| Ceci est une partie (les derni�res pages) du roman Moi, mes souliers, p.199, Anse Vaudreuil, Juin 1954 |
| Alors, mets-toi bien ceci dans la t�te : Tu veux cr�er ? Tu veux b�tir ? C'est fatiguant. On est ici pour se reposer. N'emb�te personne avec cela. Tu es seul, ce qui s'appelle seul, ne te fie qu'� toi. Tu es seul comme une ch�vre seule sur l'�le solitaire, seul comme le d�fenseur de l'honneur et de la vertu. Les gens n'ont plus le go�t de te venir en aide, encore moins celui de te voir r�ussir. �a n'existe pas (� part quand tu es petit), la ma�tres qui tracent le chemin, te tiennent la main, se penchent sur toi, te guident, t'encouragent et t'�clairent. Non. Et si tu r�ussis, quand viendront � toi les puissants, le sourire fendu, tout en courbettes, en poign�es de main, en offres, en offrandes, en louanges, en compliments, en dipl�mes, en m�dailles, en remerciements, en "je l'avais bien dit", tu te sentiras plus seul encore. Tu rencontreras deux sortes d'�tres qui vont beaucoup t'aider : ceux qui sont cr��s et mis au monde sur ta route expr�s pour t'emp�cher d'avancer et quelques inconnus qui t'�criront une lettre � laquelle tu ne r�pondras pas, mais qui ont fait comme le serment que tu r�ussisses pour se d�livrer eux-m�mes de leur manque de confiance, de leur timidit�. Rester ou s'exiler ? Non. Reste ! Il y a � faire. D�laisse les li�vres � deux pattes si leur compagnie t'abrutit. Quand tu le pourras, va donc dans la for�t voir un peu ceux qui en ont quatre. Moi, j'y vais souvent. Je me demande parfois s�rieusement si leur vie de craintes, de peurs, de do�tes n'est pas plus dr�le que la mienne. J'ai mesur� les jours et je les ai trouv�s longs, J'ai mesur� les nuits et c'�tait bien profond, Puis j'ai sond� ma peine, n'ai pas touch� le fond. C'est injuste. Je me moque de l'homme et de sa t�te de b�te. C'est pas vrai. Quand un souffle le prend, il peut s'�lever tr�s haut. Je te le souhaite. F�lix Leclerc |