Nouvelles recherches sur les dialectes iraniens.

Par Arthur Christensen, Copenhague


Le nouveau volume (section 111, tome IV, Berlin 1932) des
«Recherches kurdes et persanes»(Kurdisch.-persische»)
d'Oskar Mann, continuées par Karl Hadank, porte le titre de
« Mundarten der Zâzà, hauptsâchliech aus Siwerek und Kor ». Il
nous transporte à l'extémité ouest du domaine des langues iraniennes.
Ce n'est pas dans le. royaume de l'Perse, mais dans la région turque
où naissent l'Euphrate et le Tigre que nous trouvons la langue dite
Zâza.. Le peuple qui pas-le cette langue lui-même Dimli,
nom qui rappelle son origine du district de, Dailem(Délim) au
Sud-ouest de la mer Caspienne 1.

En 1857, P. Lerch,  dans ses " Forschungen ûber die Kurden und die iranischen Nordchaldâer" (éditions russe et allemande), avait communiqué sept textes dans le patois zàzà du village de Kasan près de Palou, avec un vocabulaire. Plus tard, en 1903, A. von Le Coq a donné quelques textes dans le Zàzà le Kôsâ. Les savants qui s'occupaient du Zàzà, y voyaient longtemps un dialecte kurde. Oskar Mann, le premier, a fait remarquer que cette langue n'est pas kurde, et qu'elle appartient aux dialectes classés par W. Geiger dans le groupe central. D'ailleurs, mon compatriote, Age Meyer Benedictsen,

1.  Sur les habitants de ce district et leur rôle dans l'histoire, nous renvoyons à une étude récente de M.V. Minorsky: La domination des Dailamites, Publications de la Société des Études iraniennes et de l'Art persan, n°3, Paris 1932.

2. Kurdisc- persische Forschungen, abteilung I (1909), introduction, p. XXIII, note1.

déjà avant la publication de cette remarque de cette remarque de Mann, avait fait la même, observation 1.

Les collections zàzàs qui forment le volume en question des « Kurdisch-persische Forschungen », sont de beaucoup plus riches que celles de ses prédécesseurs, comprenant des textes, des phrases, des vocabulaires et des paradigmes de conjugaison dans les patois (le Siwerek, de Bjiaq, de Kor, de Cabakhêur et de Kghii et trois phrases dans celui de Gôydârà près de Palou. Les matériaux sont abondants surtout pour le Kor-Zàzà et le Siwerek- Zàzà.

     L'éditeur, M. Hadank, a fourni les parties suivantes du livre:

 1) une introduction détaillée traitant de l'histoire et de la géographie du peuple zàzà, de l'histoire des études relatives à leur langue, de la relation des patois zàzàs entre eux, de la position du Zàzà parmi les dialectes iraniens et de ses rapports avec quelques langues non iraniennes, enfin des notices sur le folklore des textes de Mann;       2) des esquisses de grammaire ; 3) des notes comparatives, sur le collections de Lerch et de Le Coq ; 4) des vocabulaires, etc.; 5) des appendices traitant de quelques questions de linguistique iranienne 6) une carte géographique du district habité par les Zàzàs.
    Si l'on accepte le système d'Andreas et de Mann quant à la
classification des dialectes iraniens, système qui ne satisfait pas M. Hadank, mais dans lequel il voit un essai préalable de mettre en ordre une diversité dont la variété embarrassante lui semble défier
tous les efforts de précision 2, le zàzà, comme la Guràni, se rattache
au groupe du nord-ouest ou groupe central (embrassant les groupes central et caspien de W. Geiger). La classification géographique pour 
qu'elle soit, me parait toujours utile, quelque fragmentaire que soit notre connaissance du développement historique des dialectes.
    Or, le Zàzà, dans sa position isolée, a eu son développement à part, ayant subi, en même temps, des influences nombreuses d langues environnantes, du kurde, de l'arménien et du turc. 

1. Voir " Les dialectes d'Awromàn et de Pàwâ ", par A. Meyer Benedictsen et Arthur Christensen, p.7.

2. Voir Kurd.-pers. Forschungen, Abteil.III, Band I, introd., p. LV.

 

    Ces influences se constatent surtout dans le vocabulaire, cela va sans dire mais la grammaire même a gardé quelques traces du contact avec le turc et l'arménien.
    Voici quelques traits remarquables de la langue zàzà.
    La différence de genre, qui ne se fait jour que sporadiquement dans quelques dialectes du nord-ouest, est très prononcée dans le Zàzà. Voir pour la Siwerek-zàzà p. 62 sqq. et p.7 1 sqq., pour Bijaq -zàzà p. 211, pour le Kor-Zàzà p. 229-30 et p. 235-36, et pour le Cabakheur- zàzà p.355.
    Formation d'un futur au moyen des particules dô et ô: p.85 (Siwerek-Z.) et p. 239 (Kor-Z.). 

        Le présent formé par l'infixe -ânn-, -ân- ou -n- : p. 86 sq (Siwerek-Z.), 1). 240 (Kor-Z., Kasan-Z., l~,ôsa-Z.), p. 359-61 (paradigm en êabakliêtir-Z.), p. 373 sqq. (paradigmes en Kighi-Z.).

L'infinitif est d'occurrence rare dans la plupart des dialectes du nord-ouest. Dans tous les textes zàzas de Mann, M. Hadank n'en a constaté que deux exemples : Siwerek-Z. vâtish, « dire, Kor-Z. wândish, "apprendre à lire". Isolément, Mann a noté une série d'infinitifs d'après la communication de ses informateurs. Les infinitifs du Kor-zàzà ont la terminaison -ïsh : washtish, "demander", shâyish,  "aller à". Cette terminaison se retrouve en Siwerek-Zàzà:  vàtish ( ou vàtash), "dire"; shiyâyish, "aller"; âmâyish "venir";  râmâyish, "fuir"; kurdish, "faire". Mais il existe aussi des infinitifs siwereck-z. avec la terminaison persane -tàn, dàn (-yàn après voyelle) wâshtàn, "demander", wandân, « lire » ; wardàn "manger", dayàn, "donner", et, avec voyelle longue et accentuation irrégulière, shiyên, "aller". Dans les formes nimitàne, "cacher"; biâyâni "devenir";  virâshtàni "préparer", nous reconnaissons les gérondifs persans à la terminaison -tâni, -dâni.Dans les formes en -ish, d'autre part, nous reconnaissons les substantifs verbaux caractérisés par le suffixe -is en persan ( stàyis, "louange"; kunis, "action", etc.), -isn en pehlvi,
qu'Andreas a interprétés comme des gérondifs originaux.

1. uzvàrisn, «das zu erklârendo», voir Polotsky dans le "Muséon", 1932, p. 283. Acta orientalla» XII..

P. 52, l'auteur aurait pu mentionner le cas fréquent du développement d'un y pour éviter l'hiatus. Nous constatons ce phénomène p. ex. là où l'article indéfini -ên suit un substantif, qui se termine en voyelle (kayâyên, dârâyen, p. 195, 1, 1, etc.).

P. 52 en bas : « n-Vorschlag », lire « v-(w-)Vorschlag. ».

P. 59, l'éditeur dit: " Râtselhaft sind mir r-Formen gewisser Feminina, die sonst ohne diese Erweiterung gebraucht werden". A part Jine , jiner " femme ", les cas indiqués s'expliquent historiquement. Il s'agît de noms de parenté. M. Hadank cite wâi et warâ, -, "soeur", et, d'après Le Coq, mâ'i et mâr, "mère". On pourrait y ajouter deux noms de parenté masculins : pi et pir (pêrd), "père" (siwerek-z., p. 163), et berâ et berâr, "frère", (siwerek-z., p. 151). Or, ces noms de parenté ont, en pehlvi, des formes doubles: pid e pidar, «père»; mâd et mâdar, "mère"; brâd et brâdar, "frère", Xvah et Xvahar, "soeur"; les formes sans -r étant à l'origine le cas sujet et les formes avec -r le cas oblique. Le Zâzà a conservé le formes doubles, et c'est par analogie, sans doute, qu'il a créé un forme jinêr- à côté de Jinê.

P. 197, 1. 16. Après « Der Lôwe erhob sich », ajouter "Der Lowe und der Knabe schlugen sich."

P. 231. Quant aux formes kor-zàzàs Yi et Ji, qui représentent la 3ème  personne du singulier du pronom personnel (datif yî-rî et Jî-rî), il est à remarquer que les deux formes sont employées sans différence dans le même texte (VII.1 et 7).

P. 289. Les formes kor-zàzàs hôrdi et wurdi, "petit, morceaux", qui montrent un développement différent du Xv initial, apparaissent dans le même texte (VII 1et 7).

P. 301. timân, etc., "pantalon"; le mot tumban" est assez commun dans le persan moderne.
Concernant les thèmes et les motifs du textes zàzàs, les folkloristes trouveront des renseignements détaillés dans le chapitre V de l'introduction de M.Hadank, qui promet d'ailleurs de donner d études spéciales sur quelques-uns des sujets en question. Pour conte kor-zàzà n° VII on pourrait ajouter un renvoi au tome V,


P. 255 sqq. de la Bibliographie de V. Chauvin (no 152, Djamasp.
Le conte du pèlerin 'Abdullàh et du mage Bahràm ( kor-zàzà, n° VI) est intéressant tant par la connaissance de coutumes ancien-zoroastriennes abolies depuis longtemps (le Xvèdvaydas, mariage entre proches parents) qu'il révèle, que par son esprit de' tolérence religieuse.

Dans le premier appendice, polémisant contre M. Minorsky, M. Hadank traite de certaines questions de vocalisation dans les langues iraniennes modernes. Quand aux voyelles 'e' et 'il' dans la prononciation des Téhéraniens, il renvoie aux remarques qu'il a donné, dans son compte rendu de mes « Contributions à la dialectologie iranienne » (OLZ, 1932, p. 599-600). Je profite de l'occasion pour lui signaler un malentendu qui s'est glissé dans ce compte rendu M. Hadank dit que, dans mes contes racontés dans la téhéranien vulgaire, on trouve 'e' pour l'u du persan littéraire, et il cite comme exemple békesâm (pour p. 296, 1.1 de mes "contributions". Dans ce passage, cependant, békesâm ne veut pas dire « que je (la) tue », mais « que je [la] pèse " (voir ibid., p. 279): c'est le subjonctif
de -  non pas de - ; comp. ,  expression qu'on trouvera p. ex. dans le journal " Irànsâhr ", IV, p. 684, 1. 9. 10.
Les " Recherches  kurdes et persanes" de Oskar Mann sont d'une haute importance pour notre connaissance des dialectes iraniens, il faut savoir gré à M. Hadank d'avoir consacré son temps et soins à achever l'oeuvre du savant défunt.

Arthur Christensen, Copenhagues, 1934
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