Luc Plamondon :
Des étoiles à Notre-Dame, 20 ans de "Musicals"


"Je suis plongé jusqu'du cou dans Notre-Dame. J'empile page sur page, et la matière s'étend et se prolonge tellement devant moi à mesure que j'avance que je ne sais si je n'en écrirai pas la hauteur des tours..." 
(Victor Hugo- 1831)

À LA RECHERCHE D'ESMERALDA

Si vous avez dans vos relations des jeunes filles sachant chanter, danser et jouer, soyez sûr qu'elles ont à un moment ou un autre de l'année rêvé d'être Esmeralda dans le Notre-Dame de Paris monté en 1998 au Palais des Congrès par Luc Plamondon et Richard Cocciante d'après le père Hugo, décidément grand inspirateur de comédies musicales! La rumeur a en effet couru que les auteurs ne trouvaient pas chaussure à leur pied pour le principal rôle féminin, immortalisé à l'écran par Gina Lollobrigida, Maureen O'hara et autres superbes plantes.

A la recherche d'Esmeralda, en quelque sorte, et l'on se prenait déjà à imaginer une étoile inconnue brillant entre les tours de la cathédrale reconstruite Porte Maillot! Il faut dire que les créateurs avaient placé haut la barre, recherchant "non pas une interprète française ou québécoise, mais une chanteuse d'origine méditerranéenne, typée", et que l'oiseau rare devait être très jeune puisque Quasimodo a lui-même 20 ans dans le spectacle. Mais Hugo n'a-t-il pas écrit son roman à 29 ans seulement, pendant les 30 Glorieuses (1830)!

"Après tout, souligne Luc Plamondon, Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil ont bien trouvé leur Miss Saïgon aux Philippines! Après avoir auditionné plus d'une cinquantaine d'artistes, j'étais donc prêt à me tourner vers l'étranger, pourquoi pas vers le Maroc et la Tunisie où Starmania est très populaire... J'avais fini par choisir une interprète antillaise lorsque la chanteuse israélienne Noa nous a donné son accord. Elle m'a paru évidente dans ce rôle, comme naguère Fabienne Thibeault puis Maurane et Isabelle Boulay dans celui de Marie-Jeanne, la serveuse-automate. En fait, je ne recherche pas des rôles de composition, mais une identification immédiate entre le personnage et l'interprète, je choisis des gens qui, en répétition, sans costumes, sont déjà crédibles dans le rôle. Et ces chanteurs, qui seraient pour la plupart incapables de jouer un texte parlé, deviennent acteurs en chantant s'ils sont bien dirigés."

Le fin du fin étant que Luc Plamondon parachevait ce nouveau casting (Notre-Dame) en même temps qu'il en renouvellait un autre (reprise de Starmania au Palais des Sports): chassé-croisé d'automne entre un spectacle sur la fin de siècle né il y a 20 ans pile et un autre conçu en plein romantisme sur le moyen-âge, entre Phoebus et Johnny Rockfort, Gringoire et Zéro Janvier, Fleur de Lys et Ziggy. De quoi faire la nique à ses collègues Schönberg et Boublil qui, trois fois présents sur la scène britannique, passent certains soirs des barricades de Gavroche au procès de Martin Guerre en plein Londres!

"En ce qui concerne le remplacement des chanteurs, puisque Starmania a déjà connu cinq versions, je n'engage pas comme à Broadway des acteurs qui vont copier la performance de leurs prédécesseurs, je choisis plutôt des acteurs qui vont renouveler le rôle! Mais on auditionne beaucoup à chaque fois".

D'où peut-être l'éternelle jouvence de la pièce, oeuvre futuriste à l'époque de sa création, toujours moderne 20 ans après et brassant sans cesse de nouvelles générations, sur scène comme dans la salle, mais décidément inclassable: "Starmania était un opéra rock, mais à sa création, les producteurs n'ont pas voulu qu'on associe ces deux mots, et l'on a dû attendre Mogador en... 1993 pour l'appeler ainsi sur l'affiche (!), même en 1988 on n'avait pas utilisé ce qualificatif! Avec Barbara, nous avions baptisé Lily Passion "drame musical"; Les Misérables étaient un "opéra populaire" et Catherine Lara voulait reprendre le seul mot de "musical" -comme en Angleterre- pour définir Sand et les romantiques, mais c'est devenu ensuite un... "musical rock symphonique"! Alors comment qualifier Notre-Dame de Paris? Ce n'est pas un opéra rock! Nous avons choisi l'appellation "spectacle musical" parce qu'en France, parler de comédie musicale a un côté un peu péjoratif, cela fait référence aux vieux films hollywoodiens... Mais j'aimerais monter ce spectacle sous forme d'opéra à Montréal avec de jeunes voix du lyrique -c'est un répertoire moins exigeant pour des débutants que les grands rôles classiques qu'ils ne peuvent pas interpréter avant d'avoir 30 ans-, de beaux arrangements, un grand orchestre etc. En France, les artistes sont trop étiquetés, rock ou classique, pour faire cela..."

Une digression sémantique qui témoigne bien de la réelle difficulté à faire exister ce genre "à la française", puisqu'on n'ose pas clairement nommer ce qui pourrait un jour prendre la place de nos opérettes d'antan. Mais l'ambiguité n'était-elle pas déjà là dès "L'Opéra de quat'sous" de Brecht et Weill, opéra ou spectacle musical (?) qui révéla à Luc sa vocation à l'âge de 16 ans: "C'est le premier opéra que j'ai vu de ma vie. Après j'ai aimé West side story, Porgy and Bess... Mais ma tradition, c'était Hair et Jesus Christ Superstar". Ce qu'on aurait pu appeler alors des "opéras pop", pour ne pas dire populaires. Deux mots difficiles à marier dans un pays de vieille culture comme le nôtre? Réflexions sur un paradoxe français.
 
 
COMEDIE MUSICALE ET POUVOIRS PUBLICS: OPERA DES PAUVRES OU GENRE "PIRATE"?

"A la différence des pays anglo-saxons, où tous les acteurs en rêvent, la comédie musicale a toujours été perçue chez nous avec une espèce de mépris, ce qui n'empêche pas les directeurs de théâtres -Marigny, Porte Saint-Martin, Folies-Bergère etc- d'en rechercher! Pourquoi n'y-a-t-il rien de prévu ici pour le théâtre musical en matière de subventions, sauf lorsque occasionnellement un directeur de salle décide de se "payer une comédie musicale", comme Jérôme Savary avait monté Cabaret au Théâtre du 8ème à Lyon, ou... qu un prince décide de subventionner un spectacle pour fêter le 700 éme anniversaire de sa Principauté! Le problème est d'ailleurs le même au Québec où la comédie musicale n'entre ni dans le créneau des théâtres, ni des opéras, ni des compagnies de danse! 

J'ai d'ailleurs parlé de tout cela à notre Ministre de la Culture, Mme Catherine Trautmann. La vie en bleu a été entièrement financée par Monaco, et à Mogador ils ont dû jouer sur bandes! Avec Charles Talar nous montons en septembre prochain Notre-Dame de Paris au Palais des Congrès la barre est haute! Le choix du nombre de musiciens pour accompagner le spectacle n'est pas encore défini. si nous étions subventionnés, les choses seraient plus simples. On ne peut pas se payer un grand orchestre, ça coûte trop cher! A New York, à Londres, les musiciens sont salariés à la semaine et à des prix raisonnables, mais ici tout est plus compliqué, tout le monde est syndiqué, et si les artistes, les musiciens sont prêts à se donner davantage, il faut toujours compter les heures. En France, à la différence de l'Angleterre, les charges sociales sont aussi très élevées. 

Claude-Michel Schönberg qui a monté Les Misérables, Miss Saigon et Martin Guerre à Londres, me disait que pour monter le même spectacle à Paris, cela coûterait le double. C'est pourquoi on est obligé de produire ces spectacles dans des grandes salles pour pouvoir les rentabiliser. Le Fantôme de l'Opéra se joue à Londres dans un théâtre de 7000 places, en France cela revient trop cher de monter cette pièce à Mogador. C'est pour ça que monter Nine aux Folies Bergères où il y a 1500 places, c'est risqué, alors qu'à Londres, elle a très bien marché dans une salle de 300 places. En 1988, Starmania a dû quitter le Théâtre de Paris et être transféré à Marigny parce qu'un producteur américain y montait Cats. Ces deux saisons programmées dans des théâtres de moins de 1000 places nous ont permis d'installer le succès de Starmania qu'on n'aurait pas pu remonter à cette époque-là dans une salle de la taille du Palais des Congrès. Toutes les comédies musicales ne se prêtent pas à être jouées dans une grande salle. Au contraire, on devrait développer en France un style de spectacles plus intimistes. Il devrait y avoir un théâtre consacré à la comédie musicale à Paris, qui serait aidé par l'Etat. 

Pour Sand et Les Romantiques, nous avons eu le théâtre du Châtelet pour 8 jours, soit 10 représentations et un seul jour de montage, alors qu'on aurait pu jouer un mois. si l'on compare aux budgets consacrés aux opéras! L'Opéra Bastille représente à lui seul les trois quart du budget de la musique en France. Des opéras de province menacent de fermer parce qu'ils n'ont pas assez d'aides alors qu'ils perçoivent 40 ou 50 millions de francs de subventions par année! 

De temps en temps, ces différents opéras pourraient envisager d'avoir des productions communes. En Allemagne, par exemple, on programme dans les théâtres de province des comédies musicales en alternance avec des opéras. Il faudrait donc créer à Paris une salle à cet effet, ou rétablir la tradition du théâtre du Châtelet qui était le théâtre de l'opérette en France". 

La comédie musicale souffrirait donc elle aussi du syndrôme de l'art mineur, pour ne pas dire pirate, au point qu'elle n'ose pas dire son nom en attendant de se baptiser un jour opéra populaire, en référence au "grand frère"?! Voilà qui nous ramène à de vieilles querelles musicales fratricides et devrait nous rappeler qu'on ne compte plus les "airs" de Gershwin, Richard Rodgers ou Cole Porter repris par les plus grands artistes classiques. Comme, à n'en pas douter, telle cantatrice enregistrera demain "La complainte de la serveuse automate" ou "Le blues du businessman"! (mais peut-être est-ce déjà fait?). Mais au fait, quel est donc le secret d'une comédie musicale, pardon, d'un opéra rock réussi? Radioscopie du plus célèbre Musical francophone par son auteur, 20 ans après sa création.

1978: UN OPERA DE L'AN 2000... TOUJOURS LÀ 20 ANS APRES! 

Mais qu'est-ce qui fait courir Ziggy, rêver Stella Spotlight, flipper Marie-Jeanne, frimer Johnny Rockfort, flasher Zéro Janvier, sous le regard des Etoiles Noires: en un mot, qu'est qui fait marcher comme ça depuis 20 ans et cinq versions différentes le spectacle de Michel Berger et Luc Plamondon, repris en octobre dernier au Palais des Sports, après celui des Congrès, les théâtres Marigny et Mogador? 

"Le sujet de Starmania est encore plus important que sa trame, c'est une espèce de fresque sur le monde moderne. Starmania est sorti en disque en 1978 et le spectacle a été monté en 1979. Cette oeuvre était futuriste à l'époque de sa création, je pourrais même dire que j'ai essayé d'écrire un concept visionnaire, de projeter des sentiments d'aujourd'hui dans un monde de demain. En 1975, lorsque j'ai commencé à en parler avec Michel Berger, il voulait faire quelque chose de moderne et m'avait contacté, moi, auteur québécois, pour la modernité de mon écriture ("Toi, tu écris rock!"). 

A Montréal, il s'était procuré mes deux premiers albums pour Diane Dufresne, dont le deuxième "Opéra cirque", un mini opéra de 30 minutes à un seul personnage, n'est jamais sorti en France. Il trouvait que j'y décrivais bien la violence du monde moderne et voulait exprimer une part de sa propre violence à travers sa musique. Je suis venu en France, nous nous sommes rencontrés autour de ce projet, et il m'a joué des musiques très lyriques qui progressivement sont devenues rock à partir du moment où j'ai mis des textes dessus. "Le monde est stone" est construit sur une mélodie très classique, mais avec ce texte très dur, elle sort du registre lyrique. 

Ensemble, nous avons donc voulu faire quelque chose de très rock, de visionnaire, un opéra sur l'an 2000: à 20 ans de là, nous imaginions qu'à cette date le monde serait très différent. Je me rends compte avec le recul que ceux sont les très jeunes qui ont vraiment aimé Starmania à sa création. On s'en est moins aperçus sur le moment parce que, comme le premier spectacle au Palais des Congrès était assez cher, nous n'avions pas un public très jeune, contrairement à celui qui vient le voir aujourd'hui. Au départ, le spectacle n'a été joué que durant un mois, et était trop cher pour tourner, du fait des vedettes qui y participaient et qui avaient aussi d'autres projets à mener à bien, et puis la salle était déjà réservée pour le Bolchoï et d'autres artistes. On ne s'est donc pas immédiatement rendus compte de l'impact qu'on avait eu sur le public. Aujourd'hui, je constate que beaucoup de gens âgés de 30 et 40 ans ont vu Starmania plusieurs fois. En 1988, nous avons vraiment touché toute une nouvelle génération, qui, après avoir écouté le disque très jeune, est venue en foule voir le spectacle. Et la grande surprise de cette nouvelle édition 97, c'est que, 20 ans après, la nouvelle génération des moins de 20 ans vienne en si grand nombre, et représente 60% de notre auditoire! On attaque la quatrième année de tournée en France, de six mois chacune, dans des Palais des Sports qui font jusqu'a 5000 places, de la Halle Tony Garnier à Lyon au Forest National de Bruxelles, avec parfois trois soirs dans une ville où un chanteur rock ne fera qu'une seule date! 

Il y a eu cinq productions différentes de Starmania avec, à chaque fois, des petites modifications au livret: la création à Paris, la nouvelle création à Montréal en 1980, dans un théâtre de 600 places où ce spectacle a été joué 150 fois, avec un autre casting et une mise en scène beaucoup plus réaliste, plus proche de la vie des gens. Cette production-là a influencé la version, à mi-chemin entre mise en scène réaliste et concert rock, que nous avons faite en 1988 à Paris avec Michel Berger. 

La nouvelle version de Lewis Furey est futuriste comme la toute première, de Tom O'Horgan, mais ne joue pas du tout la carte du réalisme, et c'est celle qui fait le plus l'unanimité, parce que justement, il ne s'agit pas d'une histoire réaliste, mais d'une fable. Je disais d'ailleurs à l'époque que nous avions créé une bande dessinée musicale. 

Avec la musique lyrique de Michel Berger et mes textes assez violents, le public a aimé l'oeuvre au premier degré et nos chansons sont devenues des standards: "Les uns contre les autres", "Le monde est stone", "Le blues du businessman"... Certaines ont mis plus de temps que d'autres pour s'imposer, "Ziggy" a mis dix ans avant d'être un tube chanté par Céline Dion (1 000000 exemplouires vendus dans le monde), et "SOS d'un terrien en détresse" a connu un véritable succès à travers l'interprétation qu'en a fait Peter Kingsberry dans la version anglosaxonne ("Tycoon "). L'ombre de Balavoine -le seul interprète de la version originale pour lequel Michel avait écrit intentionnellement écrit ce titre-là, sur deux octaves et demie-, apporte aussi de grands moments d'émotion lors des représentations...".

"MR STARMANIA"? NE PAS ETRE L'HOMME D'UNE SEULE OEUVRE! 

Et l'on n'a sûrement pas fini d'extraire des pépites de la mine (à quand un duo de stars sur "Ego trip", par exemple?) car rarement oeuvre aura été à la fois vivier de succès -comme vingt ans avant West side Story- et de talents: Balavoine, Fabienne Thibeault, Maurane, Renaud Hantson. 

Une vraie école vivante de comédie musicale! De là à devenir "Monsieur Starmania", il y a un pas que Luc Plamondon ne veut pas franchir, car rien n'est pire que de devenir prisonnier d'UN succès, même si en l'occurrence celui-ci est... multiple, et la gageure consiste bien sûr à se renouveller avec d'autres compositeurs: 

"Starmania n'est qu'un moment de ma vie parmi tant d'autres. J'ai écrit trois autres comédies musicales et plus de 400 chansons, pour Julien Clerc, France Gall, Barbara, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Céline Dion, Robert Charlebois, Nanette Workman et bien sûr Diane Dufresne... Il est vrai que le succès de cette oeuvre est tel qu'elle me suit partout, comme certains écrivains sont marqués à vie par un livre particulier. J'ai beaucoup donné à Starmania puisqu'on l'a monté cinq fois en français dont trois fois en France, deux fois au Québec, depuis sa création. Chaque fois avec une nouvelle distribution et un nouveau metteur en scène, ce qui représente des mois de discussions. En ce moment nous avons deux propositions très sérieuses d'adaptation de très haut niveau au cinéma. Je crois bien que ça se fera pour l'an 2000. La pièce va aussi être remontée en Allemagne, à Madrid, à Tokyo, cela m'occupe beaucoup. D'ailleurs si je ne m'occupais vraiment que de cela, la carrière internationale de Starmania serait encore plus importante! 

Mais, ce qui m'intéresse c'est ce que je suis en train d'écrire. Notre-Dame-de-Paris, ça commence déjà à ne plus m'intéresser autant, parce que j'ai fini d'en écrire les textes. Maintenant je vais suivre l'évolution du spectacle, mais dans ma tête, je vais déjà me mettre sur autre chose. J'ai mis deux ans à écrire La légende de Jimmy mais on a aussi mis un an à la monter et pendant cette année-là, j'ai commencé à écrire Sand et Les Romantiques avec Catherine Lara".

DE SAND A HUGO 

Car si Luc Plamondon refuse à juste titre d'être l'homme d'une seule oeuvre, et que la carrière d'un spectacle, fût-il génial, n'éclipse la sienne, sa vie d'auteur est désormais vouée, pour le meilleur et pour le pire, au théâtre musical francophone dont il est devenu une référence incontournable. Quoi de plus normal qu'après s'être frotté à George Sand et James Dean, avoir collaboré avec Jérome Savary (La légende de Jimmy/Mogador 1990) et Alfredo Arias (Sand et les romantiques/Chatelet 1991), écrit pour la scène avec Michel Berger et Catherine Lara, il n'ait eu envie d'une nouvelle rencontre au sommet: Victor Hugo, dont on connaît la seconde carrière sur Broadway et Piccadilly, via le tandem Schönberg/Boublil. "J'avais envie, cette fois, d'être porté par une histoire connue, qui se défende toute seule et qu'on n'ait pas besoin d'expliquer. Le Pygmalion de Shaw a bien inspiré My Fair Lady, Le Fantôme de l'Opéra l'oeuvre d'Andrew Lloyd Weber et Roméo et Juliette West Side Story! Au début, je pensais justement faire une adaptation moderne de Roméo et Juliette. Avec le problème des banlieues, il y aurait aujourd'hui une belle histoire à écrire sur ce thème. J'y songe encore. 

Mais Notre-Dame de Paris, dont j'ai respecté le contexte historique, va être aussi monté de manière très moderne, avec des références à notre société: il ne s'a gissait pas de transposer l'histoire au XXème siècle, ce qui la banaliserait, mais simplement de l'écrire dans une langue actuelle. Il y a beaucoup de ressemblances entre cette époque charnière du monde, qui fait le pont entre moyen-âge et renaissance (le roman se situe à la fin du XVème siècle), où l'on découvre l'Amérique et où l'on invente l'imprimerie, où la religion est remise en cause par la science, où l'alchimie triomphe, où Galilée proclame que la terre est ronde pendant que Nostradamus prédit la fin du monde pour... l'an 2000, et notre actuelle fin de millénaire. 

C'est une histoire faite de conflits et de passions: entre la beauté (Esmeralda) et la laideur (Quasimodo) -qui chante "Mon dieu que le monde est injuste"-, entre le charnel et le spirituel (Frollo, le curé de Notre-Dame qui chante "Etre prêtre et aimer une femme "), entre le chef de bande de la Cour des Miracles (Clopin) et le soldat du roi (Phoebus), entre le temps des cathédrales et les nouvelles idées, (Gringoire, le poète troubadour), entre les sans-papiers de l'époque et les Français de sang, avec déjà les problèmes du droit d'asile..." 

Et Luc Plamondon de résumer: "Je cherchais de préférence un sujet français qui soit universel et intemporel". Quelle meilleure réponse qu'Hugo, et particulièrement ce roman dont il nous rappelle qu'il inspira une douzaine de films, du muet à Walt Disney (c'est la version muette avec Lon Chaney qui a sa préférence, car elle raconte l'histoire sans un mot et c'est là qu'on en voit toute la force, la plus fidèle étant celle de Delannoy avec Anthony Quinn, mais aucune ne raconte la vraie mort d'Esmeralda par pendaison, qu'on verra dans la pièce avec Quasimodo venant demander le corps au bourreau), des adaptations théâtrales (dont celle d'Hossein au Palais des Sports), des ballets (Roland Petit à l'Opéra de Paris), mais... pas de version chantée à part l'opéra de 1835 sur un livret de Hugo lui-même. 

"Victor Hugo, précise Plamondon, a mis cinq mois et demi pour faire son roman, et moi j'ai mis trois ans pour écrire cent pages (rire)! 

Une partie des mélodies était déja composées par Richard Cocciante -avec lequel j'avais déjà fait des chansons pour Céline Dion, Sylvie Vartan et lui-même- et qui me les avait confiées il y a trois ou quatre ans, en me disant qu'elles n'intéresseraient pas un chanteur d'aujourd'hui. Et pourquoi pas, justement, ai-je rétorqué? Après il a aussi beaucoup travaillé sur mes textes. Notre-Dame de Paris devrait le propulser comme compositeur à part entière, comme Starmania avait fait litteralement sortir de ses limites musicales Michel Berger, qui jusque là écrivait également dans un style précis, pour France Gall, Françoise Hardy ou lui-même: la comédie musicale est un révélateur. 

Mais nous avons voulu des arrangements résolument modernes, en contraste avec ces mélodies opératiques, et fait pour cela appel à Jannick Top (basse) et Serge Pérathoner (claviers), épaulés par Claude Salmieri (batterie), Marc Chantereau (percussions) et Claude Engel (guitares), avec un choeur et un orchestre de cordes. D'ailleurs, les chanteurs retenus sont plutot "pop ": Noa (Esmeralda), Daniel Lavoie (Frollo), Bruno Pelletier, ex Johnny Rockfort dans Starmania (Gringoire), plus deux ou trois artistes inconnus dont Patrick Fiori (Phoebus), Garou (Quasimodo), Julie Zenatti (Fleur de Lys), tous très jeunes à part Frollo...". 

Ce qui, après tout, n'est que justice pour adapter l'oeuvre d'un auteur prodigue de 29 ans qui proclamait "J'ai eu deux affaires dans ma vie, Paris et l'océan" et ajoutait, comme en écho aux propos de Plamondon "Sous le Paris actuel, l'ancien Paris est distinct, comme le vieux texte dans les interlignes du nouveau". 

Gageons que la fusion des deux s'avérera prolifique, puisque le génie des chefs d'oeuvre est aussi d'en inspirer d'autres.

DE QUELQUES REGLES D'ECRITURE: LE STYLE PLAMONDON 

A défaut de transposer, il fallait néanmoins transcrire, pour ne pas dire traduire, l'auteur des Misérables à la fois dans la langue de l'an 2000 et celle de la comédie musicale. Un exercice devenu familier à Luc Plamondon, qui, comme naguère pour ses chansons (cf "L'homme de ma vie"...), a créé désormais son propre langage opératique, une écriture-flash devenue un signe distinctif et pour tout dire un style: "La forme de Notre-Dame de Paris ne sera pas très différente de celle de Starmania: il y aura une vingtaine de chansons importantes auxquelles on arrive par des enchaînements chantés et chorégraphiés qui racontent l'histoire par une succession de flashes, plutôt que de tableaux chantés comme dans l'opéra traditionnel. 

L'opéra a toujours été divisé en très long tableaux, presque des actes, alors que nous procédons comme au cinéma, par scènes très courtes. C'est pour cela que Starmania marche si bien: tout y va très vite, il y a deux actes d'une heure, avec une succession de courts tableaux, et dans chacun d'eux une chanson que les gens reconnaissent. Dans Notre-Dame, je me suis laissé aller à écrire de plus longs tableau, mais je ne pourrai pas tous les utiliser. Les producteurs disent que le public populaire ne supporte pas plus de deux heures de spectacle, alors je vais devoir couper trois quarts d'heure, tout ce qui n'est pas essentiel à l'histoire, ce qui fait des "temps d'arrêt", même si c'est bon! Nous avons par exemple écrit une chanson intitulée "Les portes de Paris" qu'on va conserver parce qu'elle est belle et qu'elle nous sert à "basculer dans la nuit". On peut la mettre ou pas, elle prend forcément la place d'un dialogue chanté...".

18/09/98: NOTRE-DAME AUX MARCHES DU PALAIS 

Dernière étape de l'aventure, qui marque aussi le début d'une autre -et peut-être longue- histoire: la rencontre avec le public, qui bien sûr se planifie, s'élabore, se prépare longtemps à l'avance comme on est fidèle à un vieux rendez-vous, des retrouvailles avec soi-même. Ici, le créateur, même s'il est solidement entouré, assisté, conseillé par toute une équipe, doit aussi se muer à l'occasion en manager, producteur, directeur artistique, et même businessman à ses heures pour veiller à ce que son oeuvre évolue comme prévu et reste fidèle à ses intentions. C'est le moment où rêve et réalite se cotoient, où le fruit de votre imagination prend réellement forme par le truchement de la scène: 

"Les cents premières representations vont être faites avec la même distribution, mais aussi avec des doublures qui joueront dès le départ. Dans le cas de Starmania, les doublures jouent une fois par semaine, afin d'être vraiment prêtes en cas de défaillance des rôles principaux. Toutes les doublures ne jouent pas en même temps, et il n'y a pas une doublure pour chaque rôle. Il y a une interprète qui double quatre rôles féminins, et un interprète qui double trois rôles masculins. C'est à dire que, dans le cas de Notre-Dame de Paris, il y aura trois doublures. 

Nous ferons dans un premier temps cent représentations au Palais des Congrès, parce qu'il s'agit d'un lieu -en l'occurrence la demi salle de 1800 places- réservé longtemps à l'avance. En fait, nous avons 80 représentations de prévues avec possibilité de monter jusqu'à 100, ce qui est le seuil pour que les producteurs (Charles Talar-Pomme Music/Victor Bosh-Loulling Systeme) rentrent dans leurs frais. Après, nous irons à Montréal, à Québec et à Ottawa. On espère jouer ce spectacle pendant deux ans. C'est-à-dire revenir à l'automne suivant à Paris, et tourner en France avec la pièce. 

C'est un projet très cher, et trouver un producteur pour une telle entreprise n'a pas été facile. Gilbert Coullier, qui est le producteur de Starmania depuis 10 ans, n'avait pas envie de monter une autre comédie musicale de moi qui soit en concurrence avec Starmania et c'est donc Charles Talar qui a pris le risque. 

Le disque de Notre-Dame de Paris, avec 18 chansons, va sortir en janvier 98, bien avant que la pièce ne soit jouée -en septembre- à l'inverse de ce qui avait été fait pour La légende de Jimmy. Il est très important de faire connaître les chansons avant. La première vague de public, viendra, je pense, des gens qui auront acheté ce disque ne contenant pas l'intégralité du spectacle, car il nous reste des retouches à apporter, tout est encore un peu trop long. Dès que le spectacle sera sur scène, nous en sortirons une intégrale "live" comme cela a été fait à chaque fois pour Starmania -il en existe trois versions publiques disponibles en disque. 

Dans Notre-Dame de Paris, il y a 9 tableaux dans chacun des deux actes, avec dans chaque tableau un air principal et des liaisons chantées, musicales ou dansées, mais aucun texte parlé. J'ai choisi pour la mise en scène Gilles Maheu -un des deux grands metteurs en scène québécois d'avant-garde avec Robert Lepage, bien qu'il soit encore inconnu en France- qui est aussi chorégraphe. Avec sa troupe, Carbone 14, il a créé une vingtaine de spectacles à Montréal depuis 20 ans, un par an, avec des mise en scènes très physiques, chorégraphiées de façon originale, car il a une esthétique visuelle très intéressante. Je ne voulais pas tomber sur des metteurs en scène qui auraient fait ce qu'on connaît déjà d'eux. Un an avant la première, nous avons une maquette de décors entièrement dessinée, et le casting est prêt. C'est rare! Les répétitions sur scène auront lieu en juillet-août, durant deux mois, au Palais des Congrès. Toutes les conditions sont réunies pour pouvoir travailler bien, et, j'espère... réussir!". 

A en juger par la feu qui brille dans les yeux de Luc Plamondon, plus fébrile que jamais entre deux Palais (des Sports aux Congrès), deux époques (de l'an 1500 à l'an 2000), deux pays (Paris-Montréal), face à la maquette de Notre-Dame en son appartement du pied de... la Tour Eiffel, on se dit que le monument de la littérature romantique pourrait bien devenir un jour un pilier de la scène internationale, et Phoebus rejoindre Gavroche et Valjean on Broadway. Comment ne pas y penser depuis qu'Esmeralda, enfin retrouvée, a pour Quasimodo les yeux, non pas de Chimène, mais de la troublante Noa? Rendez-vous donc dans un an avec toute la troupe sur le parvis de la cathédrale, et en attendant, il n'est pas interdit de rêver du côté de Monopolis avec d'autres terriens en détresse, Ziggy, Zéro and co qui fêteront bientôt leurs 20 ans de succès. 1998 année Plamondon? C'est bien parti, puisque le Midem lui consacre un hommage à la fin janvier! 

Propos recueillis par Pierre Achard et Michel Parouty
 

"Quand on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, il tomba en poussière" (dernière phrase de "Notre-Dame de Paris"654 pages/Le livre de Poche)
 



 
QUAND DEUX TALENTS DONNENT DU GENIE 

"Avec Michel Berger on a mis six mois à s'apprivoiser, puis on a abandonné pendant six mois au moins... Il est retourné faire un album pour France Gall et moi pour Diane Dufresne. Finalement, un an après, je lui ai dit qu'il fallait essayer de faire "au moins une chanson ensemble parce qu'un opéra-rock, ça nous bloquait trop! Alors on est partis dans une villa au Cap d'Antibes et on en est revenus deux mois après avec des chansons qui s'appelaient "Le blues du businessman", "La complainte de la serveuse automate", "Les adieux d'un sex-symbol", "Le monde est stone"; dix titres au total qui devinrent des piliers du spectacle, à partir d'un sujet que je continuais de développer, car l'histoire a évolué avec les chansons. Avec dix titres forts, on s'est dit qu'on avait la charpente et qu'il fallait rattacher tout ça par des liens chantés, nous voulions en effet que ce soit un opéra-rock et non pas une comédie musicale, avec des dialogues parlés et des chansons intercalées, parce que dans ce cas-là, il fallait des comédiens sachant chanter, alors que Michel tenait beaucoup à ce que sa musique soit interprétée par des chanteurs de la génération pop-rock, comme Daniel Balavoine dont la découverte chez Drucker l'avait enthousiasmé. Au final, nous avions 26 chansons, que nous avons réduites à 20 depuis la première version. Ecrire des dialogues chantés n'est pas facile à faire pour un compositeur de chanson. Il faut consacrer deux ans de sa vie à une comédie musicale, et Starmania doit bien représenter 5 ans sur mes 25 ans de métier. Car il ne suffit pas de l'écrire, de choisir les bons projets, ceux avec lesquels on ne s'ennuiera pas, et surtout ceux sur lesquels l'auteur et le compositeur peuvent garder le contrôle, il faut aussi s'occuper de la distribution, trouver des producteurs, monter le spectacle, choisir l'orchestre, les interprètes, la salle... (Luc Plamondon/Notes mai 1994).

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