JOHN STREET

 

Le 6 mars 1990.

 

 

Bon on va commencer à faire quelque chose. Tout d'abord je voudrais vous indiquer - j'espère que tout le monde ou en tout cas quelques-uns peut-être n'ont pas été prévenus du fait qu'on n'avait pas de séminaire il y a quinze jours - qu'il se passe une chose extrêmement étrange. J'ai une liste de noms de tous les gens du séminaire mais chaque fois que je la sors de l'ordinateur qui me sert de réserve, la liste sort avec tantôt des noms en plus ou en moins. Je n'ai pas encore réussi à comprendre parfaitement ce mystère. Il se peut que lorsque j'ai sorti la liste, je sais que votre nom est dessus parce que vous êtes inscrit, mais le nom a dû être effacé pour une raison bizarre. Cà c'est un mystère total que je ne cherche pas à éclaircir. Mais si par hasard certains d'entre vous sont venus pour rien, je vous prie de m'en excuser, et en tout cas de me le dire parce que peut-être je vérifierai si le nom est sur la liste des participants ou pas. Pour dans quinze jours, on aura une réunion donc ici mais on aura un invité qui est un psychanalyste italien du nom je crois de Contardi, qui est membre d'un groupement lacanien à Milan ou à Rome - on le saura à ce moment-là - et j'ai demandé à ce qu'il nous parle de l'oedipe dans la névrose obsessionnelle. Il nous permettra de rester plus longtemps sur le texte qu'on aurait dû voir ensemble il y a quinze jours, le texte de Lacan Le mythe individuel du névrosé ou "poésie et vérité" dans la névrose. Je trouve que c'est un texte qui mérite qu'on s'y attarde un petit peu.

 

Ce soir je vais dire certaines choses qui sont des élaborations peut-être à partir de ce texte ou parallèles à ce texte, et qui sont liées, vous allez le voir, à un événement extrêmememt ponctuel qui m'a beaucoup frappé et qui a complètement orienté ce que je ne savais pas que je dirais encore ce matin et qui s'est précisé dans la journée. Et donc, on restera ce soir et dans quinze jours sur ce texte. Je vous suggérerais ce que je vous ai déjà suggéré, soit de lire l'analyse de l'Homme aux rats de Freud dont il est question dans le texte de Lacan Le mythe individuel du névrosé, et si jamais vous le possédez de lire le sorte de vertabim que Freud avait fait de ce cas qui est un petit peu différent, même assez différent parfois du compte-rendu qui en a été fait dans les cinq psychanalyses. Il y a deux textes sur l'Homme aux rats. J'ai aussi suggéré à notre invité italien de centrer un peu sa présentation sur le mythe dans la névrose obsessionnelle sur l'Homme aux rats, de façon à ce que çà reste quand même dans les préoccupations qui sont les nôtres en ce moment et qui sont la manière dont Lacan conçoit, puisqu'il s'agit de çà, l'oedipe à travers sa relecture de l'Homme aux rats.

 

Alors, ce soir je vais essayer de ne pas parler pendant tout le temps afin de laisser du temps pour la discussion. Mais je voudrais ce soir relever un point qui me semble tout à fait central dans la thèse soutenue dans ce texte du mythe individuel du névrosé qui est, vous le savez, une tentative comme çà très condensée, très resserrée de réarticuler la conception triadique de l'oedipe et d'en faire une structure de type quaternaire en introduisant dans les trois termes de la structure oedipienne - le sujet, la mère et le père - un quatrième terme qui est la mort et qui a une fonction structurale bien particulière. Alors, je ne vais pas cesser ce que je pense, que la thèse est le thèse central de ce texte et pour l'introduire Lacan le fait en lisant d'une manière particulière qui sera désormais la sienne ce texte de l'Homme aux rats et puis ce remarquable texte de Gueuze qui s'appelle ___________________ (51) "poésie et vérité".

 

Bon, ce que j'ai vais faire ce soir si vous voulez c'est lire un peu longuement la fin du texte de Lacan dans une version qui est un peu différente de celle que je vous ai vendu. Ce que j'ai piraté comme texte pour vous, c'était la transcription de la conférence qui avait été faite dans le cours de Jean Wahl, et en fait il existe une version "officielle" de cette conférence qui a été rédigée par Jacques-Alain Miller. Je ne l'ai pas piraté parce que vous pouvez le trouver dans Ornicar, le numéro 17-18. Alors je vais lire la quatrième partie de cette transcription qui concerne justement la manière dont Lacan situe la mort dans la structure oedipienne. Et puis je vais faire une espèce de développement un petit peu dicté comme çà par des circonstances et parler un petit peu de ce que l'on peut dire de la mort d'un élément structurant dans les relations inter-subjectives. Vous pourrez apprécier d'ailleurs les différences entre le texte de Miller, donc comme vous le savez le texte officiel, et ce que vous avez comme transcription.

 

Le système quaternaire si fondamental dans les impasses, les insolubilités de la situation vitale des névrosés est d'une structure assez différente de celle qui est donnée traditionnellement. Le désir incestueux de la mère, l'interdiction du père, cet effet de barrage et autour la prolifération plus ou moins luxuriante des symptômes, çà c'est la version classique, traditionnelle de l'oedipe. Je crois que cette différence devrait nous conduire à discuter l'anthropologie générale qui se dégage de la doctrine analytique telle qu'elle est jusqu'à présent enseignée. En un mot, tout le thème de l'oedipe est à critiquer. Je ne peux pas m'y engager ce soir, mais je ne peux pas pourtant ne pas essayer d'introduire ici le cas-élément dont il s'agit.

 

Nous pensons que la situation la plus normativante du vécu originel du sujet moderne sous la forme réduite qu'est la famille conjuguale est liée au fait que le père se trouve le représentant, l'incarnation d'une fonction symbolique qui concentre en elle ce qu'il y a de plus essentiel dans d'autres structures culturelles, à savoir les jouissances paisibles ou plutôt symboliques, culturellement déterminées et fondées de l'amour de la mère, c'est-à-dire du pôle à quoi le sujet est lié par un lien lui incontestablement naturel. C'est important ce qu'on a là en 1953, dans la mesure où contrairement un peu à la position extrême de Lévi-Strauss pour qui la nature de l'homme c'est la culture, il y a comme une première indication de quelque chose qui va rester toujours extrêmement lourd, extrêmement complexe chez Lacan qui est la question de ce qu'il reste de la nature dans le sujet. Et pour l'instant en tout cas on peut dire que ce qu'il en reste du naturel, c'est-à-dire de ce qui caractériserait l'homme avant qu'il ne parle, avant qu'il ne soit sujet, avant qu'il ne soit pris dans les règles du langage, c'est quelque chose qui est de l'ordre du rapport à la mère. C'est un point qui est extrêmement intéressant. A ce moment-là, je crois sous mot nature on pourrait entendre pour l'instant une espèce de première nature de ce que deviendra le Réel. Je crois que certes ce qui du rapport à la mère serait vu comme incontestablement naturel, donc échappant quelque part à l'ordre symbolique, c'est je crois ce que l'on peut appeler le Réel. Vous allez voir tout à l'heure que j'essaie d'en faire quelque chose dans ce que je vous apporterai.

 

L'assomption de la fonction du père, en fait cette dimension-là qui apparaît assez claire comme çà, qui resterait quelque chose chez l'homme du naturel dans la relation à la mère, c'est quelque chose qui bien des années après prendra son plein développement donc encore quand Lacan définira la femme comme pas toute, c'est-à-dire pas toute entière prise dans le registre du symbolique, ce qui n'est pas tout entier pris étant du côté du Réel, étant ce qui fait que la femme touche, en tout cas disons pas la femme exactement mais le sujet en position féminine, touche au Réel plus que le sujet en position masculine qui lui fait tout entier dans le symbolique. On verra les problèmes que çà pose d'ailleurs théoriques aussi bien que cliniques la manière très ambigüe dont Lacan tourne autour de cette question et la manière malheureusement sans ambigüité parfois beaucoup tranchée avec laquelle des Lacaniens ont pu trancher et reconnaître une position masculine et une position féminine en ne maintenant pas ce qui ici déjà apparaît, qui est une sorte de position ambigüe disons quant à ce qui de l'homme, du sujet ne serait pas symbolisant. Il faudrait que le père ne soit pas seulement le nom du père mais qu'il représente dans toute sa plénitude la valeur symbolique cristallisée dans sa fonction.

 

Il est clair que ce recouvrement du Symbolique et du Réel est absolument insaisissable, au moins dans une structure sociale telle que la nôtre, où le père est toujours par quelque côté un père discordant par rapport à sa fonction, un père carent, un père lié comme dirait Monsieur Claudel. Il y a toujours une discordance extrêmement nette entre ce qui est perçu par le sujet sur le plan du Réel et la fonction symbolique. C'est dans cet écart que gît ce qui fait que le complexe de vie a sa valeur non pas du tout normativante mais le plus souvent pathogène. On peut se demander où il se situerait ce père-carence ce père lié si lui aussi serait plus du côté de la nature que du côté du symbolisme, serait plus du côté du Réel que du côté du Symbolique. Cà c'est une question. Ce n'est là rien dire qui nous avance beaucoup.

 

Le pas suivant qui nous fait comprendre ce dont il s'agit dans la structure quaternaire, structure de l'oedipe entrevue par Lacan amenée à quatre, et ceci qui est la seconde grande découverte de la psychanalyse pas moins importante que la fonction symbolique de l'oedipe, la relation narcissique. La relation narcissique au semblable est l'expérience fondamentale du développement imaginaire de l'être humain. En tant qu'expérience du moi, sa fonction est décisive dans la constitution du sujet. Et là vous savez que par relation narcissique, Lacan entend beaucoup ce qu'il a introduit lui sous les espèces du stade du miroir que ce que Freud a introduit sous le terme de narcissisme. Qu'est-ce que le moi sinon quelque chose que le sujet éprouve d'abord comme à lui-même étranger à l'intérieur de lui. C'est d'abord dans un autre plus avancé, plus parfait que lui que le sujet se voit. En particulier il voit sa propre image dans le miroir à une époque où il est capable de l'appercevoir comme un tout alors que lui-même ne s'y trouve pas comme tel mais vit dans le désarroi originel de toutes les fonctions motrices et affectives qui est celui des six premiers mois après la naissance. C'est un résumé extrêmement dense comme çà de la conception éphémère du stade du miroir, c'est-à-dire de la relation narcissique.

 

Le sujet a toujours ainsi une relation anticipée à sa propre réalisation qu'il rejette lui-même sur le plan d'une profonde insuffisance et témoigne chez lui d'une fêlure, d'un déchirement originel, d'une _________(138) pour reprendre le terme __________ (138). C'est en quoi dans toutes ses relations imaginaires c'est une expérience de la mort qui se manifeste, expérience sans doute constitutive de toutes les manifestations de la condition humaine mais qui apparaît tout spécialement dans le vécu du névrosé. J'insiste sur la dimension généralement humaine comme çà de la présence de la mort dans, comme dit Lacan, toute manifestation de la condition humaine. C'est en quoi dans toutes les relations imaginaires, c'est une expérience de la mort qui se manifeste, de la mort étant du côté de ce qui s'appréhende du sujet quand il reconnaît son moi dans l'autre plus parfait, plus achevé, lui-même s'y trouvant comme morcelé et mortel ou en tout cas appréhendant la mort dans cette espèce de dissymétrie. C'est en quoi dans toutes ses relations imaginaires, c'est une expérience de la mort qui se manifeste, ce que j'avais essayé de rendre évident en lisant le poème de Valérie Fragments de Narcisse, mais on voit comment la mort la sollicite aussi cette relation narcissique. Expérience sans doute constitutive de toutes les manifestations de la condition humaine mais qui apparaît tout spécialement dans le vécu du névrosé.

 

Si le père imaginaire et le père symbolique sont le plus souvent fondamentalement distingués, ce n'est pas seulement pour la raison structurale que je suis en train de vous indiquer mais aussi d'une façon historique contingente particulière à chaque sujet. Dans le cas des névrosés, il est fréquent que le personnage du père par quelque incidence de la vie réelle soit dédoublé, soit que le père soit mort précocément, qu'un beau-père s'y soit substitué avec lequel le sujet se trouve facilement plus fraternisée qui s'engagera tout naturellement sur le plan de cette virilité jalouse qui est la dimension agressive de la relation narcissique, soit que ce soit la mère qui ait disparu ou que les circonstances de la vie ait donné accès dans le groupe familial à une autre mère qui n'est plus la vraie, soit que le personnage fraternel introduise le rapport mortel de façon symbolique et à la fois l'incarne d'une façon réelle. Très fréquemment, comme je vous l'ai indiqué, il s'agit d'une ami comme dans l'Homme aux rats, cet ami inconnu et jamais retrouvé qui joue un rôle essentiel dans la légende familiale. Vous vous rappelez à quoi il est fait allusion, c'est à propos du père de l'Homme aux rats qui, dans la saga ou le roman familial de l'Homme aux rats, a volé une somme d'argent qui lui était confiée alors qu'il était à l'armée et alors qu'il risquait gros, probablement le conseil de guerre, quelque chose comme çà, un ami lui a prêté l'argent et il se trouve que le père n'a jamais pu rembourser cet argent à cet ami car l'ami a disparu. Alors cet élément du roman familial joue un rôle très particulier dans la névrose obsessionnelle de l'Homme aux rats puisque elle est l'espèce de germe qui va susciter cet espèce de mythe tout à fait invraisemblable par lequel l'Homme aux rats essaie de rembourser une dette qui n'est pas bien sûr celle du père mais qui a avoir avec celle du père selon un scénario tout à fait rocambolesque et tout à fait invraisemblable d'ailleurs.

 

Tout cela aboutit au purgatoire mythique. Il est réintégrable dans l'histoire du sujet et le méconnaître c'est méconnaître l'élément dynamique le plus important dans la cure elle-même. Nous en sommes ici qu'à le mettre en valeur. Le quart-élément quel est-il? Eh bien, je le désignerais ce soir en vous disant que c'est la mort. La mort est parfaitement concevable comme un élément médiateur. Avant que la théorie freudienne ait mis l'accent avec l'existence du père sur une fonction qui est à la fois fonction de la parole et fonction de l'amour, la métaphysique ________ (173) n'a pas hésité à construire toute la phénoménologie des rapports humains autour de la médiation mortelle, pierre essentielle du progrès par où l'homme s'humanise dans la relation à son semblable. Et on peut dire que la théorie du narcissisme tel que je vous l'ai exposé tout à l'heure, rencontre de certains faits, reste énigmatique chez Egueul. C'est qu'après tout pour que la dialectique de la lutte à mort, de la lutte de pur prestige puisse seulement prendre son départ, il faut bien que la mort ne soit pas réalisé car le mouvement dialectique s'arrêterait faute de combattants. Autrement dit il ne faut pas que la mort soit réelle. Il faut bien qu'elle soit imaginée. Et c'est en effet de la mort imaginée imaginaire qu'il s'agit dans la relation narcissique. Et probablement d'une certaine manière bien qu'Egueul ne le précise pas dans la dialectique du maître et de l'esclave, la peur de la mort étant peur de la mort imaginaire, la mort en question pourrait être imaginaire, c'est intéressant de voir comment ici Lacan éguélianise Freud d'une certaine manière mais en même temps lacanise Egueul en introduisant dans la conception de la mort chez Egueul le principe des trois catégories et en faisant une distinction ici en tout cas entre la mort réelle et la mort imaginaire, la mort imaginée. Tout à l'heure j'ajouterai quelque chose à cette distinction-là.

 

C'est également la mort imaginaire et imaginée qui s'introduit dans la dialectique du drame oedipien, et c'est d'elle qu'il s'agit dans la formation du névrosé et peut-être jusqu'à un certain point dans quelque chose qui dépasse de beaucoup la formation du névrosé, à savoir l'attitude existentielle caractéristique de l'homme moderne. Il ne faudrait pas beaucoup me pousser pour me faire dire que ce qui fait médiation dans l'expérience analytique réelle, c'est quelque chose qui est de l'ordre de la parole et du symbole et qui s'appelle dans un autre langage un acte de foi. Mais assurément, ce n'est ni ce que l'analyse exige ni non plus ce qu'elle implique. Ce dont il s'agit est bien plutôt du registre de la dernière parole prononcée par ce Gueute, non ce n'est pas pour rien croyez-le que je l'ai amené ce soir à titre d'exemple. De Gueute, on peut dire qu'il a par son inspiration, sa présence vécue a extraordinairement imprégné, animé toute la pensée freudienne. Freud a avoué que c'est la lecture des poèmes de Gueute qui l'a lancé dans ses études médicales et a du même coup décidé de sa destinée. Mais c'est là peu de choses auprès de l'influence de la pensée de Gueute sur son oeuvre. C'est donc avec une phrase de Gueute, la dernière, que je dirais le ressort de l'expérience analytique avec ces mots bien connus qu'il a prononcé avant de s'enfoncer les yeux ouverts dans le trou noir, "mer licht", "lustre de lumière".

 

Lorsque au début de ce texte, donc le mythe individuel du névrosé, Lacan essaie de situer la psychanalyse - vous savez que c'est une question qui ne va jamais le lâcher, qu'il ne lâchera jamais mais à laquelle finalement il ne répondra jamais non plus de façon, je dirais, définitive et explicite - il la place parmi les arts libéraux plutôt que parmi les sciences d'une part ou on pourrait les arts et métiers d'autre part. C'est-à-dire que d'une part la psychanalyse ne peut pas prétendre encore à ce moment-là à sex yeux être une science. La question qu'il se fera poser c'est à quel titre la psychanalyse pourrait-elle être une science jusqu'à ce qu'il renverse la question et en fasse le discours dont l'objet serait justement le sujet de la science.

 

Et d'autre part, déjà d'emblée on avait dans des textes même antérieurs à celui-ci, Lacan réfute véhémentement l'idée d'une psychanalyse qui serait une simple technique où certains trucs artisanaux comme çà pourraient se transmettre d'analyste à analysant et ainsi de suite. Il pourrait être appliqué, non qu'il rejette complètement d'ailleurs cette dimension technique mais çà n'est pas, dit-il, l'essentiel. Il faut dire que quand on lit ce texte dont on a déjà parlé ici de Pierre Rey sur l'analyse avec Lacan on s'apperçoit que Lacan, tout comme un autre d'ailleurs, balance dans l'analyse de Pierre Rey des trucs techniques gros comme le bras, et vas-y avec le surmoi et vas-y avec le ça, des interprétations qui peuvent avoir une aspect purement technique, purement de la salade psychanalytique. Alors pourquoi place-t-il, pour revenir au texte, la psychanalyse dans les arts libéraux tels qu'on les entendait autrefois parce que ceux-ci se caractérisaient dit-il de maintenir au premier plan ce qui peut s'appeler un rapport fondamental à la mesure de l'homme. Et la psychanalyse, dit-il, est actuellement la seule discipline peut-être qui soit comparable à ces arts libéraux pour ce qu'elle préserve de ce rapport de mesure de l'homme à lui-même, rapport interne - et là encore c'est une thèse fondamentale chez Lacan - fermé sur lui-même, inépuisable, cyclique que comporte par excellence l'usage de la parole, ce en quoi l'expérience psychanalytique n'est pas décisivement objectivable. En effet, pourquoi?

Bien, parce qu'elle implique toujours au sein d'elle-même cette expérience, l'émergeance on pourrait dire en train de se faire -l'émergeance, il faudrait garder le verbe dans son mouvement d'émergenace et non pas quelque chose qui aurait émergé - l'émergeance d'une vérité qui en fait ne peut être dite comme telle, ne peut être désignée dans la mesure où cette vérité - et là il faudra revenir un jour sur les différentes conceptions de la vérité chez Lacan - elle n'est pas dite par la parole mais elle ne peut apparaître que dans l'acte même de dire, et que par ailleurs ce dire veut tout dire sauf la parole elle-même. Je crois que ce point-là restera toujours tout à fait central chez Lacan. Il le résumera d'ailleurs dans une formule qui apparaîtra beaucoup plus tard quand il dira qu'il n'y a pas de métalangage, il n'y a pas de parole sur la parole, toute parole est parole de plein titre et c'est dans l'acte même de parler que de la vérité émerge mais sans qu'elle soit à aucun moment détachable de la parole qui l'a fait émergé. Comme il n'y a pas de parole sur la parole, il ne saurait y avoir de parole sur la vérité. C'est ce qui apparaîtra de façon très nette quand il aura comme çà avec Montalis qui ne cesse de lui demander de dire la vérité. Alors Lacan pourra dire: vous me faites la dire la vérité, sauf qu'il ne peut pas la dire autrement qu'en parlant, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être saisissable que dans l'émergeance de son dire.

 

Alors c'est un peu en m'appuyant là-dessus, sur ce que je viens d'évoquer comme çà, de sortir les caractéristiques de l'expérience analytique et qui ferait d'elle un "art libéral", je vais essayer afin de faire résonner ce soir cette vérité, et la vérité en particulier concernant la structure de l'oedipe, qui émerge dans le texte de Lacan ou plutôt qui serait me semble-t-il davantage saisissable dans le mouvement de sa parole telle qu'elle est transcrite dans le texte que je vous ai fait tapé même si cette parole - car je crois bien qu'elle ne fait que sembler prendre appui sur le texte de Freud ou Gueute. Alors bien sûr pour faire résonner cette vérité je ne vais pas dire ce qu'elle est, ce qu'il dit, puisque c'est impossible mais je vais vous parler de quelque chose qui semblera m'impliquer beaucoup plus qu'il ne conviendrait à un analyste de s'impliquer publiquement. Mais justement c'est peut-être le seul moyen de faire surgir cette vérité qui se manifeste au sein de ce rapport inter-subjectif qui nous fait homme et femme.

 

Alors il se trouve donc que j'ai appris ce matin la mort d'un peintre canadien qui s'appelle John Street, que vous ne connaissez sans doute pas parce qu'il a quitté le Canada il y a longtemps et que de surcroît ce n'était pas un peintre québécois, qu'il a arrêté de peindre il y a à peu près une dizaine d'années au moment où il a quitté le Canada et où il est allé s'installer en Californie, et d'une certaine manière, à mon sens, c'est un bon peintre. Enfin, pas un peintre peut-être de la qualité d'un Picasso ou d'un Francis Bacon, mais c'est certainement un peintre de la qualité, pour ceux qui connaissent un peu la peinture moderne ou les peintres qui ont été très bien connus dans les années 1970. Donc c'est un bon peintre. On pourrait voir dans le fait que c'était un bon peintre dans le fait qu'il a de ses tableaux - tableaux, j'en parlerai tout à l'heure d'un genre un peu particulier - dans beaucoup de musées: au musée d'art comtemporain ici, à la gallerie nationale à Ottawa, dans des musées européens; il a fait beaucoup d'expositions à New York, à Amsterdam, à Toronto, à Montréal, etc. Donc, un peintre qui a été assez actif de 1965/68 à 1978.

 

Malheureusement d'une certaine manière c'est un peintre qui n'a jamais eu vraiment la cote commerciale qu'à mon sens il aurait dû avoir peut-être parce que c'est quelqu'un - certains d'entre nous ici l'ont connu personnellement - dont je dirais que le narcissisme était beaucoup trop fragile, beaucoup trop souffrant pour pouvoir affronter ce monde que vous ne connaissez sans doute pas mais pour ma part que je connais bien, qui est un monde absolument, fondamentalement, essentiellement, radicalement abject, qui est le monde du marché de la peinture. Peu de mondes qui égalent en abjection ce monde-là. Et il faut le croire pour y survivre, il faut la solidité narcissique tout à fait extraordinaire que peuvent des gens comme Dalhi. Pas besoin de faire un long discours sur le narcissisme de Dalhi, de Picasso ou de Francis Bacon, encore que Francis Bacon, c'est beaucoup plus souffrant, beaucoup plus fragile, mais il y a une violence narcissique chez Bacon phénoménale qui lui permettait de survivre au contacts avec les marchands de tableaux. Chez John Street c'était quelque chose qui n'était à toute fin pratique pas du tout possible, quelqu'un qui était beaucoup trop fragile justement sur le plan du narcissisme mais beacoup trop prêt comme çà à se dissocier, à voler en éclats.

 

Donc John Street est mort la nuit dernière à la l'âge de 47 ans et si j'en parle, vous allez voir que c'est pour différentes raisons. C'est d'abord parce que c'est bon peintre et qu'il mérite cet hommage; on le dit et on le rappelle au moment où il disparaît. D'autre part c'est parce que pour moi c'était ce que je pourrais appeler un bon ami, c'était un excellent ami, une des premières personnes que j'ai connu quand je suis arrivé au Canada. La rencontre s'est faite sur le fait que moi-même - ce n'est pas quelque chose dont j'aime beaucoup faire état mais il a été une époque de mon passé où je faisais beaucoup de peinture, beaucoup de choses de ce genre - j'avais rêvé dans une de mes identifications imaginaires pouvoir devenir peintre (Dieu merci çà ne s'est pas produit, pour moi et pour le monde des arts mais j'ai toujours gardé comme çà une sorte d'attrait narcissique bien sûr pour le monde des peintres, les artistes-peintres).

 

Donc c'était un bon ami, un bon ami qu'on pourrait un peu comparer au bon ami de l'Homme aux rats justement. Vous savez, c'est ce bon ami quand l'Homme aux rats se fait toutes sortes d'angoisses à savoir que s'il ne fait pas telle chose, des abonimations sans nom - vous savez tous lesquelles - vont arriver soit à son père qui est mort, chose surprenante mais çà lui arrivera tout de même, ou bien à la femme de son coeur. Ce bon ami lui dit: t'en fais pas, faut pas en faire toute une histoire, donc quelqu'un qui est nécessaire, qui était nécessaire à l'époque. Et d'une certaine manière je dirais que quand je suis arrivé ici, John Street a un petit peu joué ce rôle-là. On regardait souvent ses travaux et à cette époque-là quand je suis arrivé, je n'osais pas encore trop écrire, j'écrivais d'ailleurs d'une façon tout à fait abominable, des espèces de trucs extrêmement ornés comme çà, très lacaniennes, très tarabiscotées, totalement incompréhensibles. Et en même temps je n'osais guère écrire et certainement c'est quelqu'un qui est intervenu pour me pousser beaucoup à le faire, soit en me demandant par exemple d'écrire des préfaces pour les catalogues d'exposition qu'il pouvait faire ou bien d'écrire des petits textes que j'ai fait. Alors il y a une espèce de rapport comme çà qui était important. Chacun d'entre nous on a tous une idée d'un livre comme çà qui a ce rôle.

 

Alors je dirais que dans cette amitié il y aurait si vous voulez une dimension narcissique double, d'une part comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je reconnaissais en lui le peintre que je n'avais pas pu ou su devenir. C'était quelque chose de narcissique, de très satisfaisant de pouvoir me reconnaître comme çà dans son travail, là où précisément moi-même je ne pouvais que m'éprouver comme étant inarticulé sur tous les sens du terme. Et d'autre part peut-être ce qui me fascinait plus particulièrement encore dans sa peinture - je ne pense que beaucoup d'entre vous la connaisse mais ceux qui sont venus chez moi ont pu voir dans la salle à manger les tableaux qui sont au mur - c'est que c'est un espèce de mélange de teintes extrêmement subtiles avec quelque chose qui pourrait ressembler à une écriture extrêmement rapide, c'est-à-dire que c'est un art qui a eu toute une effloresence dans les années 1970 où se conjoint quelque chose du maniment de la pâte, de la couleur, de la texture du papier, de craies grasses, de choses comme çà et aussi du geste de l'écriture. Cà ne nous dit rien mais çà évoque le tracé de l'écriture. Donc un art finalement - et j'ai toujours été fasciné par çà - qui conjoindrait et la peinture et l'écriture dans une sorte d'ensemble - en tout cas en ce qui me concerne - extrêêmement harmonieux et extrêmement cohérent, ce qui est rare.

 

Francis Bacon dont je parlais tout à l'heure a essayé après dans les années 1980 de conjoindre un peu le tracé de la lettre avec certains tableaux mais, à mon avis, çà n'a pas été très convaincant. Cà ne compte certainement pas parmi ses meilleures toiles.

 

J'aurais dû vous parler ici aussi d'un autre peintre qui m'a énormément fasciné en Hollande, qui s'appelle Heybour et qui peignait des toiles - là encore çà me fascinait et là encore on est dans une projection de type narcissique de type imaginaire car mon rêve à l'époque çà aurait été de peindre un mur de briques qui aurait eu l'air vivant (des fantaisies tout à fait irréalisables bien sûr) - qui ressemblaient aux murs de plâtre très vieux qui ont été délavés, qui sont complètement ravagés par l'humidité et qui ont parfois des aspects visuels extraordinairement beaux. Alors il peignait des choses comme çà (je ne pense pas qu'il soit mort) et sur ses espèces de tableaux un peu de la taille des vitres qui sont dans le fond, on avait l'impression de quelque chose en plâtre moisi comme çà et surgissait du plâtre comme ci çà avait été peint sur le mur sous le plâtre des lettres, des mots qui ne ressemblaient à rien sauf qu'à les lire phonétiquement on s'est apperçu que çà évoquait des mots d'anglais alors que Heybour ne parle que le Hollandais. Après un long travail d'analyse et de recherche on s'est apperçu qu'en fait ces mots qui ressurgissaient comme à travers le plâtre moisi étaient des mots que Heybour aurait probablement entendu dans la première année de sa vie. C'est vraiment quelqu'un qui a eu une vie sociale épouvantable, il a été jeté comme une merde quand il est né, il a été ramassé par une Anglaise qui l'a sauvé, nourri et ensuite, au bout d'un an, qui l'a donné à l'assistance publique. Il a été mis alors dans le réseau des familles adoptives hollandaises, mais cette femme était anglaise.

 

Et c'est fascinant de voir comme à travers, si j'ose dire, le plâtre du refoulement primaire, peut encore surgir chez cet homme des signifiants car ce ne sont que des signifiants à l'état pur qui peuvent émerger à travers cette parole très particulière qu'est la peinture. Voilà qui me fascine profondément pour une raison qui appartiendrait à mon analyse, donc qui n'intéresse personne. Je dis çà simplement pour situer la dimension dans la relation imaginaire cette dimension d'autres stipulaires. On pourrait y ajouter encore que d'une certaine manière John Street pourrait illustrer aussi un peu cette position d'idéal du moi.

 

Il y avait une autre chose que j'admirais énormément chez lui parce que j'en suis totalement incapable, c'est quelqu'un qui créait en détruisant la presque totalité qu'il faisait. C'est-à-dire que ce n'est pas un peintre qui peignait tous les matins de 9 heures à midi et qui après vaquait à ses occupations. C'est un peintre qui apparemment ne foutait rien toute l'année et qui peut-être deux ou trois fois par an pendant quelque chose qui pouvait varier entre 76 heures et 120 heures était pris d'une espèce de moment particulier où il faisait 80-100-150-200 travaux sans s'arrêter, sans dormir, sans manger, dans une espèce de crise intense. Et puis quand il était à bout il s'arrêtait, il se couchait, dormait probablement pendant deux ou trois jours, laissait tout çà et revenait là-dessus, reprenait un par un chacun des 200-300 dessins qu'il avait pu faire et pour lui c'est là que son travail d'artiste commençait.

 

Ce qui est extrêmement intéressant quand on pense à la mort ou à la destruction au coeur même des activités les plus élaborées, les plus belles, c'est que son travail commençait où il commençait à déchirer un par un les travaux qu'il avait faits. C'est-à-dire qu'il essayait d'isoler dans cette masse colossale de travaux deux, peut-être trois ou quatre au plus oeuvres qui lui paraissaient indestructibles. Mais elles n'étaient indestructibles que dans la mesure où toutes les autres l'étaient, c'est-à-dire que finalement il y avait un monceau colossal de détritus et là il n'était pas question du tout qu'on aille lui demander: Donne-moi en un au lieu de le jeter. Non, le travail créateur consistait essentiellement à détruire tout ce qui, pour une raison X, était détruisible, et il n'y avait plus d'oeuvre signables par lui que ce qui n'était pas destructible. Et là encore - je l'ai vu plusieurs fois se livrer à ce genre de travail - autant que dans les moments de production il était comme hors de lui-même si on peut dire et là c'est toute la question de la psychologie créatrice qui serait en jeu, autant dans ses moments de création artistique, c'est-à-dire de destruction de la quasi-totalité de ce qu'il avait fait, il était à ce moment-là d'une attention soutenue, d'une lucidité, d'une sorte de pénétration sur les moindres détails, le moindre grain de couleur, de traces sur son papier, deux attitudes combinées extrêmement intéressantes.

 

Alors çà c'est quelque chose que j'admire également énormément, c'est-à-dire que je mets vraiment en position d'idéal du moi ceux qui sont capables de détruire la quasi-totalité de ce qu'ils ont pu faire. Je pense par exemple parmi les peintres à des gens comme Rouot qui a détruit presque tout ce qu'il lui restait de tableaux ou bien à tous ces écrivains dont c'est ambigü. D'ailleurs la demande de détruire ce qu'ils ont fait comme Kafka, est-ce que ce sont des gens qui demandent qu'on détruise ou qui s'arrangent toujours pour demander à des gens dont ils doivent bien savoir quelque part qu'ils seront totalement incapables de le faire, c'est-à-dire pour des gens comme Malbrog c'était impensable. Malbrog se serait suicidé plutôt que de détruire une seule lettre de Kafka. Mais néanmoins il y a quelque chose que je trouve extrêmement important dans le processus de création.

 

 

 

____________________ (352)

 

 

 

 

C'est difficile de savoir s'il a détruit. Il a détruit beaucoup de choses.

 

 

 

C'est çà que je disais il a détruit et il a voulu _________ (353)

 

 

 

François Peraldi

 

Oui, c'est çà, en même temps il demande à quelqu'un dont c'était évident qu'il n'accepterait pas, mais il y a cette propension de destruction. Elle peut être même très dissimulée. Je pense à quelqu'un comme Picasso dont on peut penser qu'il a conservé jusqu'aux moindres paires à condition que çà ait laissé une trace quelque part (c'est symbolique). Donc tout ce où il a laissé une trace s'est conservé mais curieusement pratiquement toute sa vie, à partir de la fin de l'époque bleue ou rose, donc çà remonte au niveau de la première guerre mondiale, alors que c'est quand même un peintre qui connaissait son métier, Picasso n'a jamais été de faire des bleus pour les yeux qui tiennent. C'est-à-dire que quand il avait fini - et çà je le sais pas par Picasso parce que je ne l'ai jamais connu - il y avait à Paris un très célèbre restaurateur de tableaux qui s'appelait Malaifet et à peu près 70% du travail de Malaifet consistait à refaire les bleus de Picasso pour qu'ils tiennent parce que s'il ne les avait pas refaits, on aurait acheté un tableau de Picasso et dix ans après là où il y avait du bleu, çà serait décollé et il n'y aurait plus eu que la toile, ce qui aurait créé des problèmes. Donc çà fait rigoler et en même temps c'est fascinant de penser qu'il y ait eu au fond de cette oeuvre apparemment la plus prolifique et la moins détruite, un principe central d'auto-destruction. Il était incapable et a toujours été jusqu'à la fin de sa vie tout à fait incapable de maîtriser çà, comme un espèce de point aveugle.

 

 

 

______ (365)

 

 

 

François Peraldi

 

Non, il était horrifié, mais c'est intéressant de...

 

 

 

Cà l'aurait empêché ________ (368)

 

 

 

François Peraldi

 

C'est çà mais dans une espèce de vie dégradée je pense que c'était un sens très aigü de la dégradation de la survie de la...

 

 

 

______ (369)

 

 

 

François Peraldi

 

Ce n'était pas pensable parce que pour lui çà n'était même pas pensable. C'était impensable. Le processus de destruction était complètement actualisé dans sa manière ...

 

 

 

_______ (371)

 

 

 

François Peraldi

 

Peut-être qu'on peut appeler comme çà.

 

 

 

______ (371)

 

 

 

François Peraldi

 

C'est çà, oui, parce que c'est quelque chose qui est la mort dans le sens qu'elle a justement une fonction non pas anéantissante mais une fonction dynamique. Je vais en reparler un petit peu. Je voudrais toucher à la dimension qui me frappe le plus dans cette relation amicale. C'est la manière justement dont sa mort qui est survenue la nuit dernière m'a interpellé. Et je distinguerais à ce moment-là trois morts, là où Lacan n'en distingue que deux, peut-être une troisième mais de façon ambigüe dans son texte. Il y a la mort réelle bien sûr et d'une certaine manière je savais qu'il était malade, donc qu'il avait un processus de destruction des centres nerveux centraux, mais là encore il y a quelque chose qui est toujours extrêmement surprenant, à la fois surprenant et très habitué dès qu'on se penche un peu sur la problématique psychosomatique.

 

C'est que cette maladie très réelle, donc cette mort réelle s'est néanmoins nouée en des points imaginaires, c'est-à-dire que chez ce sujet chez qui les deux parties du corps qui étaient le plus investies, à savoir l'oeil et la main. ________ (382) et l'oeil justement dans le repérage au moment de la destruction du moindre défaut qui entraînait immédiatement la destruction. Eh bien, ce sont les deux points de son corps et qui ont été détruits. Il est devenu aveugle et paralysé de la main droite avant de mourir, ce qui est quand même étonnant quand on pense à la multiplicité extraordinaire des points du corps par où une destruction du système nerveux peut se manifester. Justement dans ces deux points-là je dirais les plus investis par ce qu'il pouvait y avoir d'essentiel chez lui en tant que sujet. Alors d'une certaine manière je savais qu'il était malade donc je savais qu'il mourrait un jour ou l'autre.

 

Cette mort réelle s'est accomplie d'une façon qui est aussi - je voudrais quand même le souligner car cce n'est pas rien, enfin çà va paraître un peu grossier dit comme çà mais çà rejoint un peu ce que j'évoquais tout à l'heure en lisant Lacan à travers ce point par où le sujet touche à la nature, touche au réel et qui est la relation à la mère. Il a eu cette chance comme certains l'ont parfois de mourir dans la compagnie la plus proche, de sa mère, de sa soeur et de sa femme, c'est-à-dire de trois femmes qui étaient là autour de lui à l'exclusion de tout autre et qui peut-être ont créé ce point de nature où la mort peut apparaître comme mort réelle par résorbsion dans le Réel, mais dans le Réel présentifié, je crois, par quelque chose de la présence de la mère, de la soeur et de son épouse. Finalement il y a là quelque chose de très remarquable - d'ailleurs j'ai déjà vu ce que çà pouvait représenter quand justement (je crois que je vous avais parlé à propos du film "Fille et chuchotement) la femme peut apporter à celui qui meurt dans le Réel sa présence en tant que réelle et non pas en tant que symbolisée ou imaginaire. Il se passe à ce moment-là quelque chose d'indicible sans doute mais qui, au moment de la mort, doit être extrêmement important pour que la mort réelle puisse avoir lieu sans trop d'horreur.

 

Une première remarque sur ce que j'appellerais la mort réelle. Face à çà, je n'ai rien à dire, je vais dire simplement qu'étant donné la souffrance qui accompagnait ces derniers mois, on se sent comme soulagé par la mort réelle, et hélas c'est un événement dont on ne sait pas quoi en dire. Mais il s'est passé quelque chose qui est extrêmement étrange dans la journée dont j'étais triste bien sûr comme lorsqu'on apprend la mort de quelqu'un qu'on aime bien, mais cet après-midi - je vais en parler très peu parce que je ne veux pas m'étendre là-dessu mais çà rejoint un petit peu quelque chose qu'évoque Lacan - je dirais que j'ai vécu quelque chose de la mort imaginaire sur un mode très particulier. J'étais en train de marcher, j'allais faire des courses, donc rien d'extraordinaire, quelque chose de très banal, et pendant un temps que je saurais pas vraiment définir, peut-être quelques secondes ou une minute ou deux, j'ai expérimenté corporellement une sorte de désorganisation motrice, c'est-à-dire que je me suis mis à trébucher, à ne plus être très sûr comment on marchait, à avoir d'une certaine manière les jambes coupées, et d'être dans une espèce de stupeur à sentir mes membres un peu atones, et d'avoir le sentiment de perdre le contrôle de mon corps. J'ai dû m'appuyer un moment contre un mur complètement sidéré.

 

Peut-être là la manière dont j'interpréterais cette sorte de petit symptôme extraordinairement fugitif, ç'aurait été justement de me retrouver dans cette relation spéculaire narcissique d'amitié brisée, cassée par la mort de réexpérimenter quelque chose de ce qu'il y a du versant mortifaire de la relation spéculaire dans la perte de contrôle soudain de mon corps au moment où en y pensant je n'avais plus l'image (en plus c'est quelqu'un que je n'avais vu depuis assez longtemps, j'avais de ses nouvelles mais je passais du temps sans le voir) réunificatrice dont il était le support entre autre - ce n'est pas le seul de mes ideaux du moi - en tant qu'un certain type d'idéal du moi, d'autres spéculaires dont le seul fait de penser l'existence pouvait être pour moi un principe réunificateur. Ce qui ne disparaît jamais. Pensez-y, les uns et les autres, en ce qui concerne ceux qui vous servent d'idéaux du moi ou d'autre spéculaires, au moment justement où cette relation est brisée, quelque chose de la mort imaginaire se manifeste, et ce comme tout ce qui est du registre de l'imaginaire dans le corps.

 

Il y a toujours cette chose qu'il ne faut jamais oublier: que imaginaire chez Lacan ce n'est absolument pas imagination gratuite, les imaginations, mais c'est quelque chose qui a avoir avec l'image du corps. Et mort imaginaire, c'est ce qui vient à moment donné comme là dans cette petite expérience cette après-midi, perturber l'image du corps, réintroduire, réactiver quelque chose de ce que Lacan appelle dans le stade du miroir, le corps morcelé. C'était littéralement l'impression que j'avais. Cà n'a pas duré, j'ai rassemblé les morceaux et j'ai recollé tout çà. Alors comment j'ai recollé tout çà?

 

Cà va nous amener à la troisième mort qui est la symbolisation de la mort ou la mort symbolique. Je dirais que névrosé on l'est tous et je le suis au même titre que chacun d'entre vous, mais peut-être que je le suis moins que je l'étais avant mon analyse, que je suis moins que d'autres. Au moment où ce petit symptôme névrotique est apparu, c'est sûr que dans un état névrotique plus grave - encore qu'on peut toujours s'illusionner sur le peu de variété de sa propre névrose - j'aurais très bien pu commencer à délirer complètement et à faire une espèce d'épisode de dissociation, de délire ponctuel dont Lacan souligne qu'il est fréquemment présent dans les structures névrotiques, dans les moments intenses, et on peut très bien imaginer - vous avez presque tous un rapport à la clinique - que justement au moment où la mort imaginaire entre en jeu, se mettent en place à ce moment-là toutes sortes de mécanismes fantasmatiques, de mécanique mal alignée, peut-être même dans certains cas un petit peu délirante. Il suffit de penser à tout ce qui s'est construit - Dieu sait si là le délire s'en est donné à coeur joie - pour en quelque sorte reprendre ce rapport à la mort imaginaire, le cultiver, le travailler. Alors je pense à toutes ces histoires de réincarnation, tout ce qu'on peut imaginer, qui est une production fantasmatique qui en quelque sorte se nourrit de la mort imaginaire, et la nourrit, l'entretient comme élément central de toute la fantasmatisation qu'on peut imaginer qui peut se développer à partir de l'idée de mort imaginaire.

 

Mais justement ce qui m'est venu à ce moment-là - pas sur le moment même mais dans les moments qui ont suivi; j'étais au début de l'après-midi et je ne savais pas du tout ce que j'allais faire ce soir; je m'étais trouvé des subterfuges, je m'étais dit que je demanderais à quelqu'un de parler ou bien on fera un espèce de débat collectif, enfin tout ce qu'on fait tous les professeurs au dernier moment quand on n'a rien de prêt et qu'il faut quand même se présenter; je ne voulais pas non plus annuler le séminaire - l'idée de parler de cette expérience-là justement dans la mesure où elle me semble tout à fait reliée à ce que Lacan introduit d'essentiel dans sa conception quaternaire, quadripolaire de l'oedipe et en même temps en introduisant la mort comme quatrième terme. Et je dirais qu'à partir du moment où j'ai décidé de vous parler de John Street ici, je dirais que soit le processus de dissociation que pouvait provoquer la rencontre avec la mort imaginaire, soit le processus de construction fantasmatique délirante qui aurait pu se mettre en place, se sont trouvés en quelque sorte noués par l'idée de symboliser quelque chose de cette mort sans nier ni la dimension réelle, ni la dimension imaginaire mais de faire accéder la pensée de cette mort à quelque chose de l'ordre du Symbolique. Ce qui me paraît la dimension où la mort retrouve sa fonction la plus dynamique mais pas dynamique dans le sens où il s'agirait d'une dynamique pathogène, destructrice comme la mort imaginaire, mais dynamique dans le sens où tout ce qui tend vers la symbolisation serait de l'ordre de la normatisation - je n'aime pas ces mots mais quelque chose comme çà en tout cas - d'un ressaisissment d'une position subjective.

 

 

Et les idées qui me sont venues à ce moment-là, c'était d'une part d'inscrire la mort de John dans un journal pour que justement il y ait quelque part une inscription de cette mort parce qu'après tout il s'agit de quelqu'un qui a une dimension individuelle mais qui est aussi un artiste canadien qui mérite l'inscription publique de son nom et de sa mort. Et d'autre part m'est venue l'idée de lui rendre un hommage en écrivant un texte - je ne sais pas du tout si çà aura à voir avec ce que je vous ai raconté ce soir qui était plutôt une sorte de parole qui émerge maintenant, qui n'est pas vraiment préparée - Mallarmé a un mot extraordinaire pour çà, il appelle çà un tombeau. Et les tombeaux chez Mallarmé ce sont des inscriptions symboliques, ce sont des symbolisations de la mort, de gens qui pour Mallarmé, ont eu une importance particulière, ont été dans une position d'idéal du moi, voir même dans certains cas dans une position de maître. Un des plus beaux tombeaux qui existent dans l'histoire de la psychanalyse, c'est l'interprétation des rêves. Freud n'emploie ce terme-là mais s'il avait lu Mallarmé, il aurait pu intituler l'interprétation des rêves comme le tombeau de Sigmund Freud. C'est exactement çà. Dans la deuxième préface à l'interprétation des rêves, il signale que ce livre est le deuil de la mort de son père, c'est-à-dire est la symbolisation de la mort du père.

 

Alors en quoi consiste cette symbolisation? Chez Freud, elle consiste à nouer ensemble et les signifiants du père - il y a des rêves qui concernent le père de Freud - et les signifiants propres à Freud et, je dirais, le grand autre en ce sens qu'il est le lieu de tous les signifiants auxquels on ne peut pas ne pas faire appel à partir du moment où on entreprend la tâche de symboliser quelque chose. C'est faire appel à ce moment-là au grand autre, je crois, quand on écrit le tombeau de quelqu'un et c'est aussi, me semble-t-il, dans ce travail d'écriture d'un tombeau, faire advenir celui qui de son vivant aura été essentiellement un petit autre même si en tant que petit autre il a été en position d'idéal du moi, en position idéale, c'est le faire advenir tout entier à la position au grand autre, c'est-à-dire le faire advenir, en ce qui concerne John Street si jamais je réussissais à écrire un tombeau de ce genre, tout entier dans le registre du Symbolique qui n'était pas le registre dans lequel il se cantonnait de son vivant.

 

Donc le grand autre, si vous voulez, il apparaîtrait en tant qu'il serait le lieu qui me fournit ce que Mallarmé appelle les mots de la tribu pour construire mon tombeau, celui que je veux offrir en hommage à ma mémoire à John Street. Alors je ne l'ai pas écrit ce tombeau car je ne suis pas Mallarmé, mais j'ai quand même choisi de vous lire un tombeau de Stéphane Mallarmé justement parce que dans ce tombeau, Mallarmé symbolise la mort de quelqu'un qui pour lui a été non seulement en position d'ami - il ne l'a jamais connu en idéal du moi - mais également de maître, un peu dans cette position que Lacan évoque quand il dit qu'au fond au mieux quelqu'un qui est en position paternelle peut être en position de maîtrise. Quelqu'un qui a été en position de maître, c'est-à-dire quelqu'un qui, aux yeux de Mallarmé, le premier peut-être, a su utiliser de la façon la plus subtile, en tous cas à ses yeux la plus remarquable, le langage dans un registre poétique essentiel, c'est-à-dire un registre où ce qui prime c'est beaucoup plus l'usage du signifiant, l'usage rythmique, musical du signifiant que l'usage de métaphores, d'images poétiques. Donc quelqu'un qui le plaçait extrêmement haut dans son admiration pour sa maîtrise dans le champ du signifiant et un homme - c'est un peu pour çà que j'ai choisi ce tombeau-là - qui par ailleurs, dans le Réel, même qu'il occupe cette position absolument de fard comme dirait Beaudelaire, pour Mallarmé donc de maître du langage comme dirait Mallarmé, était dans la réalité une loque. C'était quelqu'un plus qu'humilié. C'était vraiment une loque humaine, une espèce de déchet alcoolique. C'était Edgar Allan Poe. Alors voilà ce que Mallarmé écrit comme tombeau.

 

En même temps c'est aussi quelque chose que j'ai choisi parce que le tombeau a été écrit comme une sorte préface à une série de traductions que Mallarmé a fait d'un certain nombre de poèmes d'Edgar Poe et c'est important que ce soit en préface de cette traduction parce que précisément quand on traduit on est confronté à cette extraordinaire difficulté de comment transposer justement la dimension signifiante du texte de départ dans un texte d'arrivée alors que vous savez qu'on dit toujours que dans la traduction ce qui se perd toujours c'est le signifiant, ne passe que le signifié. Hors le signifié dans le poème de Poe est strictement sans intérêt. C'est une histoire, la bonne maman, celle que j'ai tellement aimé, la pauvre morte, etc., donc une histoire absolument sans intérêt. Mais toute la difficulté du travail de traduction c'est justement de nouer quelque chose de même combination de signifiants d'un texte de départ dans un texte de réception, une sorte de travail qui rejoint, je crois, tout à fait le travail de Freud quand il loue les signifiants de Sigmund Freud avec les siens en faisant appel aux mots la tribu. Alors en préface à cette série de traductions des poèmes de Poe, voilà ce qu'écrit Mallarmé, donc le tombeau d'Edgar. Vous connaissez tous le premier vers qui est très célèbre:

 

"Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change, le poète suscite avec un glaise nu son siècle épouvanté de n'avoir pas connu que la mort qui l'ont fait dans cette voie étrange. Eux, comme un vile sursaut dydre (491) oyant jadis l'ange donné un sens plus pur aux mots de la tribu proclamèrent très haut le sortilège bu dans le flot sans honneur de quelque noir mélange. __________ (492) hostile, oh grief, si notre idée avec ne sculpte un bas-relief dans la tombe de Poe éblouissante ___________ (493) d'un désastre obscur que ce granit du moins montre à jamais ______ (494) volent, qui blasphèment ______ (494)."

 

Une des questions que me posent la lecture du texte de Lacan - et là-dessus il est singulièrement muet; je ne suis pas d'accord quand il dit que la mort est une force médiatrice dans la dynamique des relations inter-subjectives comme il les appelle encore à ce moment-là - c'est si la mort est médiation comment la met-on en jeu dans la relation analytique, c'est-à-dire comment nous servons-nous de la mort sous sa forme trite? La mort réelle c'est rare qu'on s'en sert mais elle peut se présentifier effectivement et on peut avoir à en dire quelque chose. Comment - pour employer des termes que je n'aime pas, qui sont des termes extrêmement vulgaires - dans le maniement de la cure l'analyste, non seulement prend en compte les formes diverses de la mort - réelle, imaginaire et symbolique - mais met en jeu au même titre qu'il peut mettre en jeu, par exemple, des signifiants quand il ponctue certains signifiants de ces analysants quand il fait une interprétation ou même comme dans certaines analyses où il peut être amené à introduire ses propres signifiants dans la combinatoire signifiante de l'analysant? Ce n'est pas une technique recommandée mais c'est quelque chose qui se fait. Pour le signifiant on peut toujours raconter des tas de choses sur la manière dont on a interprété d'où tel signifiant a pu surgir dont le nom fonctionne comme signifiant, etc. Mais la question et je n'ai pas de réponse à çà - c'est pour çà que je vous ai donné, je ne dirais pas un exemple clinique, ce serait beaucoup dire, mais quelque chose qui me concerne - c'est comment effectivement prend-t-on en compte et utilise-t-on la mort si elle intervient comme médiation dans le travail analytique? C'est quelque choise sur quoi j'aimerais bien entendre certains d'entre vous dire quelque chose, s'il y a quelque chose à dire.

 

 

 

______ (512) quand il parle du dédoublement ______ (513), quand il dit que le père imaginaire et le père symbolique sont le plus souvent _____ (514) et non pas seulement pour les raisons _____ (514). Mais quand il parle de dédoublement il introduit tout de suite la mort réelle alors que s'il devait y avoir dédoublement _______ (515).

 

 

 

François Peraldi

 

Je pense que sa terminologie est encore un peu flottante concernant la mort.

 

 

 

 

____ (516). D'autant plus qu'il revient à la page 17 pour dire que précisément c'est _____ (517). La façon dont il parle de dédoublement du père pour ce qui est du père imaginaire et du père symbolique à peu de choses près çà ne pourrait se produire que dans la mesure où il y aurait la mort du père, où il y aurait quelqu'un d'autre qui tiendrait lieu de _____ (519).

 

 

 

François Peraldi

 

Je crois que pousser un peu, c'est çà finalement, parce qu'il arrivera à dire c'est que le père en tant que métaphore ou en tant qu'assumant une fonction paternelle ne peut le faire que du fait qu'il est reconnu comme mort, c'est-à-dire que le père qui compte dans la structuration de l'oedipe ce n'est pas le père tel qu'on peut l'imaginer avec ses défauts, ce n'est pas le père réel. C'est encore quelque chose où il ne fait pas une distinction très nette dans ce texte-là. Le seul père qui compte, c'est le père symbolique en tant qu'il n'est représenté que par le nom du père, c'est-à-dire en tant que d'une certaine manière si son nom prime, lui est comme mort. C'est un peu çà la position.

 

 

 

_____ (523), là je vais retourner à l'autre page où il parle du père en chair en en os.

 

 

 

François Peraldi

 

Cà c'est un truc sur lequel Lacan ne se prononcera jamais vraiment. On en parlait avec Montrelay il n'y a pas longtemps et elle me disait à quel point finalement chez Lacan il y a une conception du père qui frise le caricatural, c'est-à-dire que, ou bien il y a un père qui au niveau de sa fonction de métaphore paternelle est un père absolument crucial, essentiel, ou bien dans sa dimension réelle c'est une loque. Il y a une espèce d'exagération effectivement qu'il introduit entre le père réel qui serait une merde littéralement ou rien, et ce père symbolique. Alors là bien sûr on est réduit à des conjectures parce qu'on ne sait pas du tout comment Lacan dans la pratique analytique elle-même utilise les différentes versions du père, et bien qu'il ait toujours clamé que le père réel ne sert à rien sauf une fois dans sa vie ne fut-ce que quelques secondes pour soutenir l'image toute puissante du père symbolique, çà laisse quand même énormément dans l'ombre quel peut être la fonction du père réel. C'est sûr que déjà dans ce texte-là cette porte-là est ouverte et sera apparemment résolu par une emphase sur la question de la métaphore paternelle et du nom du père, et une sous-estimation correlative mais jamais vraiment complètement avouée ni complètement désavouée de la fonction du père réel ou du père imaginaire.

 

Le père imaginaire sera souvent rapporté à des images plus maternelles, mais c'est le père réel _____ (535) Lacan. La division de l'image du père, de la mère, du frère ou de la soeur, je la vois comme une sorte d'effet de ce que la relation narcissique a de fondamental dans l'établissement de toute relation quelle qu'elle soit. Si le sujet se trouve clivé, il ne peut avoir en face qu'un autre clivé. En cela la division du père elle est posée comme telle dès le départ si on pose que les premières manifestation de la relation à l'autre sont des relations de type narcissique. L'autre sera perpétuellement du clivé, d'où la répétition de ces images doubles et accentuées en plus d'un restricteur de type obsessionnel: la femme riche, la femme pauvre, le père tout-puissant, le père plié, l'ami extraordinaire, l'ami qui fait des fautes. On a là une espèce de prolifération de relations de type spéculaire et clivant. _____ (541). En fait quand dans une analyse on établit ce qu'on pourra appeler le théâtre imaginaire, de ce que Lacan appelait jusqu'à cette époque-là à peu près les imagos, c'est-à-dire cet espace imaginaire où petit à petit vont pouvoir se nouer comme des points capitaux les signifiants de l'essentiel de l'analyse, ce sont toujours des images fictives. _____ (543)

 

 

 

 

____ (544)

 

 

 

François Peraldi

 

Dans la structure si vous avez quatre poles - la mort, le sujet, la mère et le père - la question c'est peut-être comment ces quatre poles s'articulent entre eux dans un état d'inter-dépendance relative, c'est-à-dire comment la mort va marquer aussi bien le père que le point maternel naturel et que le sujet. Mais je vois pas très bien la question que vous soulevez.

 

 

 

Quand on parle de père symbolique ____ (548).

 

 

 

François Peraldi

 

Si on introduit la mort comme Poe structurale, oui. On se voit comme un pôle en soi et non plus comme quelque chose qui ne serait repérable que du côté du père symbolique.

 

 

 

____ (550). Il m'est arrivé de sentir la présence de la mort avec certaines personnes _____ (551). Dans son discours elle disait qu'elle vivait une période où elle avait peur constamment que les êtres qu'elle aime le plus meurent et elle-même de mourir. Elle ne parlait pas de ____ (552). Il me semblait en cours de séance que la mort était présente quelque part dans la pièce et je pensais justement à cette structure paternelle ____ (553). Je n'ai pas de réponse à ta question mais il m'est venu à l'esprit tout à l'heure que dans la mesure où l'analyste apparaît comme manquant, en manque de quelque chose que surgit cette menace, cette idée de la mort chez ce patient. Je sais que quelques séances auparavant, je lui étais apparue comme pouvant lui mentir, lui faire défaut. Comment l'articuler, comment le faire entrer dans le ____ (557).

 

 

 

_____ (558).

 

 

 

 

François Peraldi

 

Probablement dans les complexes familiaux, c'est encore là mais ce n'est pas dissocié du terme en soi, donc qui est encore dans sa structuration d'un tout quelque chose qui reste quaternaire ou triadique. Je trouve intéressant qu'il isole la mort comme pôle au lieu de la laisser soit du côté de la mère ou du père symboliques, qu'il en fasse une entité structurale en soi. Je crois que c'est la part qui a été effectuée entre cet espèce de formalisation plus grande entre ce qui s'annonce déjà dans les complexes familiaux et ce texte-là. Ce n'est pas encore nettement dégagé sur le plan structural mais je crois qu'on peut le voir à l'oeuvre.

 

 

 

Cà paraît essentiel cette reconnaissance de la mort du fait qu'on est mortels. A ce moment-là çà me paraît essentiel comme une parole qui s'engage entre l'analyste et l'analysant. Mais c'est un parcours de l'analyse d'aller vers cette reconnaissance mais une fois qu'on l'a atteint, sans doute que l'analyse est terminée.

 

 

 

François Peraldi

 

Des fois je me demande d'ailleurs à propos de ce que Lacan insiste sur le fait que les analyses qui sont présentées par Freud - pour celles qui ont eu réellement lieu en tout cas, celle de Dora, du ____ (566), c'est ambigü puisque le père est intermédiaire de l'Homme aux rats et de l'Homme aux loups - sont des analyses qui ne sont pas terminées, c'est-à-dire qu'on peut se demander jusqu'à quel point la symbolisation de la mort a pu s'effectuer, en particulier dans l'Homme aux rats parce que je pense que c'est lui qui se fait tuer à la guerre. C'est-à-dire que quelque part c'est comme si n'ayant pas complètement symbolisé la question de la mort dans son analyse, puisque çà s'arrête avant la mort dans le Réel. C'est peut-être énorme de dire çà.

 

 

 

On entend souvent parler des gens qui...

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