AVANT-PROPOS







Le texte qui suit appartient à l'histoire de la subversion d'une époque. Cette époque est maintenant finie. Il a été conçu au moment où les étudiants formaient encore une couche quelque peu favorisée et en étaient fiers. « La misère » est venue leur dire que les piètres privilèges que le Capitalisme développé pouvait encore leur accorder participaient à la reproduction et à l'extension de la société marchande dominante, entrée depuis peu dans l'âge du spectacle. Leurs illusions sur eux-mêmes et sur le monde en faisaient le milieu le plus propice à la propagation de toutes les pollutions idéologiques, culturelles et politiques qui œuvraient à la mise en place d'un système d'anesthésie générale.

La révolution de mai 68 a éclaté comme un tonnerre dans un ciel bleu. Il n'y avait rien à défendre, ni à revendiquer, hormis la démolition de la société spectaculaire marchande dans son ensemble. Elle marqua la fin d'une époque. Plus jamais rien ne sera comme avant.

La contre-offensive des classes dominantes, sur tous les fronts où elles étaient menacées a obtenu de nombreux succès. Toutes les idées, les penseurs, les artistes, les organisations, les partis et les syndicats dénoncés dans ce libelle sont devenus obsolètes ou totalement inexistants. Tant mieux. Le plus important est que cet effritement n'est pas l'œuvre de leurs ennemis effectifs, mais le résultat du « mouvement réel qui se déroule sous nos yeux ». Leur disparition a renforcé le système de domination comme leur existence contribuait à son progrès. On dirait que la classe propriétaire et son État se sont donné pour tâche d'exécuter quelques unes des sentences du Mouvement de mai 68, afin de sauver l'essentiel. Ce sont eux qui ont mis fin à l'Université ; anéanti le parti dit communiste et les syndicats dits ouvriers. Le spectacle, partout règne et gouverne.

Une de ses dernières victoires, dont il peut d'ores et déjà s'enorgueillir, est d'avoir, en cette fin de siècle, fait du droit au travail, c'est-à-dire à l'esclavage salarié, la revendication sociale centrale. Comme d'habitude, les étudiants se trouvent à l'avant-garde de ce mouvement. Seulement, voilà, le capital n'a plus besoin d'autant d'esclaves pour le servir. Il continuera d'employer au maximum de rendement et au plus vil prix, ceux à qui il fera croire qu'ils sont des privilégiés. Aux autres, le RMI et la matraque.

Le patronat et l'État ne peuvent et ne veulent plus payer. Personne ne pense à l'idée qu'ils peuvent disparaître. Les enfants des cités, ces palestiniens du spectacle triomphant, savent, eux, qu'ils n'ont rien à perdre ni rien à espérer du monde tel qu'il devient. D'emblée, ils s'affirment comme les ennemis de l'État, de l'économie et du salariat : ils combattent régulièrement les forces de l'ordre, refusent de travailler et volent toutes les marchandises dont ils ont besoin. Ils n'ont pas choisi leur condition et ont raison de ne pas l'aimer. Mais ceux qui les ont mis là sentiront, et commencent déjà à sentir leur douleur.

Les étudiants, qui n'ont même pas droit au RMI, sont désormais des délinquants en sursis. Non seulement ils n'ont aucun avenir dans le système du travail, mais ils auront perdus - d'ici-là - la plupart des droits que leurs parents et grands-parents ont arraché au Capital. Il y a un demi-siècle, ils pouvaient presque tous devenir cadres, petits, moyens ou supérieurs. Aujourd'hui, ils doivent accepter des salaires inférieurs au SMIG. Sans qu'ils s'en aperçoivent, ils se trouvent maintenant plus proches des poubelles de la société que des sommets de son ancienne hiérarchie. Ils doivent simplement en prendre conscience.

Le renversement de perspective ne peut, en aucune manière, passer par les solutions depuis longtemps prévues par le système lui-même : « l'intégration », « le travail pour tous », la « réforme des études » et autres défenses de la sécurité sociale. La puissance du spectacle actuel est qu'il gouverne non seulement le monde qu'il produit, mais aussi les rêves que ses victimes se fabriquent pour échapper à son règne. Ces rêves d'aujourd'hui ne sont en fait que les cauchemars de demain. N'importe, c'est encore le milieu étudiant qui les nourrit le plus. Ils ont beaucoup à apprendre, certes pas auprès des professeurs, mais auprès des « voyous des cités » qui ont plus de lucidité.

Avec ou sans les étudiants, le système dominant continuera à se faire contre tous. Ils peuvent choisir d'être les complices de leur malheur; ils doivent seulement savoir qu'ils n'auront aucune récompense.





Autres textes

Hosted by www.Geocities.ws

1