait son amour pour madame K, que Freud se plante, comme on dit, à la fois sur le fait qu'il n'a pas interprété à temps le transfert et son action dans l'analyse de Dora, mais peut-être aussi parce qu'il ne sentait pas à l'aise, dit-il, face au lien homosexuel qu'il avait mis en évidence entre Dora et madame K. En d'autres termes, il se serait enfargé en quelque sorte dans la technique et le contre-transfert, c'est-à-dire son désir d'être à la place de monsieur K pour Dora et son désir aussi que triomphe en fin de compte l'amour de monsieur K pour Dora, cette espèce de croyance dans les vertus positives de l'amour. Et c'est, remarque Lacan, pour s'être un peu trop mis à la place de monsieur K que Freud, cette fois, n'a pas réussi à émouvoir la cliente.

 

Alors par cette lecture dialectique, vous voyez que l'attention de Lacan ne porte pas seulement sur le contenu du texte mais sur sa structure dialectique tellel qu'elle peut être reconstituée sans que pour autant le texte en pâtisse. Cette lecture dialectique permet à Lacan de situer ce qu'il entend après Freud relu, et c'est çà la technique de lecture de retour à Freud de Lacan, de relecture à Freud, qui lui permet de situer ce qu'il entend par transfert. Plus tard, bien sûr, il remarque que ce que l'on peut dire du transfert dans le cas de Dora, ce n'est certainement pas seulement une entité relative au contre-transfert de Freud mais c'est en fait deux choses de transfert. D'abord en tant que transfert négatif, il s'agit de l'apparation de la manière dont le sujet constitue habituellement et depuis toujours ces objets dans la dimension du leurre, d'ailleurs dans le registre du moi, c'est-à-dire la dimension de la demi-vérité ou du leurre, comme on voudra, propre à chaque période ou moment au sein des développements de la vérité qui se développe finalement indépendamment du rôle que s'y donnera l'analyste. Et en fait contrairement au mythe du miroir vide absolument neutre, Freud et Lacan laissent entendre - et c'est ce que Lacan souligne dans des remarques incidentes que fait Freud - qu'au fond, il vaudrait peut-être mieux que, sans s'y laisser prendre, l'analyste prête sa personne au déploiement des images leurrantes du sujet en repérant le sens du transfert, non pas en fonction de ses images ni en fonction du contenu de ses images ni en fonction de l'affectivité du sujet, mais en fonction du moment dialectique de l'analyse où ce transfert se manifeste. Et il vaudrait mieux qu'il fasse çà à la limite plutôt que d'avoir une attitude, par exemple, qui s'opposerait à l'émergeance du transfert.

 

Et c'est intéressant aussi comment Leclerc, tout en soulignant à quel point l'analyste ne doit pas se laisser prendre au fait que ce n'est pas lui qui est l'objet du transfert mais qu'il en est simplement le support, il n'en reste pas moins qu'il offre tout ce qu'il est en même temps à ce que ce transfert prenne ce qui est prise du transfert. C'est un prise de position importante et même Freud dit quelque chose, "Ah, si j'avais joué de cette manière-là, j'aurais transféré sur moi comme sur son père, çà aurait été beaucoup plus facile." Et, effectivement, pourquoi pas? Il se serait prêté au jeu d'une certaine manière. Et là on a une position qui est très radicalement opposée de certains psychanalystes orthodoxes qui prétendent qu'il faut maintenir une facade complètement neutre, de façon générale une facade cathatonique, de prêter ce qu'on a à l'installation d'un transfert leurrant, de déploiement de l'image leurrante tout en sachant très bien que ce n'est pas ce qu'on prête finalement qui compte là-dedans, donc qu'on n'est pas véritablement pris à parti. D'où peut-être ce qu'on a pu reprocher souvent aux lacaniens d'être trop présents. Mais est-ce que çà a du sens d'être trop présent dans les analyses? Donc çà ce serait la dimension du transfert négatif, mais qui n'est pas à entendre comme transfert aggressif; transfert négatif en tant qu'il soustend simplement la prolifération d'images leurrantes. Tout ce que raconte Dora, par exemple, dans la première partie de l'analyse où elle se plaint "il m'a fait çà, vous vous rendez compte le scandale", tout çà ce sont des images leurrantes qui sont soutenues par le transfert négatif dans le sens où justement il permet simplement la prolifération d'un certain leurre pendant un temps.

 

Mais, par ailleurs, donc autre aspect du transfert qui est à prendre en compte aussi en même temps, en temps que transfert positif, le transfert là apparaît comme tout autre chose. Et, c'est intéressant, Lacan le repère seulement dans une remarque de Freud. Il ne le développe pas autant qu'il est développé là, mais il repère quand même quelque chose de particulier. En tant que transfert positif, le transfert ne soustend plus invisible les moments de déploiement des leurres comme le fait le transfert négatif à travers quoi la vérité du désir lentement se rapproche tout en continuant à se dérober, mais par contre le transfert positif ce serait ce qui accompagne, au moment des renversements dialectiques, c'est-à-dire au moment où, par exemple, Freud aurait pu désigner à Dora que madame K était l'objet de son désir mais qu'au-delà de cet objet elle se posait une question une question sur sa féminité, au moment où aurait opéré ce troisième renversement dialectiques, quelque chose du transfert positif se serait manifesté. Donc le transfert positif, ce serait ce qui accompagne, lors des renversements dialectiques, les brusques changements de position du sujet. Disons pour l'instant, par exemple, c'est le transfert dit positif probablement qui a joué dans l'analyse de Dora au moment où la remarque de Freud - je ne sais plus ce qu'il lui dit textuellement - "mais vous n'êtes pas simplement un témoin passif de tout ce que vous dénoncez entre votre père, monsieur K et madame K. Vous y êtes pour quelque chose." Là d'objet passif, elle saute brusquement à une position de sujet actif en disant, "oui, je suis mêlée à cette histoire, je fais même certaines choses, il y a des échanges de cadeaux." Il y a, à ce moment-là, un changement.

 

Alors on pourrait dire que le transfert positif, c'est précisément ce qui s'ouvre au moment où s'opèrent ces changements de position du sujet qu'on pourrait dire pour l'instant dans la terminologie qui est celle de Lacan que ce serait des modifications des rapports du moi et du sujet de l'inconscient. Ce n'est pas exactement les termes qu'utilise à ce moment-là Lacan mais on pourrait les utiliser dans le sens d'un repli des formes de méconnaissance du moi en faveur de l'émergeance par étapes, ici dans le cas de Dora, de la vérité du désir inconscient. On dira plus tard de la vérité du sujet de l'inconscient. Et on pourra voir comment cette conception du transfert positif, qui est ici à peine esquissé - il y a juste une phrase où Lacan y fait allusion -mènera Lacan finalement à distinguer avec beaucoup plus de netteté encore non plus l'opposition de transfert négatif versus transfert positif, mais transfert imaginaire versus transfert symbolique.

 

Et on peut déjà entrevoir qu'à ces deux modalités transférentielles que Lacan évoque peuvent correspondre finalement deux modes d'interprétation du transfert très différents. Lacan suggère, comme ce que Freud aurait pu faire - d'autant plus le suggérer quoique il ne l'a pas fait - au regard du transfert négatif, donc de celui qui permet le déploiement des imagos, d'un certain registre, qu'il appellera plus tard le transfert imaginaire, l'interprétation va ou irait dans le sens du leurre. Et à la limite, elle pourrait aller - c'est en tout cas la position de Ferenczi - jusqu'à mettre en jeu la personne de l'analyse dans le sens de la constitution du leurre, de la constitution des imagos propres au sujet, à condition bien sûr même pour Ferenczi qu'il ne se prête pas à l'analyste pour l'imago, l'objet dont il sera le support. Ce qui semble, là encore, préférable de beaucoup au fait de faire obstacle à la mise en place de ce leurre. Et ces interprétations, si on veut développer un peu - Lacan ne dit pas çà mais je ne pense qu'on s'éloigne beaucoup de ce qu'il est à même à dire à ce moment-là - qui vont dans le sens du leurre, ce serait celles qui ne sont pas à concevoir comme des interprétations du transfert - "ah, vous me prenez pour votre maman" - mais des interprétations... (fin de cassette).

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