Les cloches du quai des Chartrons

(Épisode I)

Nous étions les 3 cloches du quai des chartrons de Bordeaux. Notre résidence se trouvait sous les marches de l'entrée principale des docks désaffectés. Fermée des deux cotés, une petite porte de bois nous protégeait des agressions climatiques et humaines.

Tous les samedis, depuis 3 ans, nous avions pris routine de nous lever à 6h00 pour une matinée de travail au marché des Capucins. On avait baptisé ce jour "Byzance". Notre boulot consistait à donner un coup de main a l'étalage et au ravitaillement des fruits et légumes sur les charrettes des vendeuses. C'est Titine, ancienne prostituée de la Victoire, mais aujourd'hui commerçante au grand marché des capucins, qui nous avait donné ce filon en or. Ceci nous assurait un casse croûte de roi et quelques centaines de francs. L'après-midi, nous le passions a picoler des ballons de rouge au bar " d'Albert ", après avoir fait l'achat de saucissons, pâtés et fromages pour le repas du soir quand ce n'était pas d'autres victuailles. Grand Dieu ! J'allais oublier le vin…. Du bon vin bouché et non la piquette qui étanchait notre soif de la semaine.

" Byzance, Byzance ! " hurlait Maurice, en collant le goulot de la bouteille de vin vide à son œil, l'utilisant comme longue vue. Il rotait et s'écroulait de sommeil. Comme un marin accostant le port de Constantinople, il faisait taire dans un dernier rot les énormes pistons de son navire. La scène se répétait tous les samedis soir.

J'écris, j'écris et je me rends compte que je n'ai pas présenté les deux protagonistes de ce récit. Sur le dessin on ne peut s'en rendre compte mais Antoine est plus petit que Maurice d'une dizaine de centimètres.

Ils se sont connus deux mois avant que je les croise dans un bistro des quais. J'avais une éponge dans le gosier et la piquette du patron n'étanchait en rien ma tristesse. Je n'arrivais plus a vendre mon cul sur le trottoir. " Trop vieille! " qu'ils disaient. N'empêche que j'ai fait la gloire de mon quartier à l'époque où mon cul était aussi précieux qu'une pépite d'or. Et ça mon maquereau le savait bien. Et oui, j'étais une pute, c'est pour cela que je préfère rester discrète en n'apposant pas ma face dans ce dessin. Aujourd'hui tout va bien et je n'ai pas envie d'être reconnue. Je peux toutefois vous dire comment je m'appelle… " Jeannine ". Bon, ça fait peut-être un peu démodé aujourd'hui mais à l'époque de ma naissance c'était plutôt joli et à la mode. Je suis née en 1950, nous sommes en 2002. Je vous laisse calculer. Une femme ne donne jamais son âge de vive voix ou si elle le fait, méfiez-vous, elle sera capable du pire. Donc, un soir ou j'étais bien saoule, entrent dans le bistrot, Antoine et Maurice.

Au bout d'une dizaine de minutes, j'étais attablée au bout du zinc en leur compagnie a déblatérer ma vie et vitupérer sur la société. J'ai été jusqu'à baisser ma culotte pour leur montrer mon cul en or. Ce soir là, je pense qu'il devait être plutôt de bronze. Enfin c'est ce qu'il m'ont dit. Moi, j'avais la marmite en ébullition et je ne me rappelle plus de rien. Le lendemain, je me suis réveillée sous les marches des docks désaffectés avec une cloche à la place du crâne tant j'avais mal a la tête. Je venais d'élire domicile au quai des Chartrons.

À suivre...

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