Première partie :

 

L’Esprit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    …Ou plutôt un esprit, dans son intertextualité et ses références culturelles, afin de le replacer dans son milieu, son époque, et pour tenter de comprendre son positionnement face à ce même milieu, cette même époque. L’esprit est intrinsèquement constitutif de la personne dans son aperception philosophique, et s’appréhende par conséquent selon une tension duelle entre Nature et Culture. Sonder un esprit en mouvement recèle donc une part de mystère : cette face cachée tend cependant à se révéler lorsque son imaginaire - l’ensemble des représentations fictives et réelles qui l’influencent - est mis en lumière.

    Or cet imaginaire provient autant de tout ce qui relève de la communication “acroamatique”[1], selon le mot de Gilbert Gadoffre, que des “litterae” humanistes, constitutives de l’univers de l’écrit. Et, si la difficulté à caractériser des critères identifiant un art et une pratique de la conversation chez Louise de Lorraine est grande, en revanche nous disposons d’une bibliothèque et de lettres signifiantes. Toutefois, afin d’apprécier l’écriture épistolaire de la reine, il convient d’examiner en premier lieu ses goûts livresques…

 

 

  11. La bibliothèque de Louise de Lorraine, parangon de la culture du 16eme finissant ?

 

 

    L’historiographie des guerres de religion occulte souvent toute idée d’épanouissement d’une culture personnelle qui ne se serait pas largement inspirée des troubles et des cataclysmes du temps. Pourtant, un îlot de ‘résistance’ existe à la cour d’Henri III, avec en particulier les acquis de l’Académie de Baïf et l’institution de l’Académie du Palais. Dans quelle mesure la reine Louise s’illustre, ou alors prend des distances vis à vis de ces données ?

 

      111. Caractères généraux

 

    Le 8 janvier 1603, en présence de Marie de Luxembourg, duchesse de Mercoeur, et du procureur de l’évêque de Verdun Henri de Lorraine (exécuteur testamentaire de sa sœur Louise), René Adam, un inventaire[2] après décès fut réalisé au château de Chenonceau touchant les biens du domaine en vue du règlement de la succession de la reine, décédée à Moulins le 29 janvier 1601. Or, parmi les effets de celle-ci, se dégage un coffre scellé[3] renfermant une librairie, c’est à dire une bibliothèque. Une fois les scellés levés, le notaire consigna par le menu tous les livres qui s’y trouvaient, et n’omit point de fixer leur valeur : non que cette dernière fût grande, mais elle contribuait certainement à éponger des dettes que la reine Louise tenait déjà de Catherine de Médicis. Ces 83 ouvrages forment un ensemble de 111 volumes (si l’on s’en tient aux mentions portées par le rédacteur de document), et constituent donc le dernier état de la bibliothèque d’une reine de France.

    Dernier état, mais certainement pas apogée d’un corpus livresque. En effet, cette librairie ne supporte guère la comparaison avec d’autres appartenant à des personnes de rang égal. Ce critère comparatif est d’ailleurs utilisé par Jacqueline Boucher[4] qui confronte l’épouse et la sœur d’Henri III. Il en ressort que Marguerite de France possédait plus de 300 livres, avec une inclination toute particulière pour la littérature de cour, alors que Louise de Lorraine préférait les oeuvres de piété, ne gardant les autres ouvrages que pour la distraction et les nécessités de la conversation. Si nous ne tendons pas à énoncer des conclusions très différentes, néanmoins il ne faudrait point perdre de vue que cette librairie de 1603 a beaucoup souffert des contingences de la vie de sa propriétaire, et qu’elle a en partie été reconstituée ou bien améliorée après 1588. Car, bien que Louise de Lorraine eût demeuré avec la reine mère à Paris après la Journée des Barricades pour négocier l’édit d’Union, elle se réfugia en l’Hôtel St Eustache, laissant certainement des effets personnels au Louvre… où elle ne revint sûrement pas avant 1595. En fait, plusieurs grands personnages du royaume, outre la famille royale, eurent à subir les conséquences des violences ligueuses. Comme Louis de Gonzague, duc de Nevers, en faveur duquel Louise intercéda en écrivant le 5 décembre 1589 à son frère Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, alors en possession de la vaisselle du duc de Nevers.

 

    “Je vous prie bien fort le contanter luy faisant rendre. Je luy ay recongneu en vostre endroict beaucoup d’affection et pour mon regard il m’en porte aussy, qui me faict encores de rechef vous prier qu’il ait sadite vaisselle.”[5]

 

Si le recouvrement de tels objets était envisageable, en revanche il est fort peu probable que pareille chose ait pu se réaliser pour une matière aussi fragile que celle des livres… Cependant, comme le remarque Jacqueline Boucher, des livres reliés à ses armes réapparaissent à la faveur de ventes[6], depuis la fin du XIXème.

    Malgré cet état lacunaire, la validité de l’ensemble n’est pas contestable. Et, bien que la reine jouît de plusieurs demeures, dont Moulins et Romorantin, nous ne retrouvons aucun inventaire effectué en ces lieux. Amenée à voyager fréquemment, elle devait certainement faire suivre ses bagages depuis Chenonceau. Ainsi, quoique éloignée de la Touraine lors de son décès, il est logique d’y retrouver sa bibliothèque.

    Mieux que ‘retrouver’, il s’agit de ‘re-présenter’ les livres qu’elle conservait et auxquels elle était attachée[7]. Sur ce dernier point, la biographie – à forte connotation hagiographique – d’Antoine Malet est significative, et ce dès l’annonce du titre du chapitre dont est tiré l’extrait qui suit – “Louyse prend plaisir aux Histoires sainctes au lieu des contes, c’est son entretien ou par vive voix, ou par les livres depuis huict iusques à dix”.

 

    “I’ay fait autrefois à Chenonceaux l’inventaire de ses livres ou d’histoires sainctes ou de devotion. Il y en avoit un si grand nombre qu’il seroit difficile de penser qu’une personne de son sexe eust faict un si grand amas de ces porteurs de nouvelles du Paradis.”[8]

 

Si notre auteur se targue d’être à l’origine de l’inventaire, en revanche il ne cite aucun livre; quant au nombre, le fait est exact pour la partie religieuse, non point pour l’ensemble. Toutefois, il nous livre l’origine de cette devotion livresque, lorsqu’il évoque l’éducation que le comte de Vaudémont et sa deuxième épouse, Jeanne de Savoie, donnèrent à Melle de Vaudémont.

 

    “Cette belle et saincte fille (…) fut curieuse de fournir son cabinet des meilleurs livres qui fussent alors (…)[9]. “Elle avoit apris de bonne heure que la lecture des bons livres remplissoit l’esprit de bonnes pensees et banissoit les mauvaises imaginations[10]”.

 

L’entretien d’une bibliothèque ne s’inscrit donc pas dans un conformisme à l’égard de ses contemporains, ni même dans une volonté d’affirmer son rang royal puisque la ‘librairie royale’ existe en parallèle des bibliothèques privées des Valois. Cette inclination traduit ainsi bien des choix personnels, même si son existence pose la question de sa formation intellectuelle. Elle explique également la reconstitution (ou bien la mise à jour) de cette bibliothèque.

    L’obscurité de ce fond dont ne demeurent que des traces se ressent dès l’examen de son origine. En effet, il serait ardu de savoir exactement où est la part des livres offerts, des livres de commande, et de ceux achetés personnellement. Quoi qu’il en soit, Louise de Lorraine fréquentait les boutiques et se déplaçait souvent sans grande escorte dans Paris : aussi n’est-il pas improbable qu’elle ait visité les imprimeurs-libraires.

    Par ailleurs, elle a hérité du domaine de Chenonceau au début de 1589, selon les dispositions du testament de Catherine de Médicis. Quelques livres semblent ainsi provenir des fonds de la reine mère : l’abbé Chevalier mentionne que les oeuvres de Cinthio, de Bembo, de Sannazaro et de l’Arioste figuraient avant 1589 dans sa bibliothèque, et qu’elle les avait ‘acquis’ de la famille Strozzi[11].

     De plus, l’inventaire ne nous donne que de maigres indications sur les caractéristiques formelles de ces livres. A grand peine trouvons-nous “un grand livre (…) à fleurs de lyz”, le prix estimé, ou encore le nombre de volumes pour certains ouvrages. Quant aux titres transcrits, ils sont pour la plupart d’entre eux incomplets ; de même les auteurs ne sont qu’à de très rares exceptions nommés. Enfin, la difficulté s’accroît si l’on tente d’esquisser le devenir de ces livres après 1603. Leur dispersion a pu intervenir au gré de ventes assurant le règlement successoral, ou alors ils échurent dans le patrimoine des Mercoeur, puis des Vendôme. Des hypothèses qui sont d’autant plus improbables que ces derniers n’ont guère résidé à Chenonceau ; et si des livres demeurèrent au château, il est certain que les nombreuses ventes qui l’ont affecté aux XVIIIe et XIXe siècles ont altéré définitivement la bibliothèque initiale. C’est pourquoi nous ne retrouvons guère de livres, sauf quelques une comme Barlam et Josaphat, ou une Histoire de la Reyne d’Ecosse.

 

      112. Typologie livresque

 

    Le classement opéré ne reprend pas l’inventaire dans sa dimension linéaire, et se conçoit comme une représentation thématique. D’abord interviennent les oeuvres d’auteurs antiques ou leurs traductions. Puis les ouvrages contemporains, selon deux modalités linguistiques, à savoir l’italien et le français. L’aspect linguistique n’est toutefois pas ici un moteur essentiel, malgré la présence, en plus de la langue vernaculaire, du grec, du latin et de l’italien. Car le ‘corps’ de la bibliothèque est en fait son volet religieux et dévotionnel.

    Les titres de l’inventaire étant très souvent incomplets, nous les avons complétés lorsqu’ils se sont avérés sûrs. Et, afin de donner un sens à cette accumulation de titres, nous avons rajouté dans la mesure du possible, les noms des auteurs et divers autres renseignements contenus en grande partie dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale et le dictionnaire de Cioranescu sur la bibliographie du XVIe siècle. Les notes ont pour vocation de préciser des hypothèses bibliographiques lorsqu’un auteur, une année de publication demeurent suspects. Elles permettent parfois d’ajouter quelques renseignements complémentaires, en essayant de ne pas entraver de trop la clarté de la liste.

 

 

 

 

- Bibliothèque de 1603 -

 

 

·   Ouvrages antiques, traductions :

 

    Virgile

    Horace

    Demosthenia Opera (2 livres en grec)

    Xénophon, Cyropédie[12]

    Cicéron  (8 tomes)

    Cicéron, Epistres familieres[13]

    Tite Live, Histoire (3 volumes)

    Cornelius Tacitus[14]

    Flavius Josèphe, Histoire de Joseph, de la Guerre, destruction et captivité des Juifs ; un traité du Martyre des Maccabées, la Vie de l’autheur escrite par luy-mesme, l’Abrégé de Josippe sur le mesme argument,…mise en françois, reveuë sur le grec et illustrée de chronologie, figures, annotations et tables, tant des chapitres que des principales matieres, par D. Gilb. Genebrard, Paris, 1578.

    Appiani Alexandrini Opera[15]

    Plutarque, Vyes (trad. Amyot ?)[16]

    Plutarque, Oeuvres meslees

 

·   Ouvrages contemporains :

 

1. Italiens :

 

    G.B.Giraldi Cinthio, De la seconda parte degli Hecatomiti[17]

    Arcadia di messer Jacopo Sannazaro[18]

    Cena di messer Jacomo Ariosto

    Prosa di messer Petro Bembo[19]

 

2.      français :

 

    Histoire de France (2 volumes)

    Bernard de Girard du Haillan, Histoire de France (2 volumes), Paris, 1576.[20]

    Nicolas Biré, Alliances généalogiques de la maison de Lorraine, ensemble de ceux de Bar, Vaudémont, Luxembourg, et les memoires des guerres qui ont esté en France depuis l’an 1560 jusques en l’an 1593, par P.B., Nantes, 1593.

    Congratulation faite au Roy

    André Thevet, Cosmographie Universelle, Paris, 1575.

    André Thevet, Les Vrais portraits et vies des hommes illustres grecs, latins et payens, anciens et modernes, recueilliz de leurs tableaux, livres, médailles antiques et modernes, second tome, Paris, 1584.

    Femmes illustres[21]

 

    Marsile Ficin, Les Trois Livres de la Vie : le I, pour conserver la santé des studieux ; le II, pour prolonger la vie ; le III, pour axquérir la vie du ciel avec une Apologie pour la medecine et astrologie. Le tout composé …en latin par Marsille Ficin …et traduit en françois par Guy Le Fèvre de La Boderie, …suivi de six sonnets du traducteur, Paris, L’Angelier, 1581.

    Ambroise Paré, Cinq livres de Chirurgie, Paris, 1572.[22]

 

    F.Vinciolo, Les singuliers et nouveaux pourtraicts du sieur Federic de Vinciolo, pour toutes sortes d’ouvrages de lingerie, …De rechef et pour la quatrième fois augmentez, Thurin, Thomysi, 1589.[23]

 

·   Bibliothèque religieuse :

 

1. Ouvrages généraux

 

    Bible

    Bréviaire

    Bréviaire “romain non de nouvelle impression selon le concile de Trente”

    Psaultier

 

2. Hagiographies ; Pères & théologiens de l’Eglise médiévale

 

    René Benoist, Vyes des Sainctz (3 tomes)

    Vye de St Hierosme

    Hystoire de Saincte Geneviefve

    Hystoire de Saincte Geneviefve

    Barlaam et Iosapha, roy de Judée[24]

 

    St Augustin, Cantiques et Psaumes[25]

    Saint Augustin, Confessions

    Saint Augustin, Confessions

 

    Hugues de Saint Victor, Oeuvres du bon et ancien père en Dieu l’abbé de Cluny[26]

    Robert Bacon (?), Lettres nouvelles[27]

 

3. Dévotion Mariale

  

    Raymond Jordan, Les contemplations de Idiota…, Paris, Chaudière, 1586.[28]

    Louis de Grenade, Rosario de la Sacratissima Maria Virgine.[29]

    Frederic Morel (?), Officium beatae Mariae, Paris, 1585.[30]

    Jean de Ranay, sieur de Lavardin, Recueil de la vie et conversation de la Vierge Marie, Paris, 1585.[31]

 

4. Sermons

 

    Sermons des Dimanches de l’année[32]

    Sermons sur l’excellence de Nostre Seigneur

    Fr. Corneille Musso, Sermons sur l’advenement du benoist Sainct Esprit, le jour de la Pentecoste, traduit d’italien en françois par M. J. Berson, …Item Interpretations d’aucunes parolles et l’accomodation d’icelles à ladite histoire, par le mesme translateur avec toutes ses predications faictes ce karesme dernier à Sainct Jacques de la Boucherie, reduites par quadrains, Paris, L’Huilier, 1574.

    Simon Vigor, Sermons et predications chrestiennes et catholiques du saint sacrement de l’autel, accommodées pour tous les jours des octaves de la Feste-Dieu, prononcées par Monsieur Viget, archevesque de Narbonne. Mises en lumières et reveues par Jehan Christi, Paris, 1577.[33]

    Fr. Corneille Musso, Les Sermons très-doctes et éloquens de très-Reverend P. Messire F. Corneille Musso, …faicts en divers temps et divers lieux, et mis en ordre suivant celuy de la derniere impression italienne, …mis d’italien en françois par Gabriel Chappuys, Paris, Chaudière, 1584.[34]

    Sermons du R.P. en Dieu messire Philippes du Bec, Paris, 1586.[35]

 

5. Ouvrages mysticisants

 

      51. Des mystiques antérieurs au XVIe siècle…

 

    Denis le Chartreux, De l’estroict chemin du salut, contenant le contemnement du monde, le Mirouer des amoureux du monde et tout ce qui concerne l’enormité du peché. Faict en latin par venerable pere Denis Lenais de Rickel, dict communement le Chartreux, avec la vie de l’autheur. Le tout traduict en François par Frere Iacques Morice, Paris, Chaudiere, 1586, 2vol., 410 ff.

    Raymond Jordan, Les Contemplations de Idiota, homme de saincte vie …sur l’amour divin, la Vierge Marie, la vraie patience, et la mort …de la traduction de M. Jacques Tigeou, Paris, Chaudière, 1586.[36]

    Nicéphore, Histoire ecclésiastique de Nicéphore fils de Calliste Xantouplois, traduicte nouvellement du latin en françois de nouveau corrigée et mise en meilleur françois qu’auparavant par deux docteurs de la faculté de théologie à Paris, Paris, Langelier, 1586.[37]

    Henry Suso, Oeuvres spirituelles de Henry Suso personnage fort celebre en doctrine, et saincteté de vie. Nouvellement traduittes de latin en François, par F.N. Le Cerf, Prieur de la Chartreuse de Nostre Dame de Bonne Esperance, près le Chasteau de Gaillon, Paris, 1586.[38]

    Basile de Césarée, Discours de la pénitence traduit de grec en françois, sur l’original de saint Basile le Grand par Fr. Morel, Paris, Morel, 1587.[39]

 

      52. Le courant espagnol

 

    Douze tomes du R.P. Loys de Grenade[40]

    Louis de Grenade, Traité de l’Oraison Chrestienne[41]

    Louis de Grenade, Grande Guide des Pecheurs[42]

    Louis de Grenade, Mémorial de la vye Chrestienne[43]

    Louis de Grenade, Le vray chemin et adresse pour acquerir et parvenir à la grâce de Dieu, par Louis de Grenade, et mis en françois par François de Belleforest, Paris, 1579.

    Louis de Grenade, Supplément de dévotion

 

    Dom Antonio de Guevara, Oratoire des Religieux, trad. Paul du Mont, Paris, 1576.

    Diego de Estella, Livre de la vanité du Monde divisé en trois parties, composé par R.P.F. Diego de Estella, trad. Gabriel Chappuys, Paris, 1587.[44]

    Diego de Estella, Méditations très dévotes de l’amour de Dieu par le Révérend Père Fr. Diego de Stella, …mises d’hespagnol en françois par Gabriel Chappuys, Paris, 1586.

    Jean d’Avila, Epistres spirituelles de R.P. J. de Avila, très renommé prédicateur d’Espagne, fidèlement traduites et mises en meilleur ordre que dans l’exemplaire hespagnol, par Gabriel Chappuys, Paris, 1588.

 

 

 

          53. Autres

 

    Arnaud Sorbin (?), Formulayre d’oraisons, Paris, 1567.[45]

    Six livres de l’advenement de Nostre Seigneur

    Méditations de la Magdelaine

 

    Manière de bien aymer Dieu

    Souverain Remède d’aymer Dieu

    Instruction pour aimer Dieu

   Traité de la crainte de Dieu

 

6. Doctrine & controverse théologique

 

    Francesco Panigarole[46], Leçons Catholiques sur les doctrines de l’Eglise divisées en trois parties, prononcées à Thurin l’an 1582 par F. François Panigarole, …traduictes de l’italien en françois par C.G.T. (Gabriel Chappuys), 1586.[47]

    Francesco Panigarole, Leçons Catholiques…

    René Benoist, Claire et certaine probation de la nécessaire manducation de la substancielle et réale humanité de Jésus Christ, vray Dieu et vray homme, soubs les espèces de pain en l’hostie sacrée sans laquelle aucun ne peut estre sauvé, avec plusieurs traitez qui s’y rapportent…, Paris, 1586.[48]

    Philippe de Mornay, sieur du Plessis, De la Vérité de la religion Chrestienne, contre les athées, epicuriens, payens, juifs, mahumedistes, et autres infideles, Anvers, 1581.[49]

    Louis Richeome, Victoire de la Vérité Catholique contre la faulse vérification de Philippes de Mornay sieur du Plessis, sur les lieux impugnés de faulx au livre de la sainte Messe[50]

 

7. Autres

 

    Nicolas Houël, Advertissement et déclaration de l’institution de la maison de Charité Chrestienne establie & fondée par le Roy & la Court de Parlement en la ville & faulxbourgs de Paris, & commancée ès faulxbourgs Sainct Marcel, par l’authorité du Roy et de sa court de parlement, 1578. Ensemble plusieurs sainctes exhortations, instructions et enseignements tant en prose qu’en vers pour induire le chrestien à aimer Dieu et les pauvres, le tout recueilly des Sainctes Escritures et authoritez des saincts docteurs de l’Eglise catholique…, Paris, Chevillot, 1580.[51]  -dédicacé-

 

    Claude Vicar, Petit discours de l’utilité des voyages ou des pèlerinages, tiré de plusieurs passages de la sainte Ecriture et autres autheurs, mis en lumière du commandement de la royne de France, par E. Maignan…, Paris, Roger, 1582.

    Gabriel Giraudet, Discours du voyage d’outre-mer au Saint Sepulchre, Paris, 1585.[52]

 

·   Divers :

 

    “ung grand livre (…) à fleurs de liz”

    “livre de Nuvoclois”

    “descripts de tres digne memoire”

 

 

  Annexe : une bibliothèque virtuelle?

 

    Une partie notable des bibliothèques royales provient de commandes, de dons souvent accompagnés d’une dédicace, plus ou moins formelle et prolixe. La liste suivante montre dans l’ordre chronologique – mais aussi thématique – de leur publication des livres dédicacés, offerts à Louise de Lorraine, et qui ne figurent pas en général dans l’inventaire après décès, parce qu’elle les a perdus dans les troubles, ou bien parce qu’elle ne les a pas conservées de son propre chef.

     D’ailleurs, un indice probant de l’existence d’une conservation sélective des livres existe. En effet, vraisemblablement autour de 1598, un jeune juriste, Jean Duret, originaire de Moulins, fit appel à la reine douairière afin d’obtenir sa caution : l’ouvrage qu’il comptait faire imprimer n’intéressait qu’un public restreint, et son imprimeur ne voulait pas s’engager sans garantie de recouvrement de son investissement[53]. Or Louise de Lorraine répondit favorablement et ce dernier lui dédia son oeuvre : il est par conséquent curieux de ne pas retrouver ce livre dans la librairie de Chenonceau. Et l’hypothèse de livres restés à Moulins nous paraît encore une fois suspecte. Quant à l’autre ‘locataire’ du château de  Moulins, Antoine de Laval, auquel la reine aurait pu confier ses livres, il semble très peu probable que ce dernier en ait reçu, puisque le testament de Louise de Lorraine ne le mentionne pas, et car les héritiers ont visiblement recherché tous ses biens afin de payer les créanciers.[54]

 

    Livre d’Heures[55]

    Missa ad postulandam a Deo prolem pro christianissima regina Franciae, in insigni ecclesia Carnotensi, per novem diem mense octobri 1577, ex voto ejusdem reginae solemniter celebrata.[56]

 

    Noël Gillet, Portraict de la Felicité de très-illustre, très-haut, et très-puissant prince Monseigneur Nicolas de Lorraine, duc de Mercueur, marquis de Nomeny, comte de Vaudemont et de Chaligny…, Reims, 1574.[57]

    Noël Gillet, Epithalame et chant nuptial sur la nopce du tres-chrestien roy de France et de Pologne Henry troisiesme de ce nom et de Loïse de Lorraine, Lyon, 1575.

    Jean de La Jessée, Epithalame…, in Les premieres œuvres françoises de J. de L. J., Anvers, 1583.

    Jacques de Vintimille, Epithalamium Henrici III Galliae Poloniaeque regis et Lodoicae Lotarenae, Paris, 1575.

    Jean Antoine du Baïf, Epistre au roy (1575)  -dédicacé-

    Hymne de la beauté de Dieu (1576)  -dédicadé-

    Rémi Belleau, “Eglogues  -dédicacé-

    Flaminio de Birague, Oeuvres poétiques… (1581)  -sonnet dédicacé-

    Joachim Blanchon, Les premières œuvres poétiques, Paris, 1583

    Nicolas Clément, Annagramatum, 1583  -poème dédicacé-[58]

    Philippe Desportes, Cartels, mascarades et épitaphes (1583)  -poème dédicacé-

    Jean Dorat, Sibyllarum duodecim oracula (1586)  -dédicacé-

 

    Jean Lebon, Abbregé de la proprieté des bains de Plommieres, extraict de trois livres latins de Jean Le Bon, Hétropolitain, médecin du Roy et de Monsieur le cardinal de Guyse. A la Royne, Nancy, 1576.[59] –dédicacé–

    Nicolas Hoüel, Procession de Louise de Lorraine, femme de Henri III, allant du Louvre au faubourg Saint Marceau pour poser la premiere pierre de la nouvelle Maison chrestienne projetée, même commencée en 1584, Paris, 1584.

    Barthélemy de Beaujoyeulx, Ballet comique de la Royne faict aux nopces de M. le duc de Joyeuse et de Mademoiselle de Vaudémont sa sœur, Paris, Le Roy, 1582.[60]

    Claude Vicar, Petit discours de l’utilité des voyages ou pèlerinages, tiré de plusieurs passages de la sainte Ecriture et autres autheurs, mis en lumière du commandement de la Royne de France… (1582)  -dédicacé-

    F. Vinciolo, Les singuliers et nouveaux pourtraicts pour toutes sortes d’ouvrages de lingerie, Turin, 1589  -dédicacé-

    Barnabé Brisson, Code du roy Henry troisième, roi de France et de Pologne, Paris, Morel, 1587.  -dédicacé-

    Jean Duret, Alliance des lois romaines avec le droit français, Paris, 1600.  -dédicacé-

    Philippe Duplessis Mornay, De la vérité de la religion chrestienne, contre les athées, epicuriens, payens, juifs, mahumedistes et autres infideles, Anvers, 1581.

    John Leslie, Regiment of Women (ca 1580)  -dédicacé-[61]

    Histoire de la mort de la Reyne d’Ecosse[62]  -dédicacé-

    Loys Papon, La Constance à tres illustre princesse Loyse, reine de France (1589 ou 1590)[63]  -dédicacé-

 

 

 

      113. Perspectives

 

    L’importance de la notion de bibliothèque dans l’imaginaire du XVIe siècle est particulièrement perceptible dans la publicisation de la matière politique. La constitution de la collection royale sous François 1er est coextensive du “grand projet” énoncé par Gilbert Gadoffre[64] comme un facteur de prestige. Les bibliothèques Montmorency eurent également un impact considérable sur les mouvements culturels de l’époque.

 

    “Dans ses deux principaux châteaux à Chantilly et à Ecouen, il y a de grandes salles consacrées à la ‘librairie’ qui, par son contenu et la somptuosité de ses reliures, a fait sensation sur les contemporains. Nicolas Viole, aumônier du Roi, a livré ses impressions dans la dédicace d’un livre offert au Connétable, dont il loue les efforts ‘pour réparer la perte inestimable que nous avons faite par ci-devant de tant d’excellents et singuliers livres, certainement par la faute des nonchalances des princes anciens. Grâce à vous Monseigneur, nous aurons quelque jour en France une librairie plus excellente que celle de Ptolémée Philadelphe ou de Luculle le Romain[65].

 

    Cette image d’une nouvelle Alexandrie faisant du Connétable le phare du royaume montre la considération dont jouit alors la tenue d’une librairie. Mais, parce qu’elle est un instrument politique, la mise en évidence de la bibliothèque sert au gré des circonstances. Ainsi, pendant les évènements de la Ligue se propage un pamphlet, La Bibliothèque de Madame de Montpensier, liste fantaisiste de cent livres censées lui appartenir où tous les titres contiennent des illusions politico-sexuelles à la conjoncture du temps[66]. Toutefois, les livres conservés par Louise de Lorraine sont nettement plus marqués par leur caractère privé.

      Une constatation objective se présente au fur et à mesure que l’on prend connaissance de cette bibliothèque: l’aspect linguistique qui est loin d’être uniforme puisque latin, grec, italien et langue d’oc se mêlent au français. Or la reine comprenait-elle toutes ces langues ? Jacqueline Boucher assure que “sa culture, à l’époque de son mariage, n’était pas étendue”. Elle s’en explique en remarquant qu’en septembre 1580, la reine employa l’érudit Jacopo Corbinelli afin d’instruire sa sœur Marguerite en la langue toscane. Il est vrai qu’une remarque du nonce Ragazzoni dans sa lettre au cardinal de Côme en date du 5 décembre 1583,donne à penser que Louise de Lorraine, contrairement à une bonne partie de la cour, ne connaissait d’autre langue que le français :

 

    “J’allai ensuite rendre visite à la Reine régnante, et m’en acquittais au plus vite, parcequ’elle ne comprend, ni ne parle d’autre langue que le français, et ne participe à aucune négociation”[67].

 

En fait la reine ne devait pas être capable de soutenir une conversation en italien. Mais il semble peu croyable que les textes latins, et surtout italiens, lui soient demeurés, sa vie durant, totalement abscons. Il est ainsi probable que le Rosario de la sacratissima Maria Virgine a contribué autant au développement de sa spiritualité qu’à sa compréhension de l’italien ; car elle a pu se procurer ce livre dès 1573 ; et, si elle l’avait acquis (ou si on le lui avait offert) sans pouvoir appréhender la langue, l’édition espagnole aurait convenu.

    Cette apparente médiocrité est largement imputée à une instruction de jeunesse limitée souvent attribuée à la ‘pauvreté’ de sa famille. Certes, le comte de Vaudémont eut de nombreux problèmes d’argent, mais il était régent du duché de Lorraine et son érudition était fort connue. D’ailleurs, Antoine Malet note que

 

    “ce n’a pas esté une faveur particuliere à Louyse de parler bien mais encore elle s’est estendüe sur tous les autres enfans et principallement sur Philippes Emanuel duc de Mercoeur, frere de Louyse, lequel pour s’estre exercé de ieunesse (…) à la prononciation des langues latines, françoise, alemande, italienne et espagnolle, a esté estime l’un des mieix disans et des plus eloquens princes de son temps”[68].

 

Mademoiselle de Vaudémont eut donc certainement une éducation conforme à celle de toutes les filles de la maison de Lorraine. Peut être apprit-elle quelques bribes de latin, d’allemand (elle assista à des fêtes à Munich en 1564) et d’italien, mais sans doute celles-ci ne lui permettaient pas de dépasser le stade de la lecture. Les traités d’éducation de la Renaissance s’abstiennent dans la plupart des cas d’évoquer l’instruction des filles. En 1542 cependant, une traduction de l’Instruction de la femme chrétienne de J.L. Vivès parut en France. Son succès fut tel qu’elle connut vingt éditions au XVIe. La science du ménage est décrite comme la principale qualité que doivent acquérir les jeunes filles. Leur formation intellectuelle, où les romans sont proscrits, et les langues anciennes exclues, passe par des livres de piété, la Bible, les Pères de l’Eglise, quelques livres de philosophie[69]. Mais elle ne vise qu’à promouvoir et inspirer la chasteté et l’humilité, vertus qu’exalte d’ailleurs Antoine Malet:

 

    “Que Louyse planta en ieunesse plusieurs grands vertus sur la terre preparee de son doux naturel. Quatre principallement sur touts les autres (…) l’Humilité, la Religion, la Chasteté, et la Vérité”[70].

 

 

    Quelle que fût la pédagogie employée à son égard, Louise de Lorraine sut mettre à profit ses lectures pour l’instruction et l’édification de ses filles demoiselles. Elle suscita d’ailleurs indirectement l’intérêt d’un certain Béroalde de Verville qui dédicace en 1594 à l’une de ses dames, Charlotte Adam, dame de la Valière, un ouvrage pédagogique, les Aventures de Floride. Béroalde insiste sur les bienfaits de la femme et impose la lecture comme la principale forme pédagogique féminine. Les titres de ses chapitres sont éloquents : « Quel bien ce serait si les femmes étaient savantes » ; « Comment les femmes doivent user de leur doctrine » ; « L’abus de ceux qui blasment les femmes sçavantes ».[71] Il est d’ailleurs l’auteur d’un Cabinet de Minerve et d’un Palais des curieux, manuels de ‘singularités’ ou histoires édifiantes sous forme de romans, de contes et de dialogues. L’originalité de ces ouvrages réside dans la valeur accordée à la culture féminine, et il est piquant de constater que Béroalde s’en remette à une dame de noblesse seconde : la reine douairière s’étant retirée du monde, elle conseilla sans doute à l’auteur sa compagne de Chenonceau comme dédicataire. Charlotte Adam recevait là un singulier honneur, mais Louise de Lorraine dut apporter sa caution car les idées de Béroalde étaient novatrices. Au-delà du rôle mondain et du rôle moral, se profilait une nouvelle potentialité, celle de la femme éducatrice, et donc au préalable lectrice :

 

    « si celle qui sait est en compagnie, elle trouvera moyen de proposer accortement mille petites inventions pour resjouyr : au contraire des ignorantes qui ne font que causer, mesdire, blâmer, mentir, se vanter, calomnier, envier, contredire (..) ».[72]

 

 

  12. L’astre lunaire de la Cour

 

    L’image solaire du roi est attestée depuis Henri II et la fréquence de son utilisation s’accroît sous le règne d’Henri III. Le parangon féminin du soleil, la lune, devient naturellement un symbole pour désigner la reine, au moins depuis Louise de Lorraine. L’astre solaire désigne même la reine sous la plume de Claude Billard, dans ses Vers funèbres… :

 

Et ce nouveau Soleil, Princesse chaste et belle

Dont la Lorraine emprunte une clarté nouvelle[73]

 

 

 

      121. Une bibliothèque de Cour, quand même…

 

    Malgré le nombre relativement réduit d’ouvrages présents, les aspects abordés, par leur diversité, mais aussi l’abondance de l’aspect spirituel, reflètent les préoccupations personnelles de la reine, et sont révélateurs de goûts inhérents à la vie de cour en cette fin de XVIe siècle.

    Et en premier lieu, la thématique ‘historique’ avec des livres d’Histoire certes, mais également des ‘vies’ à caractères hagiographiques, ou bien profanes, qui regroupe un peu plus du cinquième (21,7%) de la librairie  - en termes d’oeuvres (et 19,8% des volumes). Si le goût de Louise de Vaudémont pour les histoires s’inscrit dans l’orbite d’une pédagogie traditionnelle, en revanche ce thème développé par Louise de Lorraine relève plus de la vision de “l’Histoire comme pédagogie royale”, pour reprendre Gilbert Gadoffre[74]. Les hagiographies s’insèrent d’ailleurs dans ce cadre, dans la mesure où les préoccupations religieuses de Louise de Lorraine ne relèvent pas d’un ‘otium’, mais d’une ‘auctoritas’, une espèce de magistère spirituel essentiellement liée au pouvoir royal.

    Déjà Guillaume Budé dans son Institution au Prince rassemble des ‘exempla’ largement empruntés à la Bible et à Plutarque. Celui-ci et l’Ecriture, dans la bibliothèque de la reine comme dans bien d’autres au XVIe, ne sont cependant que les reflets les plus brillants et omniprésents de toute une littérature exemplaire et historique grâce à laquelle “les Grands peuvent acquérir la vertu de Prudence qui leur permet de choisir les hommes et de discerner les circonstances bénéfiques, de contourner l’obstacle quand il est encore temps”[75]. Ces deux miroirs cachent ainsi le Recueil de la vye de la Vierge Marie, deux Hystoire de saincte Geneviefve, une Vye de Saint Hierosme, Barlaam et Josaphat, Roy de Judée[76], la Vye des Sainctz en trois tomes, mais aussi les Femmes illustres, le Second tome des vyes des hommes illustres. Il est remarquable que le livre de René Benoist soit considéré par Antoine Malet comme le livre de chevet de la reine :

 

    “lors qu’elle estoit contrainte de demeurer au lict, son livre ordinaire estoit la Vie des Saincts”[77]

 

Ce genre de lecture ne revêt donc pas seulement un aspect oisif, mais bien spirituel car en rapport avec l’examen de conscience que pratiquait Louise de Lorraine le soir. En formant sa conscience critique, que ce soit vis à vis de la religion ou du monde (ce qui n’est pas antinomique chez elle), la reine laisse transparaître des influences humanistes probablement acquises à la cour de Lorraine, sous la direction de Claude de France, duchesse de Lorraine.

    L’Histoire ‘évènementielle’ rassemble aussi les ouvrages d’auteurs antiques, médiévaux et contemporains. La plupart illustre la notion de pédagogie du haut fait constitutif de la noblesse, et par conséquent prépare à la maîtrise du pouvoir. Largement répandus, ils sont présents dans les bibliothèques depuis plusieurs générations. C’est notamment le cas pour la Cyropédie de Xénophon, les Histoires de Tite Live et les Appiani Alexandrini Opera. Les descripts de tres digne memoire, l’Histoire de Joseph, Nicéphore et son Histoire ecclésiastique illustrent encore le goût pour les récits, mais avec des livres moins diffusés et en rapport avec des questions religieuses. Le cas de Tacite[78] est une transition originale avec les livres de la deuxième moitié du XVIe car cet auteur n’est redécouvert en France qu’à partir de 1574. Qu’il s’agisse d’un ouvrage en latin ou en langue vernaculaire importe peu dans ce choix et dans celui de sa conservation : ce monument de l’Histoire marque aussi l’implication de la reine dans la réception - même si elle s’inscrit dans un cadre officiel - des problématiques culturelles les plus actuelles. Sa correspondance avec Bernard de Girard, sieur du Haillan, ne se borne pas aux lettres ; elle est empreinte d’une culture historique commune, la première possédant deux Histoire de France, dont l’une au moins est l’œuvre du second.

    Un dénominateur commun dans cette littérature historique et exemplaire est la présentation de modèles héroïques. Cette notion de modèle suggère le travail d’interprétation, d’appropriation subjective par le lecteur qui doit faire jouer son attention critique. Car, détourné à des fins politiques, les ‘vies’ participent à une littérature, polémique celle-là. Ainsi en est-il pour l’Histoire de la reyne d’Ecosse, certainement imprimée à Reims, et adressé à la reine : l’exécution de Marie Stuart symbolise l’infamie réformée qui n’hésite pas à s’en prendre à une reine, bafouant sans égard le fixisme social de cette société d’ordres. La reine de France, sa ‘belle-soeur’, est invitée par l’existence même de ce récit à s’investir publiquement dans la défense des catholiques, aux côtés de la Ligue. Cette histoire immédiate qui reprend des modèles antiques ou, au moins, du passé, n’est pas exempte de danger pour une personne dont le moindre propos peut avoir une implication politique. C’est pourquoi, en matière d’Histoire et de récits de hauts faits, la reine Louise s’en tient à des auteurs bien en cour, comme André Thevet ou Bernard du Haillan.

    Seules les Alliances lorraines[79] semblent dévier de cette harmonie livresque, mais elles reflètent d’abord un attachement à sa parenté, et leur date de parution – 1593 – indiquent leur caractère politique, polémique et offensif : l’érudition présentée retranscrit plutôt une défense implicite des Mercœur et l’affirmation de leurs prétentions en Bretagne. Toutefois, il s’inscrit dans le cadre de la noblesse : les goûts de la reine, qu’ils la portent vers un Antoine Thevet, un Ambroise paré, ou un Nicolas Biré, participent tous d’une culture commune de cour.

    La littérature géographique d’André Thevet culmine justement dans la Cosmographie universelle, véritable manifeste de la diversité inépuisable du monde et de la curiosité indispensable pour l’aborder[80]. Concomitant à ce genre, le thème du voyage sous la forme du pèlerinage est alors fort en vogue : cette paraphrase du voyage initiatique suscite l’engouement de Louise de Lorraine. Ainsi envoie t-elle deux capucins à Jérusalem “prier en son nom au Saint Sépulchre”[81] vers 1582-1584. Cet attrait pour Jérusalem est d’autant plus grand qu’elle possède un Discours du voyage de Hyerusalem de Gabriel Giraudet dans lequel nous pensons voir le récit de ‘son’ pèlerinage, ou du moins un miroir idéal de celui-ci. En outre, elle commande à un certain Claude Vicar un Discours des voyages fondé sur les Ecritures, et participe donc au mécénat royal par ce biais. Au-delà des modes littéraires perce donc une personnalité.

    Une autre perspective est celle de la considération de la subjectivité et d’une éventuelle spécificité féminine. Ainsi l’objet de Vinciolo, la broderie, n’a rien de très viril. D’autre part, il est possible de voir dans la Chirurgie de Paré le souci de sa santé, les problèmes de stérilité étant traditionnellement imputés aux femmes. Henri III posséda d’ailleurs un ouvrage d’Hippocrate au titre évocateur, le Liber prior de morbis mulierum[82]. Cependant, les préoccupations d’Ambroise Paré sont nettement plus intellectualisées, et visaient donc l’élite culturelle plus que des femmes en particulier. En cela il rejoint Les Trois Livres de la Vye de Marsile Ficin, seule réminiscence du courant néo-platonicien dans cette librairie, et probablement originaire de la bibliothèque de Catherine de Médicis. La ponctualité de ces ouvrages indiquent sûrement leur utilité pratique plutôt que leur rumination philosophique dans l’esprit de la reine régnante.

 

      122. “toutes les estoilles font leur cour au Soleil et à la Lune”[83]

 

    L’art de la conversation

 

    La conversation demeure au XVIe siècle un vecteur important de la culture et de la formation de l’esprit. Et la cour des Valois l’a érigée en culture autonome, depuis les ‘disputes’ à la table de François 1er  jusqu’aux débats de l’Académie du Palais de Henri III[84]. Elevée en Lorraine autour de la duchesse Claude de France, mademoiselle de Vaudémont connut de bonne heure les usages du monde :

 

     “Elle fut bien tost instruite en la pratique du monde”[85].

 

    Les titres dont Antoine Malet pare ses chapitres sont évocateurs – “De l’agréable conversation de Louyse, sa civilité et affabilité qui est le fond ou paroissent les vertus” (IV, 3) ; “Louyse estoit veritable en ses paroles…” (IV, 12) – et renvoient surtout à sa jeunesse :

 

    “Le Comte et la Comtesse Jeanne de Savoye avoient prins un tel soin à faire apprendre à leurs enfans de parler nettement que ce n’a pas esté une faveur particulière à Louyse parler bien”[86].

 

 Evoquant ensuite la reine, le ‘biographe’ n’a qu’à adapter les termes pour montrer l’heureuse métamorphose, qui résulte cependant d’une autre formation mis en oeuvre par sa dame d’honneur, Jeanne de Vivonne, et surtout Louise de La Béraudière, la belle « Rouet », habile praticienne de la cour.

 

    “la Reyne sçavoit bien faire la Reyne en parolles, en gestes, en habits”[87].

 

Mais, quelques lignes plus loin, il ne résiste pas à la tentation de faire sien une anecdote alors fort répandue :

 

    “Un iour, m’a dit un grand homme de bien de l’une des meilleures familles de Paris qui y estoit present, environ l’an quatre vingts et cinq, la Reyne habillée simplement entra dans une boutique de cette ville de Paris rue sainct Denys, suyvie et accompagnée en Reyne, où se rencontra une Présidente, qui choisissoit quelque marchandise de soye pour se faire brave (…). La Reyne toute debout au milieu de cette place sans rien dire, considere cette Dame de toutes parts et la void si richement habillée, et avec tant de superfluité qu’elle s’en étonna, apres avoir patienté quelque temps, la Reyne en souriant s’adresse à la remueuse de Bravetté, et luy demande doucement qui elle estoit, la Présidente qui se croyoit à cause de ses habits estre plus grande Dame que la Reyne luy repart brusquement qu’on l’appeloit la présidente N., à quoy la reyne avec une parolle douce, mais toute pleine de Royalle gravité repliqua: ‘Vrayment Madame la Présidente vous estes bien brave pour une femme de vostre qualité’. La Présidente réplique ‘Madame ce n’est pas à vos despens’ (…). La présidente ne regarde plus la robe mais bien la face de la Reyne, se jette à genoux et demande pardon”[88].

 

    Il sied donc à la reine de France de conjuguer la “douceur” à la “gravité”: nous ne sommes là guère éloignés de la rhétorique des prédicateurs de la Contre Réforme. Seulement, cet art de la parole maîtrisée par la reine s’inscrit d’abord dans le cadre de la cour car celle-ci est le théâtre privilégié (avec le Parlement, pour les magistrats) de la conversation. En plus de l’influence lorraine, le contact du roi, formé à l’éloquence par Pontus de Tyard et Jacques Amyot, lui a certainement transmis la pratique, sinon le goût pour cet “honnête divertissement”[89]. La faveur inattendue de 1575, ainsi que son naturel lui firent ainsi cultiver deux des principales vertus de la ‘majestas’ romaine revisitée à la Renaissance : la ‘gravitas’ et la ‘temperantia’[90]. Mais ce style résulte plus d’une imprégnation des usages de la cour que d’un exercice formel conscient.

 

    Les dédicaces

 

    Un autre usage propre à l’univers de la cour et inhérent à l’exercice de la majestas consiste en la réception de dédicaces plus ou moins élaborées, formelles ou engageant la personne royale. L’aspect le plus officiel de cette pratique consiste en la réception d’œuvres glorifiant la monarchie française, souvent à caractère juridique. Ainsi le Code du roi Henri troisiesme… du grand parlementaire Barnabé Brisson – du moins dans l’édition de 1587 pour la reine régnante.

    Louise de Lorraine fut l’objet de plusieurs dédicaces de la part de poètes courtisans, et dont les productions n’ont pour la plupart que peu de rapports avec la reine-régnante. Les sonnets de Flaminio de Birague sont à cet égard un modèle du genre car ses Premières œuvres poétiques publiées en 1585 sont ordonnancées selon la hiérarchie de la cour, leurs sujets – des Amours à la manière de Ronsard – étant dissociés des dédicataires, sauf pour Henri III auquel le poète consacre le fond et la forme…

 

 

    Juste postérité qui liras la tristesse,

Les travaux ennuyeux, le tourment inhumain,

Que j’ay souffers aimant l’œil, le poil, et la main,

Qui m’ont brulé, lié, et tourmenté sans cesse,

    Si tu avois eu l’or de la luisante tresse,

Le venerable port, le maintien doux-humain,

Les lis, le lait, la nége, et l’albastre du sain

De celle qu’en mes vers j’appelle ma Maistresse,

    Tu dirois, à bon droit : « Vrayment c’est bien en vain,

Que cet audacieux et peu sage Ecrivain

A osé entreprendre, en si tendre jeunesse,

    D’escrire et cizeler au temple souverain

De l’immortalité, en éternel airain

Les divines beautez d’une telle Deesse »[91].

 

L’invocation du poète ne concerne en rien la reine alors que le sonnet lui est dédicacé ; au contraire, c’est à la « juste postérité » qu’il en appelle pour le juger. Certes, à travers le thème platonicien du caractère divin de la beauté, il se réfère à une femme-soleil. Mais cette dernière se retrouve ensuite dans les autres sonnets où les dédicataires sont d’un rang moindre que la Reine de France.

    Des poètes, seul Jean Dorat semble élaborer une dédicace signifiante et significative à Louise de Lorraine, bien que le roi ne soit jamais loin dans sa pensée, dans ses Sibyllarum duodecim oracula (1586). En effet, Dorat se pose comme chantre de la réflexion sur l’unité profonde des arts et la similitude du sort des artistes ; sa conclusion se porte ainsi vers celle qui depuis 1581 apparaît aussi comme protectrice des arts, employant elle-même des artistes, à l’imitation ou l’instigation d’ailleurs, de Catherine de Médicis. Ensuite, des Epigrammatum libri III permettent à Jean Dorat de féliciter le couple royal pour avoir réservé la charge de portraitiste officiel de la cour à Jean Decourt : ses portraits magnifient certainement dans la veine maniériste le « Rex divum similis » et la « similis Reginae dearum »[92]. Nicolas Clément, juriste proche de la cour, adressa pareillement d’autres Epigrammata à la reine[93].

    L’ouvrage d’un proche[94] de Louise de Lorraine, devenu son prédicateur ordinaire vers 1589, traduit bien l’implication de la reine et de son entourage, dans les questions littéraires et les divertissements de cour. En effet, le P. Pierre Dinet est l’auteur d’un livre d’érudition, composé sous le règne de Henri III, mais seulement publié en 1614 chez Heuqueville. Les Cinq livres des hieroglyphiques où sont contenus les plus rares secrets de la nature et proprietez de toutes choses avec plusieurs admirables considérations et belles Devises sur chacune d’icelles, oeuvre très-docte, ingénieux et éloquent nécessaire à toutes professions de feu M. P. Dinet, Docteur en théologie, Conseiller et maistre de la Chapelle du Roy, son Prédicateur ordinaire et de la Royne Louyse douairière reflètent la thèse de l’Académie du Palais, par l’affirmation d’une “sorte de gnose philosophique et religieuse propre à faire de la monarchie française un foyer mystique de réconciliation, par-delà les théologies rivales qui se disputent les âmes du royaume”. Bien que cette perspective soit le reflet des idées d’Henri III, il est difficile de laisser la reine régnante hors de telles conceptions puisque le P. Dinet fut sous sa protection, et que son époux eut sur elle une influence certaine. La filiation du langage hiéroglyphique avec celui du blason est le point de départ à une “objurgation passionnée adressée à la noblesse française d’ajouter à la vertu guerrière, symbolisée dans ses blasons, la sagesse dispensée par les Lettres et que résume le langage hiéroglyphique”. Cependant, la publication tardive de cet ouvrage qui par conséquent n’est “(qu’)une des formes mineures de cette offensive”[95] n’a pas donné à son auteur une notoriété qui aurait rejaillie sur Louise de Lorraine.

    L’examen des relations de la reine avec les auteurs et les artistes nous amène à considérer le cas Nicolas Houel. Cet apothicaire-artiste, conseiller ès-arts de Catherine de Médicis a beaucoup contribué à la publicisation mythico-historique de la monarchie des Valois :

 

    « Il était l’auteur de l’Histoire d’Artémise, laquelle, illustrée par Caron et d’autres artistes, constituait la base de l’élaboration du rôle, tenu par Catherine, d’Artémise, veuve de Mausolus, dont la mythologie de cour avait tant usé, et qu’avait rappelé l’entrée de Charles IX. Les illustrations qui accompagnaient l’Histoire des anciens rois de France de Houel, aujourd’hui perdue, fournirent à propos des anciens rois mythiques une iconographie de convention dont s’inspira Ronsard pour les projets qu’il destinait à cette même entrée »[96].

 

    Or ce ‘bourgeois parisien’ consacre deux ouvrages consacrant le prestige de la reine régnante en matière spirituelle, et sur lesquels l’historiographie s’est souvent penchée. L’idée d’une Maison de Charité était assez novatrice et risquée autant d’un point de vue financier que politique. S’assurant le soutien d’une reine dont la réputation était déjà bien établie, il pouvait espérer, en même temps que la monarchie, un succès d’estime au moins, et plus sûrement une imprégnation des idées de réforme religieuse promues par le roi et la reine. La Maison de Charité, dans la plume de l’apothicaire, est la personnalisation la plus audacieuse et magnifique de la reine :

 

    « La veritable renommée conforme aux effectz (Tres vertueuse Princesse) vous a tant élevée en la grace & faveur des François, que sans toucher à l’honneur des autres princesses, mais à la louange que vous mesmes vous estes parvenüe au comble de l’heureuse reputation, que meritent les Roynes heroiques & charitables. Dequoy nous tesmoignent les bonnes prieres accompagnées des aumosnes que vous faites ordinairement aux Pauvres. En outre la continuation du zele et singuliere affection que vous avez à vostre maison de la charité chrestienne, commencée ès faulbourg Sainct Marcel, laquelle en grande devotion vous estes venue visiter, de sorte qu’à bon droit l’on vous peut nommer l’exemplaire de vertu et saincte conservation. C’est pourquoy ie vous presente ce petit traité qui est l’advertissement & declaration de l’institution d’icelle Maison de la Charité Chrestienne : lequel i’ay enrichy de quelque remonstrance & salutaires exhortations, prieres & devotes meditations. Avec quelques sonnets spirituels, ensemble une paraphrase sur le pseaume quarante & un. Le tout pour l’advenement de la gloire de Dieu, & soulagement de ses pauvres membres tant recommandez ès sainctes Escritures. Ie croy que ceste lecture ne vous sera sans vous apporter quelque fruit : ains vous inciter de continuer en ceste zelée volunté, & de cheminer de vertu en vertu par sainctes & charitables œuvres : lesquelles porteront tesmoignage de vostre cœur & pensée devant le throsne du souverain Dieu. Il ne reste autre chose (Madame) que prier ce grand Roy des Roys vous donner l’accomplissement de voz saints desirs. Et à la fin de vos iours la couronne celeste.

Vostre tres-humble, tres-affectionné serviteur & suiect Nicolas Houel Parisien ».

 

    Suit un sonnet en forme de louange à l’égard de la reine. Et le recours au modèle biblique – l’évocation du livre d’Esther – ancre l’apothicaire dans son sujet : toute érudition superflue est soigneusement contenue afin de terminer son discours poétique par son objet même, « secourir le pauvre en son esmoy ». Louise de Lorraine y est présentée en astre lumineux dont la beauté et la « doulceur » explique son élévation à la dignité de reine idéale, et ce du seul bon vouloir de Henri III. La présence de ce dernier s’affirme au fur et à mesure que Nicolas Houel approche de sa conclusion. Si la reine incarne la douce piété de la monarchie, le roi seul possède le pouvoir effectif.

    Le manuscrit 5726 – livre attaché à la bibliothèque de la reine – s’organise différemment puisque la dédicace en est absente, et se trouve remplacée par trois sonnets adressés au roi, à la reine mère et à la reine régnante.

 

« A la Royne de France.

 

Celuy qui veut de Dieu obtenir quelque chose

  Et qui veut esprouver sa liberalité

  Devant que requerir doit avoir merité

  Par quelque grand bien-fait le bien qu’il se propose.

Vous Madame de qui le desir se dispose

  A laifser aux Françoys quelque posterité

  Devez par un bien-fait remply de pieté

  Faire qu’à voz souhaits ce grand Dieu se compose.

Secourez doncq le Pauvre, & que le bastiment

  Du lieu de Charité vous ait pour fondement

  Dieu vous rendra bien tost & heureuse & feconde

Et fera que de vous il naistra des Enfans

  Qui d’armes & vertus heureux & triumphans

  Auront pour leurs subiects tout le reste du monde.

 

    Le sonnet dédié à Louise de Lorraine n’offre rien de très novateur vis à vis de la résurgence de l’idée d’enfantement comme récompense providentielle : de même que le salut résulte du libre arbitre du fidèle, de même la « posterité » (gloire et grossesses sont intimement liés pour une reine) est le fruit de la Charité, de ce mouvement vers le « Pauvre » qui est mouvement vers Dieu. Ainsi, les « enfans » à venir ne sont que le juste retour de cette bienveillance envers d’autres enfants. Cette exhortation ‘originale’ puisque absente de l’édition de 1580 traduit la volonté de l’apothicaire d’établir une conversation personnelle et privée avec la famille royale – bien qu’il en ait les faveurs depuis longtemps.

    La source de la dédicace est parfois à rechercher dans la commande, personnelle ou suscitée par la réputation de ses centres d’intérêts. Ainsi le médecin Jean Lebon, auteur des Bains de Plombières en 1578 lui consacre un épître et suscite son intérêt puisqu’en juillet 1580, devant prendre les bains, le couple royal se rendit à Plombières en Lorraine, au moins autant pour se soigner que pour des raisons politiques.

 

    « Je suis le premier qui a commencé à practiquer lesdictes eaues et à les mettre en lumiere, ayant esté marry de voir ces divines fontaines, par faute d’une plume, demeurer incognues, jusques à present, entre ceux mesmes qui veulent sçavoir et monstrer ce qui se faict soubs le Pol Antartique ».[97]

 

    Claude Vicar, par ailleurs inconnu, est l’auteur d’un ouvrage sur les pèlerinages « faict du commandement de la royne » : ce franciscain avait été chargé par Louise de Lorraine d’effectuer un pèlerinage à Notre Dame de Liesse en son nom, dans la continuité de ses dévotions pour donner à la monarchie un dauphin.

 

    « Madame, ayant receu comme commandement de Vostre Maiesté pour aller en pelerinage à Nostre Dame de Liesse, & en iceluy lieu faire une neufvaine, & autres prieres & oraisons pour la conservations de vos Maiestez, & accomplissement de leurs saincts desirs ; i’ay estimé qu’il estoit expedient d’occuper quelques heures de la iournée à la lecture des Escritures sainctes (qui est une partie d’oraison) desquelles i’ay tiré & extraict ce petit traité, qui peut estre appellé & intitulé, De l’utilité que l’on reçoit des Pelerinages : Par lequel est monstré apertement, que les pelerinages sont choses fort plaisantes à Dieu. (…) Entre autres choses i’ay soigneusement remarqué, que ceste belle image de Nostre Dame de Liesse a esté donnée des anges à trois chevaliers François, qui estoient en Turquie à la suite de voz ancestres, tant renommez pour leur ancienne generosité & noblesse de tout temps remarquable, & surtout de ce vaillant Godefroy duc de Buillon & de Lorraine, & roy de Ierusalem & Terre Saincte, où s’estoient transportez pour la defence du nom chrestien : pour laquelle maintenir & conserver vos tres chevaleureux, victorieux & tres vertueux parens se sont tousiours employez avec despens infinis, & mesme aux despens de leur propre vie iusques à maintenant, au grand avantage des fidelles chrestiens. Or iceux trois chevaliers avec l’image de Nostre Dame de Liesse furent en un instant transportez de Turquie sur une fontaine qui est aupres de Marchois. Et lors cogneurent par revelation divine, que c’estoit le lieu, où Dieu vouloit que sa Mere fust honorée & servie, & feit plusieurs miracles, entre lesquels mesmes de nostre temps nous voyons plusieurs femmes steriles recevoir accomplissement de leur vœu ; ceux qui sont en perpetuelle tristesse, voir su tout changer leur melancholie en soudain contentement & entiere liesse. (…) Par l’intercession de laquelle [la Sainte Conception] ie prieray son fils Iesus Christ, qu’il vous preste en toute liesse le fruict de voz prieres & desirs. De Paris, en vostre maison des Cordeliers, ce cinquieme iour de Iuin 1582 ».[98]

 

    Enfin, le juriste bourbonnais Jean Duret dut en partie sa carrière à l’appui de Louise de Lorraine car les ouvrages juridiques nécessitaient un investissement considérable pour les imprimeurs qui ne s’engageaient guère sans la garantie de personnes morales ou d’illustres protecteurs(-trices).

 

    « la subjection que je vous dois pour estre Bourbonnois m’enhardit à invoquer ma Princesse au secours »[99].

 

      123. Un manifeste ‘personnel’: le Balet comique de la Royne

 

    Le Balet comique de la Royne est l’une des magnificences organisées lors des noces de Marguerite de Vaudémont, sœur cadette de la reine régnante, avec Anne, duc de Joyeuse et favori d’Henri III. La représentation, prévue pour le lundi 25 septembre 1581, eut certainement lieu le dimanche 15 octobre au Louvre. Jean Rousset, dans son étude sur Circé, plante ainsi la scène :

 

    “Au fond de la salle, le jardin enchanté de Circé; un chevalier traqué s’en échappe en courant, se plaint devant le roi d’y être retenu captif, le supplie de combattre la magicienne. Plusieurs chœurs entrent en chantant: tritons, néréides, naïades, qui dansent au son des violons; Circé survient et d’un coup de baguette les frappent tous d’immobilité. Mercure paraît dans le ciel, descend sur une nuée, désenchante les ensorcelés qui reprennent la danse interrompue; mais Circé revient, les fige à nouveau, enchante Mercure et les emmène tous captifs dans ses jardins. Nouveau secours d’en haut: Jupiter descend du ciel sur un aigle, attaque le château, aidé d’une troupe de nymphes et de satyres, frappe Circé de son foudre et l’amène, prisonnière à son tour, aux pieds du roi, tandis que les prisonniers délivrés dansent le Grand Ballet”[100].

 

    Cette célèbre fête de cour a suscité plusieurs études, dont celles de Margaret MacGowan et de Frances Yates : l’accent y est surtout mis sur les aspects politiques, artistiques et allégoriques car le spectacle repose sur des pratiques de chevalerie qui s’épanouissent en exercices de déclamation poétique, avec un accompagnement musical et une mise en scène précise, ayant une valeur politique forte. Toutefois, si Frances Yates note avec passion que la cour des Valois faisait là un dernier effort pour s’opposer avec les armes de l’art à la tempête qui s’annonçait, en revanche elle n’intègre guère la personnalité de la reine au travers de son rôle : du moins Louise de Lorraine semble n’occuper que passivement un rôle, certes fort important. En effet, elle se présente comme une intermédiaire avec les Guise, propre à entretenir un lien entre le roi et le clan lorrain. Lien qui devient allégorique lorsque Louise devient l’image même de la vertu :

 

    “L’auteur de cette allégorie conclut ainsi: ‘ l’on peut bien veoir l’idée et l’exemple de vertu que la Royne accompagnee des princesses et dames de la Court, a representez sous les personnes des Naiades, qui signifient les plaisirs et delices immortelles, qui attirent le désir mené par la vertu a s’employer et s’exercer és actes genereuses et valeureuses, et pour admonester tous qu’il ne faut point désirer ce qui est beau et reluisant exterieurement, mais beaucoup plus la beauté intérieure et moins apparente’.”[101]

 

    La vertu de la reine devient par une espèce de contamination épiphanique vertu de l’ensemble de sa Maison, ‘curia regis’ parallèle dans son acception judiciaire. La notion de justice, si chère au roi, est donc introduite par son miroir féminin qui manifesterait ainsi la face cachée du corps royal, sa “beauté intérieure”. L’assimilation de la reine à la ‘lune’ royale ne signifie pas forcément une omnipotence du roi, mais relève de la nécessité politique. En effet, nombre des dames de la reine (qu’elles aient participé directement ou de manière plus indirecte à la réalisation du ballet) sont issues de la maison de Lorraine, ou de familles ‘clientes’. Il en résulte que ce spectacle, qui met en oeuvre l’harmonie royale, intègre des opposants potentiels à sa démarche.

    Bien que ce premier aspect soit incontestable, faut-il pour autant en rester à une Louise de Lorraine “moins apparente”? Certains points du spectacle nous permettent en effet de l’envisager dans son ensemble comme un manifeste personnel de la reine de France avec l’assentiment et la bienveillance de son époux et de sa belle-mère. En premier lieu, il convient de rappeler le ‘statut’ de cette fête, commande de la reine régnante. D’où un choix subjectif dans le recrutement des artistes, lesquels “reflétaient son goût” selon Frances Yates. L’introduction du Balet… nous donne une indication pertinente à ce sujet :

 

  “Elle commanda pareillement au sieur de Beaulieu (qui est à elle) qu’il fist et dressast en son logis tout ce qui se pouvait dire de parfaict en musique”.[102]

 

    Ainsi quatre mots peuvent changer la mesure d’un personnage. Car le musicien, le sieur de Beaulieu, avait partie liée avec l’Académie de poésie et de musique de Jean Antoine du Baïf. L’idée d’une reine écartée de la vie culturelle et des académies artistiques majeures ne tient pas. Car l’engagement de la reine dans cette entreprise est remarquable.

 

    “Or la Royne voyant tant de preparatifs se faire pour honorer le mariage de sa soeur, et que chacun à l’envy et à qui mieux mieux se mettait en devoir pour y donner plaisir et contentement au Roy, à la Royne sa mere, et à elle, voulut bien de sa part se disposer à faire chose qui fust digne de Sa Maiesté (…). Elle m’envoya querir en ma maison, d’où ie partis incontinent pour me rendre à ses pieds, et luy faire tres humble service. Dés que ie fus arrivé à la Cour, Sa Maiesté print la peine de me faire  entendre une bonne part des appareils ia ordonnez, et me commanda luy dresser quelque dessein, qui ne cedast aux autres preparatifs, fust en beauté de suiect, ou en l’ordre de la conduicte et execution de l’oeuvre, duquel elle disoit se vouloir mesler, et estre mesme de la partie : a fin que la feste en estant ornee et honoree davantage, elle feist cognoistre aussi à un chacun qu’elle ne cedoit à personne en affection et volonté envers ceux pour lesquels cesdits preparatifs estoyent dressez.”[103]

 

    Non seulement la reine Louise montre un intérêt pour l’élaboration, mais elle veut “estre mesme de la partie”: le titre du ballet trouve là une justification essentielle et non point formelle. Ainsi “elle feist cognoistre” de son propre chef et se transforme en acteur véritable d’un chantier qui l’occupe tout l’été 1581. Elle égale le roi par son désir et demeure d’ailleurs la seule reine de France à s’être investie aussi directement dans un spectacle de cour. Même Catherine de Médicis, grand commanditaire de fêtes royales, ne s’est pas donnée en représentation, excepté lors des entrées royales : la comparaison apporte par conséquent une conclusion paradoxale, celle d’une Louise de Lorraine extériorisée, au moins vis à vis de sa belle-mère. Cependant, et c’est un principe récurrent chez elle, la reine choisit l’action pour exprimer un programme personnel qui relève d’abord du sentiment, mais dont les implications ont un écho politique fort.

    Le sentiment d’une épouse “pour y donner plaisir et contentement au Roy et à la Royne sa mere”. Puis l’amour envers sa sœur, pour laquelle elle se réserve une exclusive étonnante – “elle ne cedoit à personne” – et dont la dimension touche l’ensemble de sa parenté lorraine. Elle émit pourtant des réserves à ce mariage, le marié étant seulement allié à la maison de Savoie[104]. Cette sympathie est donc aussi imputable à la symbolique politique de ce mariage.

    Ce programme personnel s’exprime de façon originale car la scénographie est double. En effet, Louise prend tour à tour deux formes mythologiques sans grande cohérence au premier abord : elle est à la fois naïade et Minerve. Sa métamorphose en Minerve est la plus logique: proche de Jupiter (Henri III), elle ne peut cependant être Junon (Catherine de Médicis). De plus, la déesse de la Sagesse est liée à Circé depuis l’Odyssée homérique.

 

“…Minerve, que tu feins triompher ennemie

D’une Circe qui verse en nostre ame endormie

Le breuvage du vice et son appast trompeur,

Ne me semble rien plus que ceste grand Princesse,

Qui femme d’un grand Roy, l’idée de Sagesse,

Rend le vice accablé du faix de sa grandeur.

Comme elle luit divine en son ame Royale,

Comme elle a triomphé d’une Circe inegale,

Puisse-elle estre bien tost mere d’un beau Daufin :

Cela seul luy defaut pour estre toute heureuse,

Cela seul luy promet la fortune amoureuse

D’elle et de ses beautez, compagnes du destin[105].”

 

    La reine atteint donc le monde néoplatonicien des Idées, et s’incarne en princesse-Sagesse. Et cette  nouvelle déesse allégorique s’impose par son aspect lumineux : “elle luit divine”, et sa numineuse figure – extériorisation de “son ame Royale” – égale un Jupiter en majesté devant Sémélé. Miroir de son époux, elle respire alors des “beautez” qui l’opposent ainsi à un “appast trompeur”:  cette figure rhétorique de la beauté miroir de l’âme est d’autant plus heureuse que les contemporains ont pu y voir une transposition de la beauté un peu froide[106] et monumentale de la reine régnante qui, assez grande et blonde, n’était pas une de ces femmes aux attraits charnels en vogue au XVIe siècle.

    Reine, Louise de Lorraine se doit d’être mère. En 1581, les bruits d’une éventuelle stérilité commencent à essaimer ; mais elle est encore jeune (28 ans) et tous les espoirs lui sont permis. Claude Billard croit même que “cela seul luy defaut”. Et c’est pourquoi, en guise de conclusion, le spectacle s’ouvre sur la remise de devises par la reine et ses dames, au roi et aux Grands: Delphinem ut delphinum rependat (“Je lui donne un dauphin pour en recevoir un autre”). Par l’offrande ‘votive’ du dauphin à son royal époux, la reine montre sa piété conjugale à  Henri III, et dans la venue d’un dauphin s’accomplirait ainsi le rite de l’enfantement – lequel relève de la problématique de la ‘fortuna’ entrevue par le poète. Par conséquent, l’idée de maternité, bien qu’essentielle, s’insère toutefois dans une volonté d’accomplissement personnel qui correspondrait à un idéal de la “fortune amoureuse”, où les soubassements religieux jouent un rôle de première importance. Notamment dans un désir de chasteté qui n’est nullement contraire au besoin d’enfanter. Car Minerve est la chaste déesse, en ce sens que sa vertu est parfaite. Louise de Lorraine ne propose pas de modèle particulièrement original en choisissant le thème de la chasteté dans le mariage; et cela s’accommodait bien avec ses exigences religieuses.

    Désir, volonté, exigence. De tels termes semblent éloignés de cette ‘humble épouse’. Pourtant, le ballet est l’occasion pour Louise de Lorraine de s’imposer : son programme est d’abord l’affirmation d’une volonté de puissance pour faire régner une harmonie dont elle ressent l’impérieuse nécessité, étant elle-même sans cesse ballottée entre ses parents et son époux.

 

“Voicy Tethys qui chemine

Dans une conque marine

En lieu de son char d’argent :

Elle a sa couronne prise

Pour la donner à Loyse,

Son grand char et son trident.

Nous, troupe devant fidelle

Envers Tethys l’immortelle,

Fidelles seront aufsi

A Loyse, qui rassemble

Toutes les vertus ensemble,

Et doit commander icy.”[107]

 

    Voici maintenant que s’avance le deuxième visage de Louise, peut être le plus original. En effet, la reine arrive en naïade sur la scène, avec sa suite, dans une grande fontaine. Dans quelle mesure faut-il voir là une réminiscence du thème de la fontaine Bandusie, la fontaine d’Amour ? Ce lieu poétique était assez commun, Ronsard l’a d’ailleurs traité dans sa fontaine “Bellerie”; et la reine comptait dans sa bibliothèque un livre d’Horace (mais nous ne savons pas s’il s’agit du texte latin ou d’une traduction). La figure de la naïade mérite que l’on se penche davantage sur elle. Car cette divinité des eaux apparaît bien faible, vis à vis d’une Circé… Cette dernière l’envoûte sans grande difficulté et la plonge dans un sommeil profond. Cependant, elle se voit curieusement couronnée par Téthys, tel un élève qui aurait dépassé le maître : Louise “doit commander” mais si elle est limpide comme l’eau, en revanche sa lumière n’éclate pas comme celle de Minerve. En fait, elle a besoin d’être reconnu, et pratique là une épiphanie royale tout à fait brillante, et toujours sous le signe de “toutes  les vertus ensemble”. Cette apparition rend d’abord perplexe car elle mêle la présence et l’absence : elle est une reine autre que Minerve tout en étant Minerve. D’où une incompréhension croissante sur son origine, et ce d’autant plus qu’elle est présentée comme supérieure à Junon-Catherine de Médicis (la référence est explicite).

 

Glaucus  “Et qui est ceste nymphe ? Est-ce une Néréide ?

Téthys    - Non: car la mer n’a point telle nymphe conceu.

Glaucus  - Ie sçay bien, c’est Venus.

Téthys    - Tu es encor deceu.

                 Elle a chafsé Venus dans ses Iardins de Gnide.

Glaucus  - C’est donc Iunon.

Téthys    - Tu me deçois.

Glaucus  - Est-ce la Iunon des François ?

Téthys    - Ce n’est Iunon, c’est Loyse, et son nom

                 Passe en pouvoir tous les noms de Iunon”.[108]

 

    Cette origine relativement ‘humble’ donna le champ libre aux commentaires de la cour, et la reine régnante ne récoltait pas seulement de bonnes opinions. Née Mademoiselle de Vaudémont, elle aspirait par conséquent à muer réellement en Louise de Lorraine. La démonstration se devait d’être brillante.

    Or il serait faux de voir dans ce triomphe une émancipation de la reine régnante en forme de coup d’éclat contre la reine mère. En effet, Louise a beaucoup appris sur son rôle de reine au contact de Catherine de Médicis, et les deux femmes entretiennent de bons rapports : le théâtre se métamorphose en scène politique, et l’entrée de Louise de Lorraine matérialise une transition, une annonce publique du relais qu’aspire à prendre la nouvelle reine, lorsque les circonstances l’exigeraient.

 

    “Pallas ceda l’honneur de pudicité, d’industrie et de gravité royale royale à la Royne, espouse de Jupiter de France, pour seconder les vertus de son mary et estre, comme elle est, des plus louées et admirées princesses de la terre”[109].

 

    Cette filiation se remarque d’ailleurs à la fin du spectacle lorsque Minerve offre à Catherine de Médicis l’image d’Apollon jouant de la lyre à sept cordes, avec une devise explicite, Lenire & vincere suevi. L’adoucissement des tensions, la victoire de Louise de Lorraine sont la réminiscence de la politique conciliatrice de la reine mère par le biais des négociations et des divertissements de cour. Le parallèle mis en oeuvre avec les fêtes de Fontainebleau en 1564 par France Yates[110] trouve donc là une autre justification.

   Toutefois demeure une part de mystère dans ce dédoublement qui certes assure à la reine la victoire sur Circé, là où un Mercure a échoué. Peut être faut-il y voir la conjonction de deux influences favorables : la part de la royale Minerve, et celle de la naïade lorraine, ce qui renforcerait la volonté de médiation que porte en elle la reine. Considéré sous cet angle, son corps conjugue une harmonie paradigmatique des visées politico-religieuses d’Henri III. Louise de Lorraine n’est donc pas seulement une partenaire obligée, mais également une heureuse combinaison capable d’apporter une réponse aux questions politiques.

    Bien que le rôle politique effectif de la reine régnante ait été sans commune mesure avec la dimension spectaculaire alors déployée, ce ballet démontre combien cette reine ne vivait pas recluse, ou bien en dehors de la cour, et comment elle en a assimilé les usages et pratiques. Car son implication dépasse largement des cadres théoriques. Ce spectacle aurait en effet pu recevoir plusieurs noms, et ce n’est certainement pas le hasard qui a conduit Beaujoyeulx à choisir celui de ‘ballet’. La reine de France prend ainsi la direction des deux principaux mouvements de danse, y étant poussée d’abord par Téthys, puis par Minerve. La chorégraphie, transcription allégorique de la justice et des vertus, consistait en une succession complexe de figures géométriques harmonieuses. Le mouvement final, particulièrement apprécié, se déclina ainsi en quarante formes circulaires, triangulaires, etc. La reine et certaines dames de sa suite se montrèrent alors à leur avantage, chacune maîtrisant complètement l’art de la danse : c’était là donner une preuve patente d’autorité sur la cour et ses principaux protagonistes, puisque dans l’entourage immédiat de la reine, le clan lorrain était largement représenté. Ceux qui purent assister à la fête virent danser à l’unisson derrière la reine les duchesses de Guise, d’Aumale, de Joyeuse, de Nevers, la princesse Christine de Lorraine, les maréchales de Retz et de Larchant ainsi que les demoiselles de Pons, de Bourdeilles et de Cipierre.

    Toutefois, cette démonstration magistrale devait rester sans lendemain immédiat : car la préoccupation première de la reine demeurait l’absence de descendance. Dès le 23 octobre, le nonce Castelli précise dans sa missive au cardinal de Côme que la reine voulait prier “selon son désir afin d’avoir un fils, par la grâce de Sa Divine Majesté”[111]. Les instances de la succession au trône privaient ainsi paradoxalement Louise de Lorraine d’un rôle politique croissant. Car cette manifestation d’autorité, si elle intervient avec l’espoir de la venue d’un fils, est néanmoins antérieure à cet enfantement : la reine se comporte en homme d’Etat, à l’exemple de Catherine de Médicis, avec toujours une indéfectible loyauté envers le roi. C’est là aussi l’occasion de donner des gages à la monarchie, alors que ses parents les plus proches inquiètent, et qu’elle-même est l’objet de rumeurs de divorce depuis l’automne 1577[112]

 

    “Le cardinal de Vaudémont, le duc de Mercoeur son frère, et le duc de Guise ont exposé au P. Claude, jésuite, comment ils soupçonnaient le Roi Très-Chrétien d’être disposé à répudier son épouse pour stérilité, usant du vain prétexte d’avoir, comme roi de France, ce privilège, de pouvoir répudier leur femme lorsqu’elles demeurent sans enfant au bout de dix années”[113].

 

    Par la suite, le recours à la procession comme expiation solennelle en vue de ce même rite d’enfantement unit pareillement le roi et la reine, et va se présenter comme une continuation intense du ballet de 1581. L’analyse de Frances Yates est aussi à cet endroit, décisive, bien que centrée sur le roi :

 

    “dans les dessins de la Procession du Roi, des personnages bibliques jouent un rôle éminent, choisis parce qu’ils étaient les parents d’un enfant sacré. Abraham marche avec Sarah et le petit Isaac, suivi d’Anne et de son fils Samuel ; on voit les parents de la Vierge avec leur fille ; les parents de saint Jean-Baptiste avec leur fils. Tout cela conduit à la Reine Louise de Lorraine, entourée d’enfants imaginaires et portant la maquette d’une église. On attend un enfant sacré, le Dauphin et futur Roi très-chrétien de France, l’accomplissement de la prophétie, le prix de pieuses oeuvres de miséricorde et le soutien de fondations religieuses et charitables”[114].

 

 

  13. Une bibliothèque essentiellement religieuse

 

      131. La recherche d’une excellence spirituelle

 

    L’éducation de mademoiselle de Vaudémont développa chez elle le goût des livres et des histoires. Cependant, née dans la maison de Lorraine, les préceptes religieux lui furent enseignés avant même qu’elle n’apprît à lire ou qu’elle fût introduite à la cour. Antoine Malet évoque la “bonne coustume de la maison de Lorraine”, n’hésitant pas à avancer :

 

    “elle ne sçait pas si tost parler qu’on luy met le nom de Dieu sur la langue, elle n’ouvre pas si tost la bouche qu’on y loge les nouvelles du Ciel en cette sorte”[115].

 

Le titre du chapitre suivant d’Antoine Malet se présente alors, et réitère la même idée, comme s’il s’agissait d’un modèle d’éducation, que cette impression du “nom de Dieu (…) entre deux et trois ans”[116]. Toutefois les pratiques qu’il mentionne dénotent toutes une formation traditionnelle.

 

 

    Une spiritualité lorraine ?

 

    “Les principaux exercices de religion que Louyse pratiquoit dans sa ieunesse furent l’oraison, l’assistance à la messe, la confession, la communion, la fréquentation des églises, les pélerinages, la dévotion à la Vierge, à Sainct Nicolas et à son bon ange”[117].

 

    Rien d’exceptionnel donc au premier regard. Le culte de St Nicolas est emblématique de la Lorraine et marque aussi la dévotion filiale d’une fille à l’égard de son père, Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont et régent du duché. Il convient malgré tout de douter de ce ‘modus operandi’, car, nonobstant “son bon ange”, il correspond curieusement à des “exercices de religion” encouragés par la réforme catholique.

    La rencontre de la vie spirituelle intérieure et de la célébration liturgique peut également, si l’on renverse les perspectives, être à l’origine des exigences et du comportement de Louise de Lorraine en matière religieuse : ainsi l’anachronisme d’une religiosité concevable à la fin du XVIe siècle et appliquée à la période 1555-1575 devient possible. Toute hypothèse doit par conséquent prendre en compte le critère de la spiritualité en Lorraine au milieu du XVIe. La famille ducale s’était déjà illustrée par sa piété au fil des siècles, notamment avec le personnage de Philippes de Gueldre dans la deuxième moitié du XVe siècle. Et d’un point de vue géographique, quel crédit apporter à un héritage des idées mystiques de la ‘devotio moderna’ ? Cette forme de spiritualité – qui rayonne jusqu’aux premières décennies du XVIe notamment à partir de la Lorraine – marque l’avènement de l’individu à la vie spirituelle et au contact avec Dieu, surtout avec le développement de la confession : les ‘devotii’ insistent sur la nécessité de la formation et l’analyse de soi, d’où l’idée d’un directeur de conscience, et justement, d’exercices. La méditation des Ecritures, la dévotion mariale, les visites d’églises s’inscrivent dans cette perspective. Néanmoins cette courant comporte deux limites dans son application à mademoiselle de Vaudémont comme à Louise de Lorraine. D’une part, cette dernière n’a jamais donné l’impression de marquer sa préférence ou bien pour la spiritualité intérieure, ou bien pour ses manifestations extérieures : le terme de ‘rencontre’ de ces deux versants du sentiment religieux établit chez elle leur complémentarité. Et, d’autre part, Ruysbroeck, ‘acteur’ de cette école de spiritualité, “professe une mystique essentialiste, l’union de l’âme avec la nature même de Dieu”[118] : or, aucun élément autre que le livre de Suso ne permet d’étayer une telle disposition. Cependant, comme le note Jean Chélini, “de la ‘devotio moderna’ aux Exercices spirituels la route est directe”[119]. Et Gérald Chaix note cette évolution qui aboutit dans les années 1580 :

 

    “A ces monuments tardifs de la devotio moderna se rattachent la traduction par Jean Jarry, profès de Beaune, des Exercices dévots et spirituels de Gertrude de Helfta, publiés en 1580 par Guillaume Chaudière, et la traduction des Oeuvres spirituelles de Suso par Nicolas Le Cerf, profès de Bourgfontaine, en 1586”[120].

 

    L’influence de la Chartreuse et la mystique médiévale

 

L’influence des Chartreux se sent à travers ces livres qu’ils diffusent eux-mêmes, et culmine avec la redondance formelle d’un Denis le Chartreux, traduit par un autre chartreux. La spiritualité médiévale rejoint ici des préoccupations modernes introduites par les mouvements les plus concernés par des thèmes tels que l’ascèse, la pénitence et la rencontre individuelle avec Dieu. C’est pourquoi, au travers de la bibliothèque de la reine se ressent ce grand mouvement de traductions et de publications des mystiques – ou perçus comme tels – médiévaux, dont les idées ne sont pas rejetées, mais plutôt intégrées aux nouvelles aspirations des années 1580 : au-delà d’un Jordan ou d’un Suso, l’intérêt se porte aussi sur saint Basile, un Père grec archevêque de Césarée, bien éloigné des préoccupations des moines du XIVe et du XVe siècles.

    Les Contemplations des Idiota sont un manifeste de cette plurivocité où la tradition religieuse se pare de considérations d’actualité. Leur auteur, Raymond Jordan, passait encore comme un pseudo-Père de l’Eglise, alors que les titres des opuscules contenus dans ses contemplations ne se rattachent guère au IXe siècle : l’un d’entre eux est justement voué à la Vierge et reflète les textes de saint Bernard. Ce qui n’est pas contradictoire dans la mesure où le fondateur de Clairvaux est l’un des derniers Pères, et que lui-même « pense que le dépôt de la foi est à transmettre »[121]. Si le mot ‘contemplation’ ajoute une idée forte d’intériorité, il faut certainement y déceler une actualisation du vocable cistercien. Mais il convient surtout de remarquer, à la suite de Jean Chélini, que :

 

« La grande règle de vie de Bernard fut la pénitence. Il infligea à son corps les plus cruels traitements, dépassant largement la prudence de saint Benoît en ce domaine. Son ascétisme marquait sa physionomie au point de la rendre presque aérienne, tant le corps était brisé et la chair absente, (…). L’autre aspect majeur de sa spiritualité réside dans son amour de Dieu et de la Vierge. Praticien de l’amour divin, beaucoup plus que théoricien mystique, Bernard fut littéralement consumé par l’amour de Dieu. Toutes les églises cisterciennes furent dédiées à la Vierge et, dans l’Occident, Bernard se fit l’apôtre du culte de Marie »[122].

 

Pénitence exceptionnelle et démonstrative, réitération fervente du culte marial, incarnation de l’amour de Dieu, etc., tous ces thèmes renvoient à des réalités spirituelles présentes chez les contemporains de la reine régnante, pour ne pas dire chez elle en premier lieu.

    L’examen des opuscules[123] de Raymond Jordan présente les principaux traits de la spiritualité de Louise de Lorraine : la finitude et la misère de l’existence terrestre dans les Contemplations sur le misérable cours de la vie présente, les Contemplations sur la perte de l’innocence, les Contemplations sur la conversion, la Contemplation suppliante sur le conflit continuel entre l’âme et la chair, les Contemplations sur la mort ; l’attitude à cultiver dans le monde avec le De l’état de la condition des Religieux, les Règles embrassant la vie chrétienne, les Contemplations de la vrai patience ; la dévotion mariale par les Contemplations sur la Sainte Vierge et celles sur la vie et les louanges de la glorieuse Vierge Marie ; la dévotion au Saint Esprit avec les Contemplations sur les sept dons du Saint Esprit contre les sept péchés capitaux, et celles sur ce que le Saint Esprit est l’aide de l’âme ; l’inclinaison de l’âme vers Dieu à travers les Contemplations de l’amour divin et le Traité de l’œil mystique.

    Outre saint Basile et Denis le Chartreux pour lesquels les titres sont clairs, Henri Suso mérite notre attention. Ce représentant de la mystique rhénane du XIVe siècle est l’auteur de plusieurs livres et recueils de lettres réunis sous le nom générique d’Oeuvres complètes : la Vie sur les débuts de sa vie spirituelle, le Livre de la Sagesse éternelle, enseignement du bien-vivre et du bien-mourir par la contemplation des souffrances de Jésus Christ, le Livre de la Vérité sur la différenciation entre juste doctrine et simple vérité, un Petit Livre des Lettres et un Grand Livre des Lettres, des Sermons, un Petit Livre de l’Amour, et enfin l’Horologium Sapientae. L’ensemble constitue le miroir d’un parcours spirituel modèle et empreint de mysticisme dont les canons sont mis au goût du jour par la traduction de Jacques Morice.

 

    L’empreinte du renouveau mystique : un glissement vers la modernité ?

 

     Louise de Vaudémont n’a cependant pas attendu ces années 1580 pour s’intéresser aux débats religieux, et aux nouveautés introduites par les prédicateurs et les mystiques. Antoine Malet ajoute même qu’au début des années 1570,

 

    “elle se delibere de my-partir le temps des appresdinees, pour en employer une partie à la lecture de quelque bon livre spirituel comme des oeuvres de Grenade, qui commencoient d’estre traduites en François et d’estre en vogue parmy les personnes spirituelles”[124].

 

Il convient là aussi de rester prudent puisque les premières traductions françaises de Louis de Grenade connues à ce jour datent de 1577. Les idées du franciscain ont toutefois été véhiculées avant même la traduction de ses oeuvres…

    De fait, un climat propice à l’épanouissement religieux marque l’univers de Louise de Vaudémont. Antoine Malet rapporte ainsi une anecdote qu’il a du glaner auprès de la duchesse de Mercoeur:

 

    “elle se delectoit avec son petit frere moins avancé en âge qu’elle, à faire des petits oratoires, chanter les louanges de Dieu”[125].

 

Outre la connaissance de la musique et des textes scripturaires, ce divertissement religieux mais de cour implique pour une jeune fille le désir de mettre au service de la religion des innovations artistiques: la pratique de l’oratoire n’est certes pas nouvelle, mais elle prend une nouvelle dimension au XVIe siècle. Le motet religieux est un phénomène important de la religiosité dès le milieu du siècle. La bibliothèque de Chenonceau comporte un Oratoire des religieux de dom Antonio de Guevara, dont la traduction française est publiée en 1576. Le terme d’oratoire est ainsi d’une manière significative repris par saint Philippe Neri et ensuite, par Pierre de Bérulle en 1611. Seulement, Antoine Malet, écrivant au début du XVIIe utilise un vocabulaire qui lui est contemporain pour désigner une pratique déjà ancienne.

    Installée au Louvre, la nouvelle reine ne découvre donc pas de façon abrupte l’atmosphère religieuse particulière qui anime la ville, la cour, et le roi son époux.

 

    “Fait à remarquer, en cet endroict pour une bonne fois, que la pieté de la Reyne estoit aydée et poussée par celle du Roy, et celle du Roy par celle de la Reyne[126].

 

Le ton presque péremptoire “en cet endroict” tranche singulièrement avec le reste du récit. Il a au moins le mérite d’établir clairement un parallèle entre les piétés du roi et de la reine, qui ne sont donc que deux versants d’un même courant religieux. Ainsi, la fonction de confesseur est dévolue à un jésuite pour le roi comme pour la reine. Mais ses exercices de dévotion sont aussi influencés par son entourage, son confesseur et ses aumôniers.

 

    “La Reyne prenoit plaisir à tous les discours spirituels et aux paroles de tous les Predicateurs, parce que tous luy apprenoient de faire la Cour à Dieu, mais entre plusieurs le docteur Roze qui fut depuis Evesque de Senlis, avoit logé la devotion de ses parolles et de son eloquence dans son coeur”[127].

 

    Les “discours spirituels” sont le fondement et la continuation des lectures de Louise de Lorraine. Ainsi les sermons dont elle semble avoir fait grand usage, à en juger par leur récurrence dans sa bibliothèque: d’une part, des sermons couvrant des dévotions particulières, comme les Sermons sur l’excellence de Nostre Seigneur, les Sermons des dimanches de l’année ; et d’autre part le Sermon sur l’advenement du benoist Sainct-Esprit… et une autre compilation de sermons de Corneille Musso, ainsi que de Philippe du Bec et de M.Viget. Dans la même veine se trouvent les ouvrages de méditations qui permettent de poursuivre une réflexion intérieure comme les Méditations très dévotes de l’amour de Dieu et les Méditations de la Magdeleine. , qui elles-mêmes rappellent les Contemplations des idiota.

   Sermons, méditations: la spiritualité de Louise de Lorraine requiert une attention constante aux nouvelles conceptions diffusées par les prédicateurs qui bénéficient d’une audience particulière à Paris, et au sein du Louvre. Ainsi Francesco Panigarole y obtint un franc succès. La présence de deux exemplaires de ses Leçons catholiques… est certainement un souvenir de son passage à la cour d’Henri III. La reine devait déjà en posséder un, et le prédicateur peut lui avoir offert l’autre, ce qui expliquerait pourquoi elle a conservé les deux livres, alors qu’ils paraissent semblables.

    En outre, alors que son personnel ecclésiastique était déja assez important numériquement, Louise de Lorraine eut recours de 1586 à 1588 à un prédicateur attaché à sa maison, le jacobin Nicolas Royer. Celui-ci venait en sus de son confesseur qui, à l’exemple du P.Auger pour Henri III, dut jouer le rôle de directeur de conscience[128].

 

    “Pour recevoir les Sacremens et user bien de leur nourriture ayant donné de bon heure retraicte au sainct-Esprit en son ame, il luy enfanta cette resolution d’employer iusques au dernier poinct de sa diligence, pour trouver dans le Royaume un bon Conseiller et Confesseur, entre plusieurs Sçavants et Pieux triez et choisis sur le volet parmy les ecclésiastiques, tant Seculiers que Reguliers, qu’elle a eu durant les quatorze ans de son mariage un Pere de la Compagnie de Iesus appellé de Berengreuille, a esté le plus celebre et a eu vogue en la Cour de ce temps là parmy les Roses qui vouloit sentir bon entre les Espines, ie veux dire les Ames qui craignoient Dieu, par la mesure des Advis de ce bon Père tres sçavant et clair-voyant en la voute du Ciel (…) »[129].

 

 

 

    Rites & Exercices

 

    L’accomplissement des rites intervient aussi dans la perspective de la réforme religieuse : l’impérieuse nécessité de la messe est un devoir ancré dans le quotidien.

 

    « La Reyne delaissoit toute compagnie et toutes autres choses pour courir à ce devoir et assister à la Messe, (…) en l’une des chapelles du Louvre, ou le plus souvent en public, estant conduicte par douze gentilhommes qui attendoient sa sortie à la porte de sa chambre, dans l’église de sa paroisse, au Sainct-Esprit, à Nostre Dame, à la Saincte Chapelle, à Saincte Geneviefve, ou à quelque couvent de Paris »[130].

 

    L’importance de la messe pour Louise de Lorraine se perçoit dans l’appropriation personnelle de ce moment. Les “douze gentilshommes” (leur nombre est assurément imaginaire : Antoine Malet suggérant peut-être les douze apôtres…) ne sont qu’une simple escorte qui n’a accès ni à la chambre de la reine, ni à l’intérieur de l’église ou du couvent. Les endroits choisis manifestent tous des dévotions particulières, la bibliothèque de Chenonceau comportant en effet plusieurs ouvrages sur la Vierge, et deux vitae de sainte Geneviève. Le couvent marque le paroxysme de l’isolement pour assister à la messe qui dans l’optique de la réforme catholique, est l’office des sacrements, mais aussi le lieu de la parole, du prêche. Tout cela laisse l’impression d’un style de vie monacal : A la fin de sa vie, la reine douairière consacre d’ailleurs ses dernières forces à convaincre le pape et les capucins de la pertinence de fonder trois couvents de capucines à Tours, Moulins et Bourges.

    Cependant, l’aspect majeur de sa ferveur est l’oraison intérieure.

 

    “L’ame de Louyse qui estoit faicte à l’Image de Dieu, et pour Dieu ne se pouvoit entretenir, ni vivre d’autre mets que d’une viande Spirituelle, Intellectuelle et Divine, c’est pourquoy elle employoit bien sa diligence ordinaire à rechercher et à mandier de la bonté et Providence du Père des Esprits sa nourriture iournaliere”[131].

 

Ce passage ne va pas sans rappeler le cheminement de l’Introduction à la vie dévote où St François de Sales – héritier de l’œuvre de Louis de Grenade – part de l’idée de l’ascétisme quotidien pour aller vers l’oraison, les sacrements et la vie mystique. Antoine Malet applique par conséquent à la reine des considérations qui lui sont inactuelles, mais qui pourtant s’en rapprochent.

 

“Nostre reyne cherche l’un et l’autre de ces deux moyens (la parole et les sacrements): quand au premier son âme en estoit si affamee, et en avoit gousté les douceurs si à l’ayse par le moyen des grands Predicateurs que le Roy faisoit prescher devant leurs Majestez au Louvre, et divers lieux, que si lors qu’il estoit question d’ouyr la parolle de Dieu, tous les délices (…) elle les eust quittez là bien que legitimes pour s’en aller au Sermon, où estant elle y abandonnoit à la veüe de tout le monde, ses oreilles, son maintien et son coeur à l’attention, en telle sorte qu’il sembloit aux autres assistans, (…) que la Reyne fut au monde et à l’église plus d’apparence que d’effect, fut plus au Ciel qu’en la Terre[132].

 

L’exercice de l’oraison qui lui est inspiré par les sermons et les méditations nécessite une certaine formation, d’où son intérêt pour un Formulayre d’oraisons, probablement écrit par Arnaud Sorbin, et pour le Traité de l’oraison chrestienne de Grenade. Ainsi, l’attention qu’elle prodigue aux prêcheurs donne l’impression qu’elle est “plus au Ciel qu’en la Terre”. Quant aux sujets de ses oraisons, si l’on suit sa bibliothèque, ils demeurent très proches des préoccupations de son époux. D’abord vient le Saint Esprit, et les sermons qui s’y rapportent. Ensuite la thématique de l’amour de Dieu, avec notamment la Maniere de bien aymer Dieu, l’Instruction pour aimer Dieu, le Souverain remède d’aymer Dieu, le Vray chemin pour acquérir la grâce de Dieu de Grenade. Ce dernier ouvrage fait le lien avec la question de l’action personnelle confrontée au salut :

 

    «  Pour pratiquer en Reyne les cinq premieres elle prenoit sur douze mille escus qui luy estoient livrez tous les ans pour ses menus plaisirs, … Quand est de visiter les malades, les prisonniers, et ensevelir les morts, elle s’y portoit en personne, alloit à l’Hostel Dieu, et aux quatre Prisons de Paris fort souvent et faut croire par ce qu’il est vray que le nombre des corps morts qu’elle a cousus et ensevelis de sa propre main et qui luy en diront le iour du iugement le grammercy, n’est pas petit »[133].

 

    Ses cinq premières dévotions consistent à donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir les nus, loger les pèlerins, racheter les prisonniers et les captifs. Cette piété exacerbée trouve des réalisations qui sont le miroir de cette démesure spirituelle. Pourtant, Louise de Lorraine ne choque pas ses contemporains par de telles manifestations de religiosité – à l’inverse de son époux – alors que, parallèlement à ses dévotions, elle accompagnait régulièrement le roi dans des fêtes privées.

    De tels exercices évoquent les préceptes de Nicolas Houël sur la Charité. Lequel cite à plusieurs reprises l’Epître aux Romains de saint Paul au cours de l’Advertissement… :

 

    « La Charité de Dieu est diffuse en noz cœurs par le Sainct Esprit qui nous est donné » (Rom.5). « Nostre Seigneur Iesus Christ vueille par la misericorde et bonté allumer en noz cœurs une parfaicte Charité & dilection vers luy & nostre prochain : afin que notre conversation luy soit agreable » (Rom.16).

 

    Cette vertu théologale cultivée par la reine relie des aspects novateurs à une conception plus traditionnelle de la vie spirituelle : celle-ci aimait ainsi tout particulièrement les pèlerinages.

 

 

 

      132. Louis de Grenade et le courant mystique

 

    “Apres que la Reyne avoit prins quelque honneste recreation, elle faisoit lire par une de ses dames ou de ses filles ou elle-mesme lisoit tout haut les oeuvres de Grenade ou quelque sorte de la mesme matiere”[134].

 

    Au versant italianisant de la bibliothèque de cour, répond un versant espagnol et mystique, autour de Louis de Grenade qui marque indéniablement le corpus de la somme de ses oeuvres, et partant, la spiritualité de Louise de Lorraine. Et l’affirmation de celle–ci est certainement à mettre en relation avec la composition de la librairie de Chenonceau. En effet, le dominicain espagnol propose dans ses Sylva locorum communium[135] un recueil doxographique qui vient compléter des Ecclesiasticae Rhetoricae libri[136] : cette “forêt des lieux communs” pourrait à elle seule servir de point de départ à un inventaire de la culture catholique de l’après concile de Trente. Or, s’il n’est pas assuré que la reine a lu un tel ouvrage, l’état de sa bibliothèque correspond en grande partie avec les genres et les ouvrages recommandés par l’auteur de ces topoi. La coïncidence est trop évidente pour n’être que contingence. La Contre Réforme trouve là un miroir idéal, surtout s’il est involontaire car, de cette manière, l’influence du concile de Trente n’en est que plus manifeste. Alors même que ses canons ne sont pas reconnus, ce concile passe dans l’imaginaire d’une élite spirituelle, ce qui constitue en soi une alternative à la vision politique suscitée par la Ligue.

    La liste qui suit résume les topoi de la rhétorique grenadine, par ordre décroissant :

 

1. Bible

2. Evangiles

3. Epîtres de saint Paul

4. Apocalypse

5. Pères de l’Eglise romaine

51. Saint Augustin

52. Saint Ambroise

53. Saint Jérôme

54. Tertullien

55. Lactance

6. Pères de l’Eglise grecque

7. Pères du Désert

8. Ecrivains médiévaux

81. Isidore de Séville

82. Hugues de saint Victor

83. Bède le Vénérable

84. Bernard de Clairvaux

9. Autorités païennes

91. Cicéron

92. Aristote

93. Ovide

94. Valère Maxime

95. Martial

 

    En reprenant la même numérotation, une comparaison avec les livres de Chenonceau est plutôt probante :

 

1. Bible

2. Bréviaire

3.  

4.

5. Pères de l’Eglise romaine

51. St Augustin

53. St Jerome

 + Hagiographies diverses

6. Nicéphore Callistès, saint Basile le Grand

      Légende de ‘Josaphat’(alors attribuée à saint Jean Damascène)

7.  

8. Ecrivains médiévaux

82. Hugues de Saint Victor

84. Raymond Jordan (dans la lignée de Bernard de Clairvaux)

 + Robert Bacon, Denis le Charteux, Henri Suso.

9. Autorités païennes

91. Cicéron

 + Virgile, Horace, etc.

 

    Malgré l’état fragmentaire de la bibliothèque, les éléments de comparaison avec les lieux dont le dominicain recommande la connaissance et l’usage sont nombreux : Louise de Lorraine intègre donc dans sa spiritualité l’influence – probablement inconsciente dans ce cas – du ‘grenadisme’. L’évidence de cette proximité intellectuelle de la reine aux écrits théologiques et dévotionnels se caractérise par son immédiateté et son abondance. Car si Louise de Lorraine n’a probablement jamais pu lire l’intégralité des oeuvres grenadines, fort fécondes et prolixes, sa librairie en contient toutefois la plus grande partie ; c’est à dire tout ce qui a été traduit en français. Soit 18 volumes, ce qui représente 16,2 % du total des volumes, et même 26,2 % des volumes sur les questions religieuses. La présence du Rosario… tend à conférer à l’ensemble un statut de collection puisqu’il s’agit de recueillir la plus grande et meilleur partie de l’œuvre de Louis de Grenade.

 

    “Grenade estoit en ce temps là l’Amadis des courtisans”[137].

 

Cet engouement est donc à replacer dans le cadre de la cour, où les mystiques espagnols étaient alors très estimés. D’un point de vue formel, le style grenadien était prisé et répondait aux attentes de ses lecteurs, note Marc Fumarolli. En effet, son but (tout comme celui des prédicateurs) est de toucher la multitude. Pour cela, il utilise la ‘compunctio cordis’ qui émeut et qui reflète sa propre émotion. Louis de Grenade part du mouvement affectif vers des descriptions parlantes de mœurs (le bonheur de la vie contemplative opposé à la femme lascive par exemple), de personnages ( comme la vierge forte contre la vierge folle) et de spectacles. De tels exemples procèdent d’une esthétique baroque; et les auteurs qui suivent Grenade fusionnent son influence avec celle de Bembo pour glisser vers un certain classicisme, en retrouvant une simplicité naturelle[138]. Or, Louise de Lorraine, en plus des ouvrages de Grenade, posséda la Prosa de Pietro Bembo : l’assimilation de la reine au courant mystique ne saurait donc être entière, et son tempérament, si ce n’est ses lectures, la portèrent vers ce ‘classicisme’ d’esprit qui se retrouve dans son éthique, puisqu’elle eut à cœur de participer à la réforme des mœurs de la cour et des dames qui lui étaient attachées.

   Néanmoins, elle n’est pas dépourvue de sentiments imputables à une sensibilité mystique et par-là, baroque. En effet, elle “abandonnoit à la veüe de tout le monde, ses oreilles, son maintien et son cœur à l’attention” du prédicateur, et semblait “plus au Ciel qu’en la Terre”[139]. Cette ‘défaillance’ est certes sans commune mesure avec les tressaillements mystiques d’une Barbe Acarie, mais ils méritent d’être notés. D’autant qu’il ne s’agit point d’une affabulation de la part d’Antoine Malet, car ces sentiments exacerbés se retrouvent en janvier 1594 à Mantes, où elle est pris d’un malaise en pleine cérémonie officielle, en présence d’Henri IV, de la cour, des membres du Conseil d’Etat et de parlementaires, alors qu’elle entend l’Exaudiat qu’Henri III faisait chanter tous les jours à la messe, de son vivant[140].

    Toutefois, cette sorte de mystique ne constitue pas en soi une nouveauté absolue et dépourvue de ramifications. Car au travers des Epistres de Jean Valla, nous croyons voir les Epistres spirituelles de saint Jean d’Avila, lequel constitue l’une des sources fondamentales de l’œuvre grenadine. Et par ce biais, il convient de souligner que Louise de Grenade, fils de conversos, ainsi que Jean d’Avila, sont deux figures marquées par le sillage de l’érasmisme dans la littérature spirituelle espagnole[141].

 

 

 

      133. La Maison, lieu d’éthique et de religion

 

    Les lectures de Louise de Lorraine sont autant de modèles théoriques d’organisation de la vie intérieure et quotidienne du fidèle. Le contexte inhérent à la Maison fournit à la reine régnante un domaine d’application cohérent. En effet, la cour semble de plus en plus la métaphore du monastère : le cérémonial mis en place par Henri III rend la ritualisation croissante autour de sa personne.

    Bien qu’issue d’un cadet de Lorraine, mademoiselle de Vaudémont eut un personnel à son service, mais pas de véritable maison[142]. Toutefois, son éducation lui imprégna quelques préceptes utiles à la bonne organisation de son service, car étant encore fort jeune, elle fut pressentie pour épouser M. de Luxembourg.

 

    “La coustume de ieunes personnes à qui l’on baille gens pour les servir, est de se rendre à leurs gens ou trop doux, ou trop severes, trop familiers, ou trop graves, trop difficiles, ou trop faciles, Loyse se tient en ce premier aage de quatorze, quinze, dix huict ans, entre les deux extremitez”[143].

 

Le comportement idéal dont Malet pare la jeune fille importe moins que, avant même son mariage, sa connaissance des usages du service et de l’entourage des grandes dames. Une fois sa maison constituée, elle manifeste la volonté de prendre en charge l’éducation de jeunes filles[144], tout comme Claude de Lorraine l’avait fait à son endroit. En cela, elle ne déroge en rien vis à vis des fonctions de la Maison de la reine, et elle est aidée quelques temps par des dames issues de la suite d’Elisabeth d’Autriche :

 

    “Monsieur de Stavaye. Ayant la Royne ma femme entendu le bon commencement de nourriture qui a esté donné à la seconde de voz filles, elle desire singulierement de la retirer auprès d’elle, et de faict m’a plusieurs fois requis de faire en sorte qu’elle luy feust amenée par deça”[145].

 

    Le quotidien ritualisé

 

    La description d’une journée typique de Louise de Lorraine narré par Antoine Malet illustre la volonté de donner corps à ses lectures au cœur du royaume et de la cour : elle gouverne ainsi un entourage qu’elle doit parfois subir pour des raisons politiques en lui inculquant un exemple qui inspire le respect. La vie quotidienne de la reine, comme celle du roi, est rendue visible à de nombreux moments de la journée, notamment lors du repas qui, au Louvre, était public[146]. D’où la pertinence du chapitre de l’hagiographe, traitant “de la religion et de la piété de la reyne. Ou quel furent les exercices de devotion chasque iour durant son mariage”.

 

    “Estant esveillée ouvrant les yeux et ioignant ses mains, rendoit graces à Dieu, de luy avoir faict escouler cette nuict sans rencontre d’aucune mauvaise fortune, (…) hors du lict prenoit l’occasion paravant de permettre que personne parlast à elle au matin de traicter avec Dieu, et commençoit ordinairement son exercice du matin par l’Adoration et Hommage deu à la divinité, à deux genous les mains ionctes en presence de ces Dames et Damoiselles, elle reconnoissoit du coeur aussi bien que de la bouche que Dieu par sa pure bonté l’avoit cree de rien, la conservoit en estre, la conduisoit et la gouvernoit tous les iours par la Providence, (…) durant un petit demy quart d’heure, elle taschoit de former quelque haute pensee de Dieu”[147].

 

    Le lever de la reine, à l’instar de celui du roi, est une cérémonie ritualisée, mais au sens propre du terme cette fois. Venant à la lumière du jour, Louise de Lorraine est entourée de ses dames et de ses filles demoiselles, mais une barrière invisible laisse ces dernières à bonne distance : la séparation acteur-spectateurs n’est pas, comme dans un théâtre, encore rendue matérielle, mais elle se met en place dans les esprits. De cette manière, l’entourage de la reine ne participe pas, mais voit une représentation et peut l’intégrer dans son esprit. La distanciation procède aussi et d’abord de la relation de la reine avec Dieu. La profession de foi montre Louise de Lorraine dans une position exemplaire puisque son premier acte est déjà tourné vers Dieu. La question du salut est donc introduite dès le matin : l’entourage est ainsi amené à s’interroger tout au long de la journée, et non pas seulement le soir, sur la rédemption de l’âme, et partant, à placer Dieu au centre des préoccupations quotidiennes. Ce geste de soumission volontaire s’effectue en dehors de la parole humaine : l’assistance ne communiant pas vraiment avec Dieu, elle observe la reine, émanation du pouvoir qui s’en remet à Dieu. Cette reconnaissance envers la Providence montre aussi spectaculairement que, selon le mot de St Paul, non est potestas, nisi a Deo.

    Louise de Lorraine ne lit pas seulement quelque passage de ses livres sur l’omnipotence de Dieu. Alors qu’elle pratique l’oraison intérieure – “elle reconnoissoit du cœur” –  elle récite “de la bouche” le Credo, ce qui est intentionnel : ce rite n’est donc pas une réminiscence de pratiques traditionnelles, mais un renouvellement de celles-ci où le visuel occupe une place prégnante : l’important est de toucher le plus grand nombre de personnes possibles[148], et de donner un modèle que les filles demoiselles peuvent imiter. Cet aspect visuel se retrouve par conséquent tout au long de la journée. Enfin, ce moment ne doit pas avoir durer trop longtemps, afin de bien le fixer dans les esprits: un peu plus de cinq minutes suffisent – “un petit demy quart d’heure”.

 

    Une Académie de la Réforme Catholique et Royale

 

    “Le salut des Princesses, des Dames et Damoiselles de sa maison, et de sa Cour, luy estoit si cher qu’elle mesme prenoit la peine de les exhorter, de les presser, et de les ayder à faire des Confessions générales, puis à se maintenir et à retenir leur langue[149].

 

    La notion de pénitence ne s’inscrit donc pas dans la seule piété intérieure : les “Confessions générales” sont en effet l’un des thèmes préférés du roi comme de la reine. La théâtralité de ces cérémonies pénitentielles contribue aussi à imposer une étiquette à la cour où les personnes royales occupent le rang d’intermédiaires avec Dieu. Il est remarquable que leur objet soit, en plus du salut des âmes, une certaine réduction à l’obéissance. Les dames doivent “retenir leur langue”.

 

    “Des qu’elle fut eslevee à la Royauté print une resolution qui ne se pourra iamais assez loüer, elle se resolut pour empescher la detraction, d’estre comme une statuë sans oreilles et sans bouche, lors que quelqu’une de la compagnie commençoit de donner carriere à sa langue aux despens d’autruy, qu’elle s’avançoit à lecher les vieilles playes des fautes passees, ou a deschirer et desmembrer la renommee des absents par coniectures et soubçons. L’extreme offence que Dieu reçoit par ces puantes bouches piquoit son coeur si avant qu’elle les sentoit, les parolles comme des coups de dague d’ou partoit de mauvais air. Cette entreprise Royalle reussit bien: car rebuttant ces charcutieres de reputation en peu de temps, on reconneust que la detraction luy estoit des-aggreable comme une peste et personne n’osa plus entrer iamais au Cabinet sans resolution de s’abstenir de parler mal d’autruy en sa presence”[150].

 

    Ces mêmes dames – et non les moindres puisqu’elles peuvent accéder au “Cabinet” – sont comparés à de vulgaires “charcutières de réputation”. La cour, foyer de nombreuses rumeurs susceptibles d’entacher la réputation des souverains, est la métaphore d’un monastère à réformer, autant pour le salut de ses membres, que pour celui de ‘l’Eglise’ terrestre incarnée dans le roi :

 

    “La Cour d’un Roy et d’une Reyne est un Theatre ou les Subiects iettent la veüe, c’est un feu qui transforme en sa nature tous ceux qui s’en approchent, les belles actions d’un Roy donnent un grand bransle aux resolutions des Princes et des Seigneurs, les louables comportements d’une Reyne excitent la devotion dans la poitrine des Dames (…), on s’apperçoit en moins d’un demy an apres avoir monstré leur ferveur que chacun des Princes et des Princesses prennent la teinture du Roy et de la reyne, (…) la Cour n’est plus qu’un seminaire de devotion, qui escarte et se seme peu à peu par les villes et les Campagnes du Royaume”[151].

 

    Le ton exalté d’Antoine Malet traduit l’atmosphère qui régnait alors à la cour. Ce “Théâtre” est véritablement shakespearien dans la mesure où la scénographie due autant au roi qu’à la reine reflète déjà la dramatique naissance de l’absolutisme. Seulement ce désir de puissance se manifeste selon le paradigme d’une réforme religieuse et éthique, prémices alors vécues comme essentiels. Certes, ce point de vue porte à la critique car il est exprimé trente ans après les faits, alors que Louis XIII vient de faire son ‘coup de majesté’. Le terme de ‘séminaire’ est lui aussi difficilement applicable à la cour de Henri III alors que les canons du concile de Trente ne sont reçus qu’en 1615. Cependant, une fois encore, Antoine Malet décrit avec des expressions qui lui sont contemporaines des faits et des notions antérieures, ce qui n’enlève rien à la validité de l’ensemble, ou du moins à la foi de son témoignage. En ce début de XVIIe siècle, le temps n’est plus au “feu”, ni à l’excitation générale ; mais plutôt à la police des mœurs, à l’institution de maisons de dévotion comme l’Oratoire dont une des sources se trouve dans cette “Académie de pieté” parallèle à l’Académie du Palais d’Henri III. Or cette assemblée, contrairement à celle où brille la reine de Navarre, accepte les hommes et les femmes, et son développement semble coextensif d’une relative éclipse de la reine qui resterait dans les coulisses, alors que le roi  s’avancerait sur la scène :

 

    “La Cour fut en ce temps une Academie de pieté tant pour les hommes que pour les femmes, les Discours spirituels y estoient conceus et prononcez par les plus Grands, chacun à son rang, le Roy mesme ne s’en voulant pas exempter”[152].

 

    Car la fonction de Louise de Lorraine au sein de la cour demeure l’éducation des jeunes filles. Dans cette perspective, il est fort tentant de voir dans un livre qu’elle possède, un Discours chrestien, le Discours chrétien contenant une remonstrance aux parens (1578). Ce traité de Matthieu de Launoy s’inscrit dans la lignée des traités d’éducation féminine diffusés par les partisans de Trente. L’auteur y entend – un siècle avant Molière –  “légitimer l’humilité féminine par la conscience de sa culpabilité originelle et se méfie de la femme savante qui s’enfle d’orgueil”[153]. Mais plus loin, il reconnaît entièrement l’accès de la culture aux princesses royales.

    Et la reine régnante, soucieuse de s’inscrire au plus près des débats intellectuels en matière de théologie, encourage de fait cette académie en forme de miroir inversé puisque elle-même lit des ouvrages doctrinaux de Panigarole (sur la question du dogme) et de René Benoist (à propos de la nature du Christ, principal foyer d’achoppement avec toute hérésie) : ce goût n’est pas gouverné par son rôle de maîtresse de maison et d’une assemblée pensante, car après 1589, elle reçoit et garde de Mornay une Vérité chrestienne et, peut être dans les derniers mois de sa vie, une réponse catholique aux idées du ‘pape des huguenots’ sur la nécessité de Dieu face à l’immixtion sensible d’un ‘athéisme’.

 

    Un humanisme dévot avant la lettre

 

    En conclusion, la spiritualité de Louise de Lorraine, facilitée par son éducation et alimentée au contact de la cour et du roi, marque les débuts d’un courant dévot que François de Sales propage au début du XVIIe siècle. La reine songeait certainement plus à une éthique personnelle et à la notion d’amour de Dieu qu’à encourager un courant mystique par ses pratiques de dévotion, d’autant que pour la fin de XVIe siècle, la définition d’un ‘humanisme dévot’ reste inappropriée, du fait de l’absence de catégorisation sérielle claire en la matière. C’est pourquoi, bien que des tendances baroques soient manifestes, il ne faut pas voir seulement en Louise de Lorraine l’allégorie vivante d’une avant-garde intellectuelle en matière de religion. De plus, son rang ne lui permet guère de s’investir au-delà de la cour, car ‘l’époux mystique’ du royaume est le roi.

    La filiation avec François de Sales est introduite par Jacqueline Boucher. En effet, la piété de la reine fut rapidement connue. Son dîner public était, à l’instar de celui du roi, un intense moment de dévotion de la part de la cour, ainsi que de personnes plus humbles, comme le futur saint, lors de ses études à Paris de 1582 à 1588. Un de ses biographes écrit qu’il allait

 

    “voir disner la royne blanche qui estoit en réputation d’une grande pureté ; s’approchant d’elle, il taschoit de toucher ses habits par dévotion”[154].

 

    L’influence des jésuites et celle de Louis de Grenade, communes aux deux protagonistes, explique sans doute cette vénération de l’étudiant à la reine, plutôt que le désir du premier de résister aux charmes féminins : Louise de Lorraine était peut être un modèle de ‘chasteté’, mais sa beauté fut aussi admirée.



[1] Gilbert Gadoffre, La révolution culturelle dans le France des humanistes, Genève, 1997, p. 275. Par communication acroamatique, il faut comprendre toute communication qui s’effectue “de bouche à oreille”. Le rapprochement de la culture de Louise de Lorraine avec des données humanistes ayant déjà un certain passé s’explique dans la mesure où, dans sa jeunesse, Melle de Vaudémont a été en rapport à la cour de Lorraine avec un humanisme tardif (que son père notamment cultivait).

[2] Augustin Galitzin, Inventaire des meubles, bijoux et livres estant a Chenonceaux le huit janvier MDCIII, précédé d’une histoire sommaire de la vie de Louise de Lorraine, reine de France, suivi d’une notice sur le château de Chenonceaux, Paris, 1856.

[3] Assurément, la présence de sceaux en matière de succession est fort logique. Cependant elle peut aussi s’expliquer par le fait que certains effets ne se trouvaient pas à Chenonceau au moment du décès de la reine, mais avec elle à Moulins: un transport juridiquement valable implique l’utilisation de sceaux.

[4] Jacqueline Boucher, op.cit., p.230-235.

[5] Mss. Fr. 3422, fol.61

[6] Jacqueline Boucher, op.cit., p.230-235.

[7] Et ce d’autant que l’ignorance crasse d’un Dreux du Radier a donné de Louise de Lorraine une image très péjorative au milieu du XVIIIe, en croyant citer des ouvrages de sa librairie aux noms ridicules ou détournés: ainsi le Pré spirituel, le Disciple, les Abeilles, la Fleur des exemples, l’Histoire du trou Saint Patrice, la Légende dorée, les Gestes des Romains historiés, etc.

[8] Antoine Malet, op.cit., III, 21

[9] Ibid, IV, 3

[10] Ibid, IV, 12

[11] Abbé Chevalier, Archives royales de Chenonceau: pièces historiques, Paris, 1864, p. CXXXIX.

[12] la traduction la plus connue au XVIe est celle de Claude de Seyssel, publié en 1529 à Lyon par Galliot du Pré.

[13] Certainement les Epistulae ad familiares de Cicéron, paradigme du classicisme littéraire moderne, et connues sous ce nom dans les traductions d’Etienne Dolet et de François de Belleforest. Cf. Marc Fumarolli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et “res literaria” de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Paris, 1994, pp. 88 & 730. Cette hypothèse nous paraît préférable à d’autres qui verraient dans ce titre ou bien Les Epistres Dorées, morales, et familieres, et discours salutaires… d’Antonio de Guevara (car la traduction donnée en 1565 par le sieur de Guterry compte trois volumes : or l’inventaire ne mentionne pas à cet endroit plusieurs volumes), ou bien Les épistres morales et familières du Traverseur…de Jean Bouchet, Poitiers, 1545.

[14] La première édition véritablement accessible en France des oeuvres de Tacite est celle de Christophe Plantin en 1574 depuis Anvers.

[15] Les oeuvres historiques d’Appien furent diffusées au XVIe siècle et se retrouvent dans plusieurs bibliothèques célèbres, comme celle du connétable Anne de Montmorency, avec le second volume de l’Histoire romaine (traduction de Claude de Seyssel, 1510), ainsi que Des guerres des romains… (traduction du même, Galliot du Pré, Lyon, 1544). Voir les Livres du connétable. La bibliothèque d’Anne de Montmorency. Catalogue d’exposition, Musée national de la Renaissance, 1991.

[16] Jacqueline Boucher, op.cit., p.230.

[17] Ibid., p.230. Le Degli Hecathomiti de Giraldi Cinthio est un des grands succès littéraires du XVIe siècle. “Ses cent nouvelles influencèrent profondément le théâtre dont elles furent source d’inspiration. L’Othello de Shakespeare pourrait en venir. La présence de cette oeuvre chez la reine Louise est très caractéristique de la culture mondaine de la fin du XVIe siècle”.

[18] Marc Fumarolli, op.cit., p.682. Il s’agit d’un roman pastoral dévot.

[19] Ibid., pp 83-91. Pietro Bembo, humaniste vénitien, secrétaire des brefs de Léon X, chantre du cicéronianisme romain est l’auteur des Prose della volgar lingua. Cet ami de Castiglione fut l’un de piliers de l’humanisme de cour.

[20] Les volumes du sieur du Haillan sont peut être une autre édition de ce qui précède. Ils furent très certainement offerts par leur auteur qui échangea des lettres avec la reine.

[21] Il est difficile de savoir s’il s’agit d’histoires écrites à l’antiquité ou au XVIe siècle.

[22] Le premier livre traite des bandages, le deuxième des fractures, le troisième des luxations avec une apologie touchant les arquebousades, le quatrième des morsures et piqueures venimeuses, le cinquième et dernier des gouttes.

[23] Ce livre singulier, paru à Turin et dédié à Louise de Lorraine, illustre le goût de la reine pour la broderie. L’exemplaire de la B.N. est orné des armes de France et de Pologne.

[24] Cet ouvrage manuscrit se trouve à la Bibliothèque Nationale sous la côte fr. 1049.

[25] Probablement une compilation de plusieurs ouvrages du même Saint Augustin, dont le Psalmus contra partem Donati. Il convient de noter que ces psaumes s’inscrivent dans le cadre des combats théologiques contre une hérésie (ici le Donatisme).

[26] Cette hypothèse se base sur l’article “Hugues de Saint Victor” de la Nouvelle Biographie Universelle, op.cit. Hugues de St Victor, ou de Semur, abbé de 1049 à 1109, fut le conseiller le plus écouté de Grégoire VII. L’abbé Chevalier suggère plutôt Pierre le Vénérable, mais sans fournir aucune explication. cf.  Abbé Chevalier, Histoire de Chenonceau. Ses artistes, ses fêtes, ses vicissitudes, Lyon, 1868, p.387, note 1.

[27] Robert Bacon, franciscain anglais du XIIIe siècle. Toutefois, ni lui, ni ses homonymes du XVIe siècle (Roger & Francis Bacon) n’ont laissé de livre connu sous ce titre.

[28] Titre de l’inventaire : De la contemplation de Jota. Pour de plus amples détails, voir un peu plus loin les ouvrages mysticisants antérieurs au XVIe.

[29] Nathalie Brette, Louis de Grenade: Un cantique d’oraison et de charité, mémoire de maîtrise, université de Lyon III, 1994, p.178-184. Deux éditions possibles : Rome (1573) et Venise (1582).

[30] Frédéric Morel fut lecteur royal d’éloquence grecque et se fit éditeur des Pères de l’Eglise grecque.

[31] Le sieur de Lavardin est mieux connu sous le nom de l’abbé de l’Etoile.

[32] Trois possibilités se dégagent, mais nous ne pouvons pas privilégier l’une d’entre elles. Le plus incertain cependant serait de voir à cet endroit L’Exposition des évangiles des cinquante-deux dimanches de l’année avec les cinq festes de la Vierge Marie. Ensemble la feste de la dedicasse de l’Eglise. Item les sermons des confesseurs et des vierges. Le tout nouvellement translate de latin en françoys (Paris, Buffet, 1559) de Maurice de Sully. Il devrait par conséquent s’agir ou bien des Sermons, ou Thrésors de la piété de la piété chrestienne, cachez dans les Evangiles des dimanches de l’année du P. Jean Boucher, ou bien des Sermons et exhortations catholiques sur les évangiles des cinquante et deux dimanches de l’année, pour l’instruction du peuple chrestien (Paris, Drobet, 1595), de Denis Peronnet.

[33] Jacqueline Boucher, op.cit., p. 232

[34] L’inventaire mentionnant quatre livres pour ces Sermons, nous sommes donc là en présence de la traduction de Il Quart libro delle Prediche del reverendissimo Mons. Cornelio Musso…dont l’édition de référence retrouvée à la B.N. remonte à 1580 (3e éd., Napoli, Salviani, 1580).

[35] Philippes Du Bec, évêque de Nantes, fervent royaliste, participa aux côtés de son neveu Philippe Duplessis Mornay et de la reine Louise aux négociations avec le duc de Mercœur à Ancenis pendant l’hiver 1594-1595.

[36] Jusqu’au XVIe siècle, Ramon Jordan, dit le « Savant Idiot », était placé dans la bibliothèque des Pères, et l’on pensait qu’il avait vécu vers le VIIIe ou  le IXe siècle. Cependant, cet abbé de Celles (Gard) semble vivant en 1381, et une partie de ses Contemplations de la Vierge, ou des Idiota emprunte largement à une homélie de saint Bernard de Clairvaux. Le titre de l’édition de 1538 est Contemplations du simple Dévot, lesquelles traitent de l’amour divin, de vraie patience, de la mort, et de la Vierge Marie.

[37] Les traducteurs sont Denis Hangart et Jean Gillot.

[38] Les Oeuvres d’Henri von Berg, alias Suso (ca.1295-1366) se divisent traditionnellement en deux ensembles: le premier, l’Exemplaire, et le deuxième les autres ouvrages, le Grand Livre des Lettres, des Sermons, le Petit Livre de l’Amour, et l’Horologium sapientae. Cf. Henri Suso, Oeuvres complètes, trad.& publ. Jeanne Ancelet Hustache, Paris, 1977, 588 p.

[39] Au XVIe siècle, ce texte est attribué (faussement) à saint Basile, archevêque de Césarée.

[40] Peut être faut-il voir dans cette somme Le Thrésor et abregé de toutes les oeuvres spirituelles du reverend P.F. Loys de Grenade, religieux de l’ordre de Saint Dominique, traduit par Gabriel Chappuys, Lyon, 1592, in 16°.

[41] Aucune édition française de ce livre n’est connue avant 1608; il s’agit du Traité de l’oraison et méditation. Faict en espagnol par le R.P.F. Louis de Grenade et mis en nostre vulgaire par François de Belleforest, Paris, 1608, in 8°, 496 ff.

[42] Il existe deux éditions antérieures, des traductions publiées en 1577 par Nicolas Colin à Reims, et par Paul du Mont à Douai. Cependant nous privilégions l’édition parisienne de 1583 citée par Nathalie Brette.

[43] Une traduction du même Nicolas Colin fut disponible à partir de Chambéry dès 1583; mais là encore, notre préférence va à l’édition parisienne de 1587 mentionnée par Nathalie Brette.

[44] Une partie des Quatrains du s. de Pybrac conseiller du Roy en son conseil privé, contenans precepttes et enseignemens utiles pour la vie de l’homme, de nouveau mis en leur ordre, et augmentez par ledict Seigneur…Avec les plaisirs de la vie rustique, extraicts d’un plus long poème, composé par ledict Seigneur de Pybrac, ( A Lyon, par Benoist Rigaud, 1597, pour l’édition cité)  porte le même nom…

[45] Un autre auteur produisit vers la même époque un Formulayre…, mais nous lui préférons Arnaud Sorbin, docteur en théologie, et surtout proche de la cour royale.

[46] Sur Francesco Panigarole, voir Marc Fumarolli, op.cit., pp. 142-143, 215-216. Ce franciscain était fort connu en France car il fit ses débuts à la cour de Charles IX. Il prêcha aussi à la cour de Henri III où il gagna encore en célébrité. Revenu en France dans les bagages du légat Cajetan, ses prêches à Notre Dame pendant l’apogée de la Ligue l’amenèrent à exhorter la population à refuser Henri IV en 1592. Mais cet initiateur de la rhétorique sacrée de l’entourage de Charles Borromée (le style ‘asianiste’) s’attira les foudres du pape  : Paul V lui conseilla d’aller à Paris “altro che cianie” se coudre la bouche, et il dut s’abstenir de parler en public pendant trois ans!

[47] Deux éditions portent ce même nom en 1586, celle de Stratius à Lyon et celle de Crevel à Rouen. Autre titre envisageable : Cent sermons sur la passion de N.S. prononcez à Milan par R.P.F.Panigarola, et traduicts en François par Gabriel Chappuys, Paris, Carellat, 1586, in-4°.

[48] René Benoist (1521-1608) fut curé de St Eustache.

[49] Ouvrage probablement offert par son auteur à la reine Louise lors des négociations d’Ancenis (Hiver 1594-1595) et qui s’attache surtout à démontrer la vérité de Dieu afin de lutter contre l’hérésie absolue, c’est à dire l’athéisme.

[50] La première édition connue est celle de Bordeaux en 1601. En 1603 est publié La victoire de la vérité contre l’hérésie, par la réfutation de toutes ses erreurs par Pierre Victor Cayet.

[51] L’un des deux exemplaires de la B.N. (Ms.fr. 5726) possède une reliure fleurdelisée aux armes de France et de Lorraine et au chiffre de la reine Louise. Les angles des plats sont ornés du monogramme de la reine, composé d’H et de deux lambdas grecs entrelacés, initiales des prénoms de Henri et Louise. Sur une page de garde est inscrit « Henry de France » (la graphie fait penser à celle du roi) mais le livre – manuscrit – est estampillé d’un « Bibliothecae Regiae ».

[52] Ce livre a été retrouvé par Mme Boucher dans un catalogue de la bibliothèque du baron  J. de Rothschild, op.cit., p.231.

[53] Henri Faure, Antoine de Laval et les écrivains bourbonnais de son temps, thèse de doctorat, Moulins, 1870, p.282.

[54] M. Litaudon, “Le testament de la reine Louise”, Bulletin de la société d’émulation du Bourbonnais, tome 39, 1936.

[55] Il s’agit du célèbre livre d’Heures d’Anne de Bretagne, passé successivement dans les mains des reines de France du XVIe siècle (du moins, dans celles de Claude de France, d’Eléonore de Habsbourg et de Catherine de Médicis).

[56] Jacqueline Boucher, op.cit., p.138. Ce manuscrit (B.N., Ms Latin 1116A) aux armes de Louise de Lorraine retranscrit une prière solennelle dite à Chartres lors d’un pèlerinage du couple royal afin de voir bientôt naître un héritier pour la couronne.

[57] Alain Cullière, Ecrivains et pouvoir en Lorraine au XVIe siècle, Paris, 1999, p. X.

[58] Ibid., p. X.

[59] Ibid., p. X.

[60] Curieusement, ce livre ne contient pas de dédicace, du moins dans l’édition de Margaret Mac Gowan (New York, 1982): Toutefois, sa présence dans la bibliothèque de la reine semble difficilement contestable.

[61] Jacqueline Boucher, op.cit., p. 230. La B.N. donne le titre latin complet :  De Illustrum foeminarum in republica administranda ac ferendis legibus authoritate libellus, opera Jo. Leslaei, Rhemis, Foynaeus, 1580.

[62] Ibid., p. 232. Bibliothèque de l’Université de Paris, Ms. 386, fol. 49-55

[63] Ibid., p. 246

[64] Gilbert Gadoffre, op.cit., p.199-237.

[65] Ibid., p.239. Voir aussi Livres du Connétable. La bibliothèque d’Anne de Montmorency. Catalogue par Th. Crépin-Leblond, Paris, 1991.

[66] Eliane Viennot, Femmes et Pouvoirs sous l’Ancien Régime, Paris, 1991, p.79.

[67] Acta Nuntiaturae Gallicae. Correspondance de Girolano Ragazzoni, publ. P. Blet, Paris-Rome, 1962. “Andai poi a visitare la Regina regnante, et mi spedij molto presto, poiche ella non intende, né parla se non francese, né è partecipe d’alcun negocio.”

[68] Antoine Malet, op.cit., IV, 3.

[69] Eliane Viennot, op.cit., p.103.

[70] Antoine Malet, op.cit., IV, 7.

[71] Ilana Zinguer, Misères et grandeurs de la femme au XVIe siècle, Genève-Paris, 1982, p.81-85. Béroalde est d’abord un mathématicien pourvu d’un bénéfice canonial à Tours où il s’installe au début des années 1590 : mais c’est un esprit peu religieux et fort libre. Les Aventures de Floride furent pour la première fois publiées à Tours chez Drobet en 1594.

[72] Ibid., p.67-68.

[73] Vers funèbre François et latins sur le vray discours de la mort de M. le duc de Joyeuse, Paris, Beys, 1587.

[74] Gilbert Gadoffre, op.cit., p.253.

[75] Ibid., p.255; cf. Antoine Malet, op.cit., VI, 17, “De la prudence de la reyne tant à choisir ses Domestiques qu’à bien gouverner sa Maison”.

[76] Sur cet ouvrage manuscrit très particulier, voir l’annexe IV.

[77] Antoine Malet, op.cit., VII, 7.

[78] Marc Fumarolli, op.cit., p.63. “Tacite, comme le Cicéron des dialogues rhétoriques et des épîtres familières, est une des grandes découvertes de la Renaissance. C’est en 1425 qu’un moine de Hersfeld trouve le manuscrit contenant l’Agricola, la Germania, et le Dialogue des Orateurs.  Il ne parvint à Rome qu’en 1455. La première édition en fut faite à Venise en 1470. Et c’est en 1515, grâce au manuscrit Mediceus prior acheté par Léon X, que la majeure partie des Annales put être jointe aux oeuvres de Tacite dans l’édition de Philippe Béroalde. (…) C’est à partir de 1574 et de la grande édition plantinienne de Tacite, procurée que l’oeuvre du grand historien-orateur de l’Empire, contempteur de Néron, mais contemporain de Trajan, entra vraiment dans le vif de la culture européenne”.

[79] Ce livre servit au capucin Thomas d’Avignon dans la préparation de son oraison funèbre de février 1601. Cf. Thomas d’Avignon, Oraison funèbre sur le trespas de tres haute, serenissime, & tres religieuse Princesse, Loyse de Lorraine doüairiere de France, & de Pologne, faicte & prononcée à Moulins en Bourbonnois, Paris, Douceur, 1601, p.15-16. « Si ie dis qu’elle est une grande Princesse, yssue d’un estoc illustre, de tige royalle, d’une antique famille, & noble progenie, cela est si vray & si clair, que de vouloir le monstrer ce seroit autant que de vouloir prouver que le Soleil est luysant en plain midy, ou que le tout est plus grand que sa partie, veu qu’elle est yssue de l’antique & illustre maison de Lorrayne, & de tant de Roys (ainsi que nous apprenons par les Alliances genealogiques de Lorraine) de René premier de ce nom, Roy de Sicile, Duc d’Anjou & de Lorraine ; de René second de ce nom, Roy de Hierusalem, Sicile, & Aragon, & Duc de Lorraine ; de Bauldoin de Boulongne Roy de Hierusalem ; de Godefroy de Buïllon septiesme duc de Lorraine que ie devois nommer le premier, pour ce qu’il conquist le Royaume de Hierusalem l’an 1099, & ny voulut porter couronne d’or, parce que Nostre Redempteur y avoit esté couronné de poignantes espines ».

[80] Jean Céard, La nature et les prodiges. L’insolite au XVIe siècle., Genève, 1997, p.282-284.

[81] Jacqueline Boucher, op.cit., p.254.

[82] Ibid.., p.135

[83] Antoine Malet, op.cit., VI, 3.

[84] Gilbert Gadoffre, op.cit., p.192-198.

[85] Antoine Malet, op.cit., IV, 6.

[86] Ibid., IV, 3

[87] Ibid., VI, 16.

[88] Ibid., VI, 16.

[89] Marc Fumarolli, op.cit., p.494-496.

[90] Ibid., p.517-518. ‘Gravitas’ et ‘temperantia’ sont aussi les attributs de la parole du juge, ce qui va dans le sens de l’idéal de justice de la royauté : le paradigme d’une telle rhétorique est l’épisode de la clémence d’Auguste, rapportée par le De clementia de Sénèque.

[91] Flaminio de Birague, Premières œuvres poétiques, éd. critique par R.Guillot & M.Clément, Paris, 1998.

[92] Geneviève Demerson, Dorat en son temps. Culture classique et présence au monde, Paris, p.53 & 64.

[93] Alain Cullière, op.cit., Paris, 1999, p. X.

[94] Le P. Dinet est celui qui annonça à la reine vers le 5 août 1589 le décès d’Henri III. Jacqueline Boucher, op.cit., p.308.

[95] Marc Fumarolli, op.cit., p.283-284.

[96] Frances Yates, Astrée. Le symbolisme impérial au XVIe siècle, trad. française par J.Y.Pouilloux & A.Huraut, Paris, 1989, p.378.

[97] Auguste Benoit, Notice sur Jean Lebon, médecin du cardinal de Guise, suivie de la prosopopée Le Rhin au Roy (1568), Genève, 1971. Voir aussi Alain Cullière, op.cit., p. X.

[98] Claude Vicar, Petit discours de l’utilité des voyages ou des pelerinages, tiré de passages de la Sainte Ecriture, et autres autheurs, mis en lumiere du commandement de la royne par E. Maignan, Paris, Roger, 1582, p.7-10.

[99] Henri Faure, op.cit., p.288, note XXVII.

[100] Jean Rousset, La littérature de l’âge baroque en France: Circé et la Paon. Paris, 1954, p.14.

[101] Frances A. Yates, Les académies en France au XVIe siècle, trad. française, Paris, 1995, p.343.

[102] Balthazar de Beaujoyeulx, Le Balet comique de la Royne by B. de B. A fac simile with an introduction by Margaret McGowan, medieval and renaissance texts and studies, New York, 19 82, p.3 r°.

[103] Ibid., p.2 r°.

[104] Jacqueline Boucher, op.cit., p.208.

[105] Balthazar de Beaujoyeulx, op.cit., stances de Claude Billard, v.14-24.

[106] Jacqueline Boucher, op.cit., p.86-88.

[107] Balthazar de Beaujoyeulx, op.cit., “Chant des Tritons”, p. 17 v°-18 v°.

[108] Ibid., “dialogue de Glaucus et de Thétys”, p.22 r°.

[109] Ibid., cité in Jacqueline Boucher, op.cit., p.111.

[110] Frances A. Yates, op.cit., p.346-348.

[111] “(oratione) conforme al desiderio suo affiné di ottener gratia de Sua Divina Maestà per traver figliuoli”, lettre du 23 octobre 1581, in Acta Nuntiaturae Gallicae. Correspondance du nonce en France Giovanni Battista Castelli, publ. R.Toupin, Paris-Rome, 1967.

[112] Jacqueline Boucher, Ibid., p.136.

[113] “Il cardinale di Vademont et il duca di Mercurio, suo fratello, et il duca du Guisa hanno dimostrato al padre Claudio, gesuita, haver gran sospetto che il Re Christianissimo sia per ripudiar la moglie come sterile alligando vanamente che il re di Francia hanno privilegio di far tali repudij quando le moglie loro sono sterili per il spatio di dieci anni.” Correspondance de Girolamo Ragazzoni, op.cit., p.370.

[114] Frances A. Yates, Astrée…, p.371.

[115] Antoine Malet, op.cit., III, 15.

[116] Ibid., III, 16.

[117] Ibid., IV, 9.

[118] Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, 1991, p.590.

[119] Ibid., p.599.

[120] Gérald Chaix, “Idéal érémitique et réalités ligueuses dans la France de Henri III”, in Henri III et son temps. Actes du colloque international du Centre de la Renaissance de Tours, octobre 1989, études réunies par Robert Sauzet, Paris, 1992, p. 199.

[121] Jean Chélini, op.cit., p.366.

[122] Ibid., p.367.

[123] L’édition de 1586 ne renferme pas tous ces opuscules ; cependant tous sont en relation avec d’autres livres de la bibliothèque, et partant, participent de cet essai de recouvrement thématique de la spiritualité de la reine régnante. Voir les Considérations sur l’amour divin, traduction et notes par le R.P. de Boissieu, Saint-Maximin, 1923.

[124] Antoine Malet, op.cit., IV, 10.

[125] Ibid., III, 22. Antoine Malet place son récit vers 1561-1563, ce qui est peu probable car Philippe-Emmanuel de Vaudémont est né en 1558. Posant pour axiome la véracité de l’anecdote, il convient de la situer plutôt vers 1565.

[126] Ibid., VI, 12.

[127] Ibid., VI, 12. cf. abbé Laffineur, Essai biographique sur Guillaume Rose évêque de Senlis (1583-1602), Senlis, 1868, p.5.

[128] Jacqueline Boucher, op.cit., p.253.

[129] Antoine Malet, op.cit., VI, 12.

[130] Ibid., VI, 12.

[131] Ibid., VI, 12.

[132] Ibid., VI, 12.

[133] Ibid., VI, 13.

[134] Ibid., VI, 12.

[135] Marc Fumarolli, op.cit., p.144-148. L’édition originale a pour titre Silva locorum qui frequenter in concionibus occurere solent, omnibus divini verbi concionatoribus cum primis utilis et necessaria. In qua multa quam tum ex veterum Patrum sententiis collecta, tum opera et studio authoris animadversa traduntur : quae ad hoc munus exsequandam vehementer conducant. Autore et collectore R.P.F. Ludovico Granatensi, sacrae theologiae professore, monacho Dominicano, Salamanticae, apud heredes Matthiae Gastii, Anno 1585.

[136] Ibid., p.143: Ecclesiasticae Rhetoricae sive de concionandi libri sex, nunc primum in lucem editi, Authore R.P.F. Ludovico Granatense…, Olyssipone, Exc. Antonius Riberius, expensis J. Hispani bibliopolae, 1576.

[137] Antoine Malet, op.cit., VI, 12.

[138] Marc Fumarolli, op.cit., p.341.

[139] Antoine Malet, op.cit., VI, 12.

[140] Jacqueline Boucher, op.cit., p.325.

[141] Marc Fumarolli, op.cit., p.143.

[142] Jacqueline Boucher, op.cit., p.55. Lorsqu’elle arriva à paris en mars 1575, la nouvelle reine était accompagnée de deux suivantes, Claude de Saint Blaize, demoiselle de Changy, Françoise du Vaulgray, demoiselle du Bellay, et de deux suivantes, Moujon Dayan et Pierrotte.

[143] Antoine Malet, op.cit., IV, 6.

[144] Jacqueline Boucher, op.cit., p.56, 70; p.73: “Le 29 janvier 1576 Henri III écrivit à son lieutenant général en Picardie, Jacques d’Humières, que la reine voulait recevoir Mlle de Stavay (Louise d’Estavaye) au nombre de ses filles parce qu’elle passait pour être très bien élevée”.

[145] Lettres de Henri III roi de France, publ. Michel François, tome II, Paris, 1965, p. 358-359.

[146] Ibid., p.255.

[147] Antoine Malet, op.cit., VI, 12.

[148] Du moins, dans la mesure où le public est l’élite sociale du royaume: montré à n’importe quel sujet, cet ‘abaissement’ public de la reine pourrait être mal interprété.

[149] Antoine Malet, op.cit., VI, 13.

[150] Ibid., VI, 12.

[151] Ibid., VI, 12.

[152] Ibid., VI, 12.

[153] Eliane Viennot & Danielle Haase-Dubosc, op.cit., p.106.

[154] Biographe du XVIIe cité in Jacqueline Boucher, op.cit., p.255.

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