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Superbe madame Jones

Pierre Foglia

La Presse, vendredi 10 août 2001

DÉRAPAGE IDENTITAIRE -- Après sa contre-performance, le lanceur de disque canadien Jason Tunks, complètement détruit disait : « J’ai laissé tomber mes amis, j’ai laissé tomber ma famille, j’ai laissé tomber... », il allait dire j’ai laissé tomber mon pays, mais il s’est retenu, comme si une petite lueur de bon sens avait traversé sa grande carcasse et qu’il avait réalisé qu’après tout il lançait un disque et s’il y a quelque chose dont se contre-crisse son pays, c’est bien du lancer du disque. N’empêche que toute la semaine qui a précédé son concours, Tunks a répété cent fois qu’il sentait le poids du Canada sur ses épaules...

Attitude différente des sauteurs en hauteur Boswell et Boateng, mais même résultat. Les sauteurs ont pris leur défaite en souriant. Le lendemain, les journaux d’Edmonton ne leur ont pas envoyé dire qu’ils avaient profondément démérité de la nation et qu’il était bien malséant de rire de ces choses-là.

Je viens de faire une recherche sur Internet, aucun de mes collègues anglophones -- et Dieu sait s’il y a d’excellents journalistes sportifs au Globe, au Star, au National Post et à la Gazette, et ici au Edmonton Journal -- aucun n’a abordé le sujet, et ce n’est certainement pas par manque de courage. C’est tout simplement qu’ils ne voient pas qu’il y a là un fâcheux dérapage.

Ils ne font pas la différence entre la fierté de défendre les couleurs de son pays, entre faire un tour de piste avec son drapeau, écraser une larme pendant l’hymne national et ce climat d’embrigadement qui fait des athlètes canadiens des objets de propagande.

Je ne connais pas de peuple plus chauvin que les Italiens. Mais jamais un lanceur de disque italien oserait dire une connerie du genre : « Je sens le poids de l’Italie sur mes épaules. » Il ferait rire de lui. Les Français gagnent la Coupe du monde de soccer et c’est le défilé sur les Champs-Élysées, on a gagné, on est les meilleurs.

Au Canada, c’est le contraire.

Tous les pays du monde célèbrent leurs athlètes.

Au Canada, c’est le contraire. Ce sont les athlètes qui célèbrent le Canada, ce pays complètement malade de son identité

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