Le bruit des pas du Messie Le Rabbi de Bluzhov s'assit au bout de la table. Il était entouré d'un groupe de jeunes enfants et de quelques adultes. Le rabbi entreprit, de mémoire, le récit de la Pâque. Il découvrit les pains azymes, souleva le plat, et commença à raconter la sortie d'Egypte : 'Ceci est le pain de misère, qu'ont mangé nos pères en terre d'Egypte. Que celui qui a faim, vienne et mange. Que le nécessiteux vienne, et célèbre la Pâque. Actuellement, nous sommes ici, l'an prochain, nous serons sur la terre d'Israël. Actuellement, nous sommes esclaves, l'an prochain, nous serons libres.' Le plus jeune des enfants posa les Quatre Questions, de sa voix pure et innocente, il entonna la traditionnelle mélodie : "En quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits? Car toutes les autres nuits, nous mangeons du pain levé et du pain azyme; cette nuit, nous ne mangeons que du pain azyme." http://www.geocities.com/djampafr/html/Haggadah.htm Il faisait sombre dans les baraques. La lueur pâle et argentée de la pleine lune se reflétait sur les visages livides. C'était comme si les larmes qui coulaient silencieusement sur leurs joues se déversaient dans la grande jarre de larmes portée par l'ange de la légende, qui lorsqu'elle sera pleine à ras bord, donnera le signal de la fin de la souffrance humaine. Comme de coutume, le rabbi commença à expliquer la signification de la Pâque en réponse aux quatre questions. Mais en cette veillée pascale à Bergen Belsen, les traditionnelles questions rituelles prenaient une signification toute particulière. "La nuit" commenta le rabbi, "signifie l'exil, l'obscurité, la souffrance. Le matin signifie la lumière, l'espoir, la délivrance. 'En quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits?' Pourquoi notre souffrance actuelle, celle de l'Holocauste, est-elle différente de toutes les précédentes souffrances endurées par le peuple Juif?" Personne n'osa risquer une réponse à cette question. Rabbi Israel Spira poursuivit : "Car toutes les autres nuits, nous mangeons du pain levé et du pain azyme; cette nuit, nous ne mangeons que du pain azyme. Le pain contient du levain; il est renflé. Le pain azyme est sans levain et il est totalement plat. Pendant toutes nos précédentes souffrances, pendant toutes nos précédentes nuits en exil, nous, les Juifs, avions du pain levé et du pain azyme. Nous avions des moments de pain levé, de créativité, et de lumière, et d'autres moments de pain azyme, de souffrance et de désespoir. Mais pendant cette nuit-ci, la nuit de l'Holocauste, nous éprouvons notre plus grande souffrance. Nous avons atteint les profondeurs de l'abîme, le plus extrême dénuement. Pendant cette nuit nous n'avons que du pain azyme, nous n'avons pas un seul instant de soulagement, pas un moment de répit pour nos âmes opprimées... Mais ne désespérez pas, mes jeunes amis." déclara le rabbi d'une voix assurée et pleine de confiance. "Car ceci est également le commencement de notre délivrance. Nous sommes les esclaves qui servaient le pharaon en Egypte. En hébreu esclaves se dit avodim ; les lettres du mot avodim sont l'acronyme de la phrase : David Ben Yishaï Avdékra Méshichékra (David, fils de Jessé, Ton serviteur, Ton Messie) Ainsi, même dans notre esclavage actuel nous pouvons trouver des signes de notre libération ultime lors de la venue du Messie. "Nous qui sommes témoins de la nuit la plus noire de l'histoire humaine, nous qui en écrivons la page la plus terrible, nous serons également témoins de la grande lumière de la rédemption, car une claire aurore viendra illuminer l'obscurité, ainsi que l'ont annoncé nos prophètes : 'Mais il adviendra qu'au temps du crépuscule, la lumière jaillira' (Zacharie 14:7) et 'Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière; sur ceux qui habitaient au pays de l'ombre de la mort, une lumière a resplendi!' (Isaïe 9:1) C'était de nous, mes chers enfants, dont parlaient nos prophètes, de nous qui demeurons dans l'ombre de la mort, de nous qui vivrons et qui serons témoins de la grande lumière du salut." La cérémonie se termina. Quelque part là-haut, la lueur argentée de la lune fut obscurcie par de sombres nuées. Le Rabbi de Bluzhov embrassa chacun des enfants sur le front et leur assura à nouveau que la nuit la plus noire de l'humanité serait suivie du plus lumineux des jours. Tandis que les enfants retournaient dans leurs baraques, esclaves d'un pharaon moderne, au milieu d'un désert d'humanité, ils croyaient entendre déjà le bruit des pas du Messie résonner en écho au bruit de leurs propres pas foulant la terre imbibée de sang de Bergen Belsen. (hasidic tales of the holocaust)