VI-LA MISE EN OEUVRE SYSTÉMATIQUE DU GÉNOCIDE

 

En janvier 1939, Hitler considérait comme probable « l’extermination de la race juive en Europe » si une guerre devait intervenir. Après la défaite et l’occupation de la Pologne, les Juifs polonais ont été rassemblés à proximité des nœuds ferroviaires et enfermés dans des ghettos où ils furent astreints au travail forcé. En 1940, après la défaite française, les nazis envisagèrent un moment la possibilité de transférer les juifs d’Europe à Madagascar. Cette idée, qui n’a d’ailleurs jamais été prise au sérieux, était d’une réalisation d’autant plus malaisée que cette île de l’océan Indien n’était pas sous contrôle allemand. En attendant, la politique hitlérienne de déportation des juifs et de ghettoïsation se poursuivit en Allemagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie et en Pologne.

 

Il est en revanche certain que, dans la phase de préparation de l’attaque contre l’Union Soviétique – époque marquée par la planification de l’ « espace vital » à l’Est et la  « barbarisation » des méthodes de lutte que cette planification implique – la perspective de liquidation physique totale des Juifs est déjà acquise. À l’été 1941, Hitler entre dans une logique fantasmatique. Il se persuade qu’en tuant les Juifs, dans une sorte de sacrifice sauvage et fétichiste, il leur fait expier le sang allemand versé et contribue en même temps au renversement de la situation militaire. Il signe ainsi sa volonté de lutte à outrance. Il reprend l’initiative qui lui échappe militairement, en même temps il se venge par avance d’une défaite possible. Si l’Allemagne devait subir une nouvelle défaite, il la ferait payer très cher aux Juifs.

Les « groupes mobiles de tuerie » en URSS augmentent leur travail : la plupart des victimes sont fusillées au bord de fossés qu’elles ont dû elles-mêmes creuser. D’autres sont brûlées vives comme à Minsk. À partir de l’automne 1941, les responsables des Einsatzgruppen procèdent à des asphyxies par les gaz d’échappement de camions à moteur Diesel dirigés à l’intérieur des véhicules au lieu d’être évacués vers l’extérieur. La politique d’extermination des Juifs européens est en marche. Le piège se referme sur les Juifs d’Europe, parfois avec la complicité des gouvernements.

 

C’est par le protocole de Wannsee que nous connaissons la répartition des Juifs pays par pays dans l’Europe de l’époque. Cette conférence a lieu le 20 janvier 1942, en présence des deux plus proches collaborateurs de Himmler, Reinhard Heydrich, chef du RSHA (office central de sécurité du Reich), et Adolf Eichmann, responsable de la section IV BIV du même RSHA, qui a pour rôle de regrouper les Juifs d’Europe sous le contrôle allemand. Le décompte de Wannsee donne le chiffre total de onze millions de personnes destinées à être éliminées sur le territoire  européen.

 

Toutefois, la décision de mettre en œuvre la Solution finale n’a pas été prise à Wannsee, mais avant, si l’on se réfère strictement aux documents, l’ordre en a été communiqué par Goering à Heydrich dès le 31 juillet 1941. C’est sur la base de cet ordre que les camps de concentration vont être systématiquement utilisés comme camps de la mort et que l’on va faire converger vers eux des milliers de convois en provenance de toute l’Europe occupée, de l’Est comme de l’Ouest.

 

L’opération T4, considérée comme la première opération de purification du Reich a mis à mort 360 000 des malades mentaux, considérés comme des « enveloppes humaines vides », « fardeaux vivants », des handicapés profonds, êtres porteurs de maladies congénitales et d’affections héréditaires, psychopathes, vieillards grabataires, dans 6 centres d’euthanasie (injection de morphine ou de scopolamine, puis méthode de gazage au CO, dans les chambres à gaz).

 

D’autre part, dès leur arrivée au camp, les déportés sont triés : sélectionnés par des médecins nazis, les « aptes au travail » -hommes jeunes et femmes en bonne santé- sont envoyés, destinés à mettre ce qui leur reste d’énergie dans le travail au service du IIIe Reich. Jugés « inaptes », les vieillards, les malades, les femmes arrivées avec de petits enfants prennent la route des fours crématoires. Ils entrent dans la salle de déshabillage, dernière étape avant la chambre à gaz (utilisation du Zyklon B). Épuisés par le voyage, hébétés par l’extrême rapidité des opérations, sans forces et sans armes, ils ne sont plus en mesure de se révolter. D’autres, avant d’être gazés, attendent, des heures parfois, dans le bois tout proche. Les enfants pleurent, réclament de l’eau, certains adultes s’interrogent anxieusement sur le nuage de fumée qui les entoure, sur l’odeur pestilentielle qui se répand. Mais il n’y a aucune fuite possible. Le fonctionnement des camps relevait d’une organisation rigoureuse et scientifique, qui poussait la recherche de l’efficacité jusqu’à l’exploitation commerciale et industrielle des cadavres : après avoir confisqué les vêtements, les chaussures, les effets personnels des déportés dès leur arrivée dans les camps, les nazis récupéraient après les avoir exterminés, dents en or, lunettes, dentiers, tandis que les cheveux étaient tissés pour fabriquer des couvertures, les os broyés et transformés en engrais.

 

Primo Levi écrit ,en 1947,dans Si c’était un homme :

« Peut-être pourrons-nous survivre aux maladies et échapper aux sélections, peut-être même résister au travail et à la faim qui nous consument ?[…] Nous avons voyagé jusqu’ici dans les wagons plombés, nous avons vu nos femmes et nos enfants partir pour le néant : et nous, devenus esclaves, nous avons fait 100 fois le parcours monotone de la bête au travail ,morts à nous-mêmes avant de mourir à la vie, anonymement. Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d’ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé de sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l’homme, à Auschwitz, a pu faire d’un autre homme ».

 

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