UN URBANISME QUI DEGENERE

Lorsque les palissades qui dissimulaient le Musée d'Art Contemporain en construction rue Jeanne Mance ont été démontées, les Montréalais médusés n'en ont pas cru leurs yeux. Un mur de béton sans fenêtre, garni d'une fausse colonnade sans toit (afin d'éviter que les sans-abris ne viennent s'y abriter) représente côté rue l'art contemporain et bouche toute perspective sur la Place des Arts. Côté place: un amalgame de blocs de bétons couronné d'une sorte de cage metallique brunâtre. On chercherait en vain une harmonie des lignes, un rythme des formes, une pensée... Quel que soit l'angle sous lequel on la regarde, cette construction abérrante est une insulte à l'Art comme à l'Architecture, un viol de l'espace urbain.

Ceux qui connaissent les côtes françaises auront tôt fait d'être troublés par la ressemblance de ce bloc de béton avec les blockhaus aux murs sans fenêtres que les Allemands avaient construit comme abris militaires pendant la dernière guerre mondiale, l'esprit qui a présidé à ces constructions est le même. Nous avons avec le Musée d'Art Contemporain un exemple repoussant d'architecture d'allure néo-fasciste, à ceci près que l'architecture fasciste, elle, était grandiose et toute faite de marbre. Cette colossale bécosse est ce qu'on appelait à l'Ecole des Beaux Arts de Paris lorsque j'y enseignais : une merde.

Mais cet immondice architectural témoigne hélas admirablement de l'esprit qui anime les urbanistes de la Ville de Montréal. Esprit sinistre, esprit de bureaucrates indifférents, sinon incompétents, esprit populacier plutôt que populaire, démagogique plutôt que démocratique refusant par lâcheté toute forme de responsabilité de telle sorte qu'on y est renvoyé de bureau en bureau dans un cercle infernal, les décisions se prenant toujours ailleurs, dans l'ombre des Appareils de Pouvoir au service des plus riches et non des citoyens. Ajoutez-y, pour remplir la coupe, la sournoiserie, l'hypocrisie, les tractations en douce qui visent toujours à mettre les citoyens, même les plus interessés, devant le fait accompli et vous aurez une idée assez juste des agirs de la Ville de Montréal en matière d'urbanisme. A la mégalomanie d'un vieillard visionnaire et autocratique, a succédé, pour le pire, la mégalomanie voilée d'une bureaucratie médiocre qui favorise les médiocres et popularise la médiocrité sous le falacieux couvert de la récéssion pour en faire le dénominateur commun de tout ce qui'elle réalise. On ne peut être que profondément navré de constater avec quelle rapidité cet urbanisme qui a pourtant favorisé de grands moments d'architecture (les tours de Mies Van der Rohe, le Stade, le Musée d'Architecture) dégénère.

Cette médiocrité sournoises des véritables responsables de l'urbanisme de la Ville se manifeste dans un nouveau projet qui concerne le même quartier que - décidément - ils ont décidé d'anéantir à petit feu malgré les promesses réitérées et les beaux discours de la Mairie sur la conservation du patrimoine. Les citoyens de ce quartier (quadrilataire Jeanne Mance/ Sherbrooke/ Saint-Urbain et Président Kennedy) ont lutté pendant des années avec le plus grand acharnement pour sauver des maisons anciennes qui, pour n'être pas três belles (les plus belles ont été détruites il a longtemps par la rage des promotteurs et la vénalité de la Ville) sont charmantes et confortables. La Ville elle-même (ce n'est pas son moindre paradoxe) et des particuliers y ont englouti des sommes colossales pour les restaurer dans leur style fin de siècle. Elles ont été classées dans le patrimoine national, certaines pour leur façade d'autres en entier et elles sont en principe protégées contre le vandalisme des promotteurs par ce qu'on croyait être la rigueur de système de zonage et des règles de conservation du patrimoine. On espérait en faire un qquartier résidentiel et voué aux Arts. Le quadrilataire aurait pu devenir un espace vert (Montréal est une des villes qui en compte le moins en Amérique du Nord), ou, si une construction devait y prendre place on aurait pu espérer qu'elle serait une réussite architecturale, un comité de citoyens a fait des représentations, proposé un mémoire à cet effet ... On les accueilli gentiment à la Ville, on s'est émerveillé, on a fait de vagues promesses, on a fait semblant de pouvoir trouver des crédits, mais pendant ce temps-là, en douce, sournoisement, les édiles de la Ville négociaient dans l'ombre avec l'UQAM un mégaprojet de construction d'un "complexe scientifique multifinctionnel" (sic) en prenant le plus grand soin de ne pas le faire savoir et surtout de ne pas consulter les comités de citoyens du quartier visé.

En soi, ce projet n'est sans doute pas sans mérite mais pourquoi construire ces édifices monstrueux en plein Centre Ville alors qu'ils auraient facilement pu être réalisés ailleurs qu'au sein du patrimoine national? Il ne manque pas de terrains vagues du côté de l'UQAM où ce complexe aurait pu être construit sans gèner personne ni achever de détruire l'urbanisme du quartier de la place des Arts.

La construction qui nous a été proposée (pour ne pas dire imposée) au cours d'une parodie de consultation publique le mercredi 4 septembre à l'Hotel de Ville, est l'exact pendant de l'immondice architectural (le Musée d'Art Contemporain) à ceci près que s'il y a au moins des fenêtre sur sa façade, il est encore beaucoup plus grand. Que sont donc devenus les architectes québeccois?

Donnons quelques exemples mineurs de la manière d'argumenter des urbanistes, qui ne concernent que la premier phase du projet, la construction d'un pavillon de chimie à l'est de la rue Jeanne Mance, avec tout ce qu'un tel département implique de risques en ce qui concerne l'entreposqge de substance toxiques quelles que puissent être les précautions envisagées. Si l'édifice prévu n'est pas collé au trottoir, comme le sont d'autres édifices récemment construit par l'UQAM, il n'est prévu qu'un petit recul de quatre mètres, sans arbres, ceux qui sont là seront détruits, mais qui, nous a-t-on dit "sera paysagé" comme si on pouvait "paysager" une bande de gazon de quatre mètres de large sur quelques dizaines de mètres de long. Il sera construit, a-t-on ajouté sur le principe de l'harmonie des volumes et de l'alignement avec les belles maisons de la rue Jeanne Mance. N'importe quel étudiant en première année d'architcture, même au Québec, sait que l'harmonie est avant toute une question de proportion relative des volumes et des espaces et que si les maisons de la rue Jeanne Mance qui ont dix mètres de haut sont à quatre mètres du trottoir, le pavillon de chimie qui ne fait. nous dit-on que trois étages (mais vingt mètres de haut) devrait ètre situè, afin que la rue respire un peu et que le bruit de la circulation n'y soit pas réverbéré de manière infernale, à au moins huit ou dix mètres du trottoir ou bien être aligné en hauteur sur les maison de la rue Jeanne Mance. C'est alors qu'un aménagement paysagé serait possible qui dissimulerait plus ou mo0ins le mur de béton qu'on veut nous imposer. Avec une désinvolture qui confine au cynisme ou à l'imbecillité la plus crasse, les urbanistes ont précisément choisi le béton (le plus vil des matériaux de construction) pour que "le gris s'harmonise au gris des vieilles pierres dont sont faites les maisons qui font vis à vis". Autannt dire que la brique et le marbre rose c'est pareil parce que ça a la même couleur. Enfin et c'est peut être le comble du mensonge déma-gogique, ils ont choisi de conserver des "espaces extérieurs", mais "à l'intérieur" du complexe sous forme de "cours" accessibles au public. Mais qui aurait la moindre envie d'aller se promener dans des cours intérieures bétonnées? Même les étudiants ne le font pas. Là encore, fausse représentation et démagogisme menteur se tiennent allègrement la main pour duper le public. Je ne parlerai pas du reste du projet qui est une monstruosité gigantesque de béton, un véritable univers concentrationnaire qui finira de défigurer dans l'horreur et ce, définitivement, ce quartier de la place des Arts déja massacré par l'immondice architectural (Musée d'art Contemporain) si personne ne s'y oppose.

Comme me le disait l'un des membres du Comité Conseil avec cette: "mais de quoi vous mêlez-vous? C'est un espace privé et le propriétaire peut faire ce qu'il veut sans avoir à tenir compte de l'avis des voisins et du public!" Telle est la philosophie des urbanistes et de ceux qui veulent que ce projet se réalise à n'importe quel prix comme s'ils avient été payés pour le faire passer: faire pour la forme et à la dernière minute une consultation publique où le public a à peine dix minutes pour se faire une idée sur un immense projet préparé minutieusement depuis deux ans, et si vous n'êtes pas d'accord avec le Pouvoir d'Argent, allez vous faire foutre, et même si notre projet ruine la valeur et ce qui aurait pu être la beauté du Centre Ville, nous, on s'en fout. Dieu merci tous les conseiller lors de l'audience publique ne semblaient pas partager ce point de vue! Nombreux sont ceux qui, à juste titre, s'inquiètent très sérieusement des réalisations architecturales de l'UQAM durant les dix derniêres années et reconnaissent l'énorme erreur de jugement que constitue le Musée d'Art Contemporain. Auront-ils le pouvoir de s'y opposer et d'enrayer la dégradation massive de l'espace urbain du Centre Ville par la réalisation d'un projet qui est une erreur beaucoup plus colossale encore que le Musée d'Art Contemporain? On peut en douter tant sont grands le Pouvoir de l'Argent et la vénalité de certains.

La prochaine réunion publique prévue afin de discuter du projet dans son ensemble aura lieu à l'Hotel de Ville le 2 octobre 1991, le soir vers 19 heures. Il serait important que tous ceux qui ont le souci du maintien de la qualité de l'urbanisme et de l'environnement (public, médias, environnementalistes, Héritage Montréal, architectes voire politiciens) y assistent et fassent valoir d'autres points de vue que ceux qui semblent y prévaloir.

François Peraldi

Professeur à l'Université de Montréal

Ancien chargé d'enseignement à l'Ecole des Beaux Arts de Paris.

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