Mon
très cher père et ma très chère mère,
Je
vous apprends que les chartreux ne m'ont pas jugé propre pour leur état;
j'en suis sorti le second jour d'octobre. Je regarde cela comme un ordre
de la Providence qui m'appelle à un état plus parfait. Ils m'ont dit que
c'était la main de Dieu qui me retirait de chez eux.
Je m'achemine
vers la Trappe, ce lieu que je désire tant et depuis si longtemps.
Je vous demande pardon de
toutes les désobéissances et de toutes les peines que je vous ai
causées. Je vous prie l'un et l'autre de me donner votre bénédiction,
afin que le Seigneur m'accompagne. Je prierai le bon Dieu pour vous tous
les jours de ma vie. Surtout ne soyez pas inquiets à mon égard. Quand
j'aurais voulu rester dans ce couvent, on ne m'y aurait pas reçu ; c'est
pourquoi je me réjouis beaucoup de ce que le Tout-Puissant me conduit.
Ayez soin de l'instruction
de mes frères et sœurs, et surtout de mon filleul.
Maintenant la grâce de
Dieu, je ne vous coûterai plus jamais rien et ne vous ferai plus aucune
peine. Je me recommande à vos prières. Je me porte bien et je n'ai pas
donné d'argent au domestique. Je ne suis sorti qu'après avoir
fréquenté les sacrements. Servons toujours le bon Dieu et il ne nous
abandonnera pas.
Ayez soin de votre salut.
Lisez et pratiquez ce qu'enseigne le Père l'Aveugle; c'est un livre qui
enseigne le chemin du ciel et, sans faire ce qu'il dit, il n'y a pas de
salut à espérer. Méditez les peines effroyables de l'enfer, que l'on y
endure une éternité tout entière pour un seul péché mortel qu'on
commet si aisément. Efforcez-vous d'être du petit nombre des élus.
Je vous remercie de toutes
les bontés que vous avez eues pour moi et des services que vous m'avez
rendus. Le bon Dieu vous en récompensera.
Procurez à mes frères et
sœurs la même éducation que vous m'avez donnés; c'est le moyen de les
rendre heureux dans le ciel: sans instruction on ne peut se sauver. Je
vous assure que vous êtes déchargés de moi. Je vous ai beaucoup
coûté; mais soyez assurés que moyennant la grâce de Dieu, je
profiterai de tout ce que vous avez fait pour moi. Ne vous affligez point
de ce que je suis sorti de chez les chartreux; il ne vous est pas permis
de résister à la volonté de Dieu qui en a ainsi disposé pour mon plus grand
bien et pour mon salut.
Je vous prie de faire mes
compliments à mes frères et sœurs. Accordez-mois vos bénédiction; je
ne vous ferai plus aucune peine, Le bon Dieu que j'ai
reçu avant de sortir, m'assistera et me conduira dans l'entreprise qu'il
m'a inspiré. J'aurai toujours la crainte de Dieu devant les yeux et son
amour dans le cœur".
J'espère fort être reçu
à la Trappe. En tout cas, on m'assure que l'ordre de Sept=Fons n'est pas
si rude et qu'on y reçoit plus jeune; mais je serai reçu à la trappe.
À Montreuil, ce 2 octobre
1769.
Votre humble serviteur,
Benoît-Joseph
Labre
(Première lettre de Benoît
Labre à ses parents écrite à Montreuil, le 2 octobre 1769)
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