KALI

 

 

- "Allongez-vous ici" lui dis-je en montrant le divan. Elle s'allongea. Je m'assis sur un fauteuil, derrière elle et j'ajoutai.

- "Dites sans contraintes ni retenue les pensées qui se présenteront à vous. Quelles qu'elles soient."

Puis après un temps de suspens.

- "Je vous écoute."

- Elle commença à parler.

 

 

- Sept ans plus tard, elle me raconta un petit événement qui devait constituer le terme de son analyse à mon écoute, je ne dirai pas le point final, car il y eut encore quelques séances après celle sur laquelle je m'arrêterai un instant avec vous, mais ce furent plutôt des points de suspension, quelque chose comme la scène finale du piaillement des survivants who have just witnessed Don Juan's descent into hell whose howl is somehow the real term of Mozart's opera.

Elle avait passé la journée du dimanche avec son amant, Fabien, chez sa grande amie Martha; in Martha's cottage, by the lake. Although the day was exceptionally warm and clear for the beginning of a Canadian spring, she was not feeling atuned with Fabien's and Martha's joyful mood. They were preparing lunch in the house. She was sitting at some distance on the edge of the lake, hearing vaguely the sounds of their voice, the noises of the kitchen at work.

- "Come on, now Nicole, food is ready," shrieked Martha.

- "Start without me, I'll be with you in a minute."

- They started eating and, as she heard the faint noise of their mouth gulping food, licking, swallowing and sucking, she suddenly had a sort of vision that emerged both from her past and from that point toward which she had painfully made her way since the beginning of her analysis. She saw in front of her gaze s'ouvrir comme avec une plainte, un soupir et palpiter une bouche de chair vive, rouge, béante qui faisait des clapements humides de bouche qui avale gouluement, et au-dessus de laquelle se penchait la bouche de son père dont elle reconnut le nez, le menton. Elle ressentit alors la plsu formidalbe des nausées qu'elle ait jamais connue, une reversion de tout son corps comme d'un gant. Toute sa chair du dedans retournée au dehors, pendant que le soupir aurait pris les proportions d'un hurlement dans sa tête. Elle resta là, rigide, figée -- comme elle l'était au moment même où elle me fit ce récit -- pendant un temps indéterminé avant qu'avec l'évanouissement de l'image et du cri elle ne s'affaisse dans l'herbe épuisée, incapable d'articuler une parole jusqu'à ce que la voix impatientée de Fabien la rappelat à l'ordre :

- "Alors Nicole, tu viens?"

 

 

Lorsque son corps sur le divan se fut détendu je dis : "Vous avez vu la bouche de votre père ouverte au-dessus d'un sexe de femme que vous n'avez pas reconnue comme votre mère ou comme qui que ce soit d'autre et vous vous êtes retournée de dedans au dehors pour devenir le sexe rigide qui vous manquait là."

- "C'est impossible!" répondit-elle, retrouvant soudain la voix. "C'est impossible que j'ai vu une chose pareille, le sexe de ma mère, un sexe de femme qui cessait d'être de ma mère au moment où ça jouissait! Mais c'est exactement cela qui est au coeur de tout ce que je pense, de tout ce que j'ai toujours frénétiquement refusé d'être et que pourtant je suis même si c'est impossible. C'est cet impossible-là!"

Quelques jours plus tard et pour la première fois, Nicole, jusque-là frigide, eut un orgasme avec un homme, le sexe ruisselant, ouvert, ouvert à la jouissance féminine à l'Autre jouissance, dans le même temps qu'elle put commencer à faire le deuil de sa mère morte quelques mois plus tôt, et qu'elle entreprit d'écrire un nouveau livre, d'une écriture radicalement différente de ce qu'elle avait écrit jusque-là.

 

 

Ceci ne prélude pas au récit d'une psychanalyse que je commencerai par son terme. Ceci que je viens de vous dire n'a d'autre but que de situer d'où s'origine ce que je vais dire, ce que j'ai à vous dire aujourd'hui : à savoir de l'espace analytique. Quelques soient les discours que je vais traverser, utiliser de manière plus ou moins abusive je ne suis spécialiste d'aucun. Je suis ici pour vous parler comme un homme de désir qui s'est mis à l'écoute pour mieux voir et permettre à celui ou celle que j'écoute et que parfois j'entends de mieux "voir".

Mais déjà ici j'en ai trop dit ou pas assez car il me va falloir préciser ce que j'entends par entendre et ce qu'entendre me permet de voir étant donné qu'ici entendre et voir ne font qu'un.

 

 

Je vais reprendre ce que je viens de vous raconter comme s'il s'agissait d'une scène à saisir dans son ensemble, d'un seul regard aant d'en ré-examiner un à un certains éléments qui, plus que d'autres, appellent un dire.

Dans les milieux analytiques on ne semble guère être d'accord sur la portée des termes qui inaugurent, qui ouvrent en le cernant l'espace analytique. Ceux-là même que profère l'analyste au seuil, à l'ouverture de la première séance. Pour ma part et sans m'en expliquer davantage je ne considère pas les entretiens préliminaires comme participant de l'analyse, ce pourquoi d'ailleurs je ne les fais pas payer. Ils ne me servent qu'à décider si oui ou non j'accepterai de prendre le demandeur ou la demandeuse en analyse et ce, en fonction de critères qui n'ont rien à voir avec des critères techniques d'exclusion concernant l'analyzabilité mais bien plutôt avec le fait que mon désir d'entendre est suscité ou non.

L'Analyse commence lorsque tranchant avec ce qui pourrait constituer les origines de la rencontre, je dis à l'analyzant(e) :

- "Allongez-vous ici" en lui montrant le divan.

- "Dites..." tout ce qui se présente sans choisir, et :

- "Je vous écoute."

Sur ces préliminaires on entend dire toutes sortes de choses et moi-même, il y a encore quelques années à peine, si l'on m'avait demandé raison de cette mise en scène j'aurais été bien en peine de répondre. Certes j'aurais trouvé bien des raisons du genre : "c'est comme ça que ça s'est passé pour moi", Freud nous a légé cette technique et à date elle s'est avérée la meilleure, mais si l'on cherche du côté de Freud, on n'est pas beaucoup plus avancé : c'est parce qu'il n'aimait pas être regardé à longueur de journée.

C'est en lisant non pas un philosophe mais un penseur que le brusquement la portée -- et non pas le sens ni le pourquoi -- de ce que je faisais en amoçant ainsi toute première séance d'une analyse m'est apparue. C'est en lisant -- What is called Thinking? -- Was heisst Denken -- de Martin Heidgger.

Dans What is called Thinking? Heidegger tente de dégager un sens plus fondamental pour le penser que le sens qui s'est imposé dès à Aristote pour triompher à l'ère de la technique et qui est marqué par l'assujettissement de l'acte de penser ou principe de Raison.

Pour ce faire, il s'appuie sur le sens présocratique de deux verbes dont le second est dans l'emprise du premier legein et noein et qui réfèrent à l'acte de penser mais d'une manière bien particulière. Un sens qu'on trouve d'ailleurs également dans l'article intitulé dojos. Au sens propre et de façon originelle legein signifie étendre, mettre en position couchée ou allongée et également rassembler, réunir. Le second sens est celui, mieux connu de dire et parler... kejein c'est donc dire dans le sens de laisser être étendu -- ensemble -- devant tout ce qui est présent. Ce à quoi correspond ce que je fais, ce en quoi si je vous écoute fait écho au tout dire comme le noein ou legein, dans le sen d'en prendre en sa garde, d'en receueillir, d'en abriter tout ce qui aurait été ainsi laissé être étendu ensemble devant dans le dire de l'analysant (La lettre de Mozart). Sans doute, et à la différence du penseur est-ce dans les failles de ce qui est là laissé être étendu ensemble devant que se portera mon attention, dnas les espaces blancs (que Marguerite Duras métaphorise dans ses films par des plages entièrement naïves du film) qui ne sont pas tant l'indication de l'occultation, du caché que de quelque chose d'infiniment plus complexe : l'oubli.

N'est-il pas extraordinaire que par un dire qui est tout aussi bien un geste (ein Wink) j'enjoigne à l'analyzand de dire mais de dire en faisant en quelque sorte comme si le principe de Raison n'existait pas dans le même temps que je me mets en position de recueillir, de prendre garde à ce Dit en le prenant en ma garde sans le rationnaliser ni le juger? N'est-il pas extraordinaire que ce faisant j'actualise le sens originel du ;mot sans doute le plus déterminant, le plus fondamental pour nous autres occidentaux, le mot dojos? Et n'est-il pas encore plus extraordinaire qu'en mettant en acte le sens le plus originel du dojos grec, je verrai petit à petit se déployer ce que des générations d'analystes ont vu se déployer sous leurs yeux : des énoncés, des énoncés mythiques, des énoncés mythiques grecs qui subjuguent ce sujet qu'on nomme l'analysant? Mais enfin n'est-ce pas le comble de l'extraordinaire qu'à date, fussent-ils formalisés dans le plus pur des langages, celui de la topologie selon Lacan, ces énoncés mythiques, formalisés, topologisés ne soient que grecs? Peut-être ne trouve-t-on que des mythes précisément d'ailleurs que parce que mithos à l'origine, pour les Grecs, a le même sens que dojos, le sens -- dit quelque part Heidegger -- de "parole distante".

Il y a là quelque chose qui, il y a quelque temps déjà, m'a frappé comme relevant du plus inconcevable, du plus formidable des oublis. L'oubli de ce que les Grecs appelaient les barbares : nommément ceux qui ne partageaient pas le même dojos -- ni par conséquent -- les mêmes mythes qu'eux ou pour qui le logos voulait dire autre chose que ce qu'il disait aux Grecs.

 

 

Nous en arrivons à la deuxième paatie du récit par lequel j'ai ouvert mon entretin, celle qui concerne la jouissance d'un sexe de femme et -- au-delà -- dans le non représenté de l'image, de cette presque hallucination audio-visuelle, la question de la jouissance de cette chose qui échappait à la représentation.

 

 

Je ne pense pas, et je m'en excuse auprès de nos auditeurs indiens qui trouveront sans doute ces débats sur la jouissance féminine extrêmement surprenants, entrer dans un exposé détaillé des conceptions psychanalytiques de la sexualité. Nous abordons là -- et d'ailleurs depuis le début de nos entretiens -- la question même qui centre ces enretiens, la question d'un extrême danger. Ce danger est évoqué d'une façon absolument remarquable par Heidegger au seuil de son entretien avec un penseur japonais dans "A Dialogue on Language Between a Japannese and an Inquirer". Je crois d'ailleurs pour en avoir lu le Summary qu'elle est au coeur du questionnement de Jacques Derrida sur la traductibilité de Heidegger lui-même en français et les problèmes immenses que soulève la raduction en français d'un mot comme Geschlecht.

Cette difficulté est double, elle est d'une part liée à l'Européanisation frénétique du monde qui, dans le même temps, tend à exclure la cohabitation de ce que je désignerai ironiquement comme les Européens et les barbares. Il tient tout entier dans le fait que nous sommes ici pour dialoguer, mais que si les Européens sont à l'aise jusqu'à un certain point -- pour dire dans leur langue ce qu'ils ont à dire d'eux, leur langue ne leur permet pas de penser ce dont les barbares voudraient leur parler. Je n'en prendrai qu'un exemple lorsque je vois le mot Cakti, à propos de Kali la Cakti de Shiva, traduit en français par épouse. Que nous parlions tous ici dans le langage des Européens l'anglais ou le français, fait que "The language of the dialogue constantly destroys the possibility of saying what our dialogue is about". Ce à quoi Heidegger ferait remarquer "Some time ago I called language, abusively enough, the house of Being. If man by virtue of his language dwells within the claim and call of Being, then we Europeans presumably dwell in an entirely different house than Eastasian (should I say here) Indian man".

But in spite of Heidegger's warning, and as he did himself in his dialogue with the Japanese thinker, we cannot but take the risk. We are here for. We are here not to deny that there is a tremendous risk at stake but to measure its crucial importance, and the vital importance that Europeanisation do not prevail entirely -- but rather -- that in its encounter with Eastasian (Indian) culture, Europeans take the risk -- as Johis Nandy points out in his paper in Confrontation -- to be somewhat "indianised" in the process. This is optimism on his and my part.

Let us then proceed in this direction at my own risks. Although it is possible that the risks at stake are different from those encountered by Heidegger and his Japanese visitor since if there are no common roots between Japanese and German languages, both European languages (namely in our case French and English) and Indian languages in which the myth I wish to talk aboumt has been written derive from common Indo-European roots and belong to the same linguistic family.

The danger at stake is also lessened if we take into consideration the face that myths -- as Levi Strauss splendidly pointed out -- se pensent entre eux reflect back and forth between each other: independently of the languages which speak them. Up to a point they could be cosnidered as constituting as a whole the common language of mankind, une sorte de langue universelle dont les unités ne seraient plus les monèmes et les phonèmes, comme pour la langue saussurienne, mais les mythèmes, pour reprendre un terme avancé par Leroi-Gourbon, qui sont à la fois translinguistiques et transhistoriques, tout autant que peuvent l'être, à un autre niveau de fonctionnement de langage, les Signifiants du Sujet dans l'acception lacanienne du terme, qui peuvent se faire entendre quelle que soit la langue que l'analyzant parle du fait du stock commun de phonème que l'on retrouve dans la plupart des langues. Ce par quoi nous retrouvons, soit dit entre parenthèses, une conception du signe plus proche de Peirce que de Saussure. De Peirce pour qui les Signes se parlent entre eux, l'homme étant ce Signe singulier qui porte témoignage de la conversation des Signes.

Que le discours mythique constitue en quelque sorte la langue dans laquelle l'enfant accède à la parole éclaire la manière dont le petit Hans s'adresse à Freud par l'intermédiaire de son père en élaborant des récit sen quoi Lacan a très précisément reconnu non pas tant des inventions, le bavardage de l'Imaginaire, que des mythes, c'est-à-dire une forme primordiale de symbolisation qui est expressément adressée par l'enfant à celui qui sait l'entendre, à savoir Freud. "Tu diras bien au Professeur..." recommande-t-il à son père qui, avec ses "pourquoi" et ses "parce que" n'entend strictement non à ce qu'énonce son fils, trop occupé qu'il est à en trouver la raison.

Toutefois si les mythes se pensent entre eux alors chaque mythe peut subir les effets de la dénégation, de la condensation, du déplacement et de la forclusion dans les mouvements de pensée qui les agitent. A ce titre il est intéressant de voir quand on parcourt le vaste mouvement historique des idées et des croyances religieuses comment les vagues successives d'invasions aryennes ou indo-européennes, commencées quelques deux millénaires avant le Christ et qui ont balayées également le monde Méditerranéen et l'Inde, y ont comme gommées des religions pré-existentes dans lesquelles le culte de la déesse femme était infiniment plus développé qu'elle ne l'était chez les Indo-européens dont l'organisation sociale était patriarcale et la religion comme -- pour commune chez les Indo-européens -- centrée par un Dieu céleste et paternel. Toutefois la pensée religieuse des Indo-européens n'est pas sans avoir subi toutes sortes de tensions et de remaniements provoqués par la symbiose des orientations religieuses voire antithétiques et de s'être de ce fait diversifiée en fonction des cultures et des mythes assimilés et des modes d'assimilation, de transofmration, de forclusion, de dépréciation voire de resurgences de ces mythes et je pense ici, plus précisément aux mythes concernant la Femme primordiale, la femme originaire.

Grossièrement -- et je m'excuse de ne tracer ici que de la façon la plus schématique ce qui devrait être considérablement détaillé -- il me semble qu'on peut opposer le monde Méditerranéen au monde indien en ce qui concerne le sort fait au Mythe de la femme primordiale dans leurs constellations mythico-religieuses respectives et, donc, à laplace reconnue aux femmes dans les sociétés européennes d'une part, indienne de l'autre.

D'une certaine manière, dans le champ de la psychanalyse, Freud et Lacan dans son mouvement témoignent bien du poids de la configuration mythico-religieuse sur la conception psychanalytique de la sexualité. Et d'une certaine manière toute la virilité exaltée des mythes indo-européens méditerranéens est comme cautionnée autant qu'elle l'éclaire par l'assertion de Freud qu'il n'y a qu'une libido et qu'elle est virile.

De ce point de vue où la féminité vient tard après les arrangements sadique-anal puis génital où l'opposition, la polarité sexuelle "s'énonce ainsi organe génital masculin ou châtré" (Freud, Psychologie collective et analyse du moi), on pourrait entendre la petite hallucination audiovisuelle de Nicole comme représentant son fantasme primordial face à une scène primitive toujours hypothétique : être le phallus là où il manque, au lieu même de la défaillance du père (Nicole pensait son père impuissant) en réversant le tord de sa demande en la trique à faire jouir la mère, ce qui l'engageait sur la voie de la frigidité (La tête de Méduse). C'est d'ailleurs en partie ce que je lui ai dit dans mon énoncé dont la bêtise n'exclut pas pour autant la fonction de symbolisation.

Mais on pouvait aussi essayer d'y entendre dire autre chose, du côté de ce que la conception freudienne reprend d'une méconnaissance des mythes méditerranéens. Tout comme ces mythes virils du panthéon indo-européen ont forclos plus ou moins complètement les mythes d'une Déesse Chtonienne primordiale dont on aretrouvé des traces spectaculaires à Malte mais qui devait être plus ou moins généralisée dans le monde européen et méditerranéen de l'époque mégolithique; le discours psychanalyse a témoigné de l'exclusion de la femme. "La Femme tient lieu de représentation manquante, écrit Myriam Pécaud dans la Matrice du Mythe. Dans l'ombre portée du discours, déroutante et déconcertante, elle renvoit au fait qu'il y ade l'irreprésentable, de l'impensable, que "pas tout" ne peut se dire, "pas tout" ne peut s'assujetir et elle renvoit ici à Lacan qui n'écrit La femme qu'en barrant le la parce que, dit-il dans Encore, "Il n'y a de femme qu'exclue de la nature des choses, qui est nature des mots". On ne peut parler que de jouissance phallique dans la mesure où c'est le phallus en tant qu'il manque qui conditionne l'accès au symbolique. Mais lorsqu'on lit Encore avec quelqu'attention, lorsqu'on se dit qu'après tout -- et ce n'est pas lui faire injure car il nous en a donné mainte indication -- Lacan est peut-être avant tout un auteur comique comme il le dit de Kant et nous montre qu Platon a su l'êre admirablement dans le Banquet, ses attermoiements sur la Jouissance de l'Autre, la jouissance autre que la jouissance phallique, cette jouissance dont il ne faudrait surtout pas que ce soit la jouissance féminine, sont effectivement du plus haut comique ce qui, peut-être, était nécessaire pour que soit prise en compte la possibilité d'une jouissance féminine Autre que la jouissance phallique. C'est peut-être en faisant le dawa sur la question de la jouissance, que Lacan a permis aux énoncés autrement audacieux de Michèle Monrelay sur la sexualité féminine de prendre leur place et de secouer les conceptions figées comme les lingams indiens de la communauté psychanalytique at large, ce qui lui a valu ce type d'agressivité en retour que Rimbaud a si merveilleusement décrit dans les Assis.

On doit à Michèle Montrelay d'avoir insisté sur la Précocité silencieuse de la féminité qui, loin de favoriser une possible maturation lui fait obstacle; et d'avoir reformulé la question de la jouissnce, et du plaisir (donc du refoulement t de la castration) en fonction du corps et de la catégorie négligée par Lacan qui l'a pourtant introduite, du Réel. Tout le problème, dans l'analyse d'une femme, n'est donc pas tout -- comme le voulait Freud -- de lui faire admettre la castration en tant qu'absence du pénis; mais bien plutôt de lui fournir, en l'articulant, un moyen verbal de représentation de sa sexualité qui, du seul fait qu'elle passe dans du discours, assume la castration symbolique qui la sépare et la protège de la jouissance propre au réel du corps qui toujours la menace de ruine.

"il faudrait montrer que le réel du corps en prenant forme à la puberté, en se chargeant d'intensité, de poids, de présence, comme objet du désir de l'amant, ré-actualise, ré-incarne le réel d'un autre corps, celui qui, dans les premiers temps de la vie, était la substance des mots, l'organisateur du désir : celui qui par la suite fait aussi la matière du refoulement archaïque. Se récupérant comme corps (et aussi comme phallus) maternel, la femme ne peut plus refouler, "perdre", l'enjeu premier de la représentation. Comme dans la tragédie celle-ci se trouve menacée de ruine.".

Telle était d'ailleurs la situation de Nicole aux premiers temps de son analyse, hantée qu'elle était par des images de corps déchiquetés, de mondes en ruine, de menaces constantes d'effondrement, de sa totale incapacité de trouver un quelconque plaisir avec un homme qui ne pouvait être qu'un maniaque sexuel ou un impuissant, mais overwhelmed by her love/hate for her mother.

 

 

Contrairement à ce qu'énonce Myriam Pécaud qui fait de l'incorporation, de la Bejalmug primitive, le temps logique premier de la structuration du sujet, il me semble, à lire Freud ou du moins certains énoncés minuscules, que l'incorporation n'est possible pour l'enfant que si elle est précédée d'un temps d'expulsion, un moment d'arrachement de l'enfant au corps à corps symbiotique avec la mère. J'ai fait l'hypothèse que cet arrachement s'opère au moment où se constituent pour l'enfant, la Chose et son lieu propre, le réel. Moment où dans l'Esquisse pour une analyzande, Freud évoque la rencontre de l'enfant avec un Nebenwensch, en l'occurence la mère, qui crie. Rencontre où l'enfant pourra reconnaître les cris en se remémorant ses propres cris mais où ce qu'il ne reconnaîtra pas du Nebenwensch se rassemblera en un tout non-symbolisable : la Chose.

J'ai fait l'hypothèse que cette mère qui crie ou qui geint ou qui soupire et qui n'est pas reconnue comme mère par l'enfant mais als Dung beisannenblabt, c'est précisément la mère lorsqu'elle n'est plus pour son enfant la mère et que son enfant n'est plus quoi que ce soit qui compte pour elle à ce moment-là, à savoir lorsqu'elle jouit de sa jouissance de femme qui îgnorant radicalement l'enfant l'expulse à ce moment-là du corps à corps symbiotique quotidien, pour redevenir la mère incorporable aussitôt après. Temps fondateur. C'est ce temps que peut-être l'analyste doit articuler dans ses propres mots pour que ce moment originaire de la sexualité de l'enfant aussitôt que parlé puisse être oublié. C'est -- me semble-t-il -- ce que j'ai fait en parlant à Nicole de ce sexe de femme jouissant qui n'était pas de sa mère mais d'une femme qui jouissait d'un autre qu'elle, Nicole, mais qui était aussi sa mère.

 

 

Or -- et c'est ici que je voudrais terminer -- cette représentation de l'irreprésentable d'une jouissance féminine d'une femme originaire et dont la jouissance même est la condition de la structuration de la fonction de pensée et de symbolisation de l'enfant par l'expulsion du corps à corps symbolique que l'acquisition de cette fonction présuppose, trouve son mythe, sa forme primordiale de symbolisation dans le mythe indien -- ou l'une de ses versions -- de Kali.

J'ai été très surpris en lisant l'autre soir Moksha de Shudi Kakar du peu de place qu'il accorde à Kali dans sa réflexion sur la conception indienne de la féminité qu'il ramène à la dimension maternelle et à la complexité de la relation mère/fille dans la famille indienne. J'en ai été d'autant plus surpris que Kali est partout présente à travers l'Inde et son culte extrêmement populaire. kali n'est pas d'abord une mère, ni même l'épouse du Dieu Shiva. Elle est la Cakti non seulement du Dieu Shiva lui-même mais au moment de la destruction du Chaos-Buffle -- condition du rétablissement cyclique de l'ordre du monde -- elle est la puissance subsumée et dimultipliée à l'infini par l'ascèse de tous les dieux du panthéon hindou. Et comme telle elle est femme. Ajoutons à ceci que dans certaines versions du mythe, lorsqu'elle détruit le Chaos installé par le Démon-Buffle, elle en jouit d'abord ou en même temps qu'elle le détruit sexuellement. Puis, l'ordre restauré par d'autres qu'elle-même, elle se retire, puissance crainte et vénérée, femme avant que d'être mère. La mère, la bonne mère, dispensatrice généreuse du sein c'est le plus souvent Lakshmi.

Il fallait que cette distruction entre la femme jouissane primordiale et la mère ait été articulée pour que Nicole puisse s'identifier non plus à l'objet du désir de sa mère -- le phallus, la trique défaillante chez le père -- mais au sexe jouissant de la femme pour advenir à une sexualité proprement féminine.

 

 

Tel serait le sens de l'appel à un mythe archaïque d'une féminité originaire qui en Inde a survécu à l'invasion du panthéon viril et maternel si admirablement décrit par Shuchi Kakar et a resurgi à travers l'histoire du développement historique de l'hindouisme sans les espèces du mythe de Kali; afin de compenser ce qui de notre côté du monde a été presque complètement forclos et ne pouvait resurgir de ce fait comme ce fut le cas pour Nicole que sous les espèces d'une hallucination dans le Réel.

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