L' U L T I M E R A Z Z I A






4.

PÉTROLE ET « COUPOLES »









« Que le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10 % garantis, et on peut l'employer partout ; 20 % il s'échauffe ; 50 %, il est d'une témérité folle ; à 100 % il foule aux pieds toutes les lois humaines ; 300 %, et il n'est pas de crime qu'il n'ose commettre. »

Thomas Joseph Dunning, Trades' Union and Strikes : their Philosophy and Intention



« C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds. »

Isidore Ducasse, Poésies I









Il importe enfin de comprendre les attentats du 11 septembre pour ce qu'ils sont essentiellement : un fait économique, cyniquement calculé pour le plus grand profit d'intérêts privés. Ainsi, à l'automne 2001, le visage du monstre Ben Laden permet à une propagande déchaînée de camoufler impunément la cause réelle de l'offensive-éclair des États-Unis sur l'Afghanistan : l'édification, par un consortium anglo-américain dirigé par la compagnie Unocal, du pipe-line qui doit alimenter le sous-continent indien en pétrole issu du bassin de la mer Caspienne. Le régime taliban, installé en 1996 pour mettre fin aux incessantes luttes de factions qui ensanglantent le pays depuis le départ des troupes russes, n'y est pas parvenu, et il semble qu'il se soit fait de surcroît exigeant dans certaines négociations : c'est assez pour le sacrifier, d'autant que son principal soutien dans le consortium pétrolier, la compagnie saoudienne Delta Oil (liée au clan Ben Laden) s'est vue entre-temps écartée du projet. Bush junior « élu » et ayant formé son cabinet, la guerre est décidée à l'été 2001, après d'ultimes marchandages : il ne reste plus qu'à éliminer Massoud, vendu à la concurrence russe, et à organiser un indiscutable casus belli. Dans ce cadre, l'ampleur de la provocation du 11 septembre - qui peut paraître démesurée à première vue - doit permettre à la propagande « antiterroriste » de couvrir toute la durée de la campagne militaire en Afghanistan, des premiers bombardements de cibles civiles jusqu'à l'installation au pouvoir d'un salarié d'Unocal, Hamid Karzaï, interdisant ainsi que l'opinion publique mondiale ne perçoive qu'il s'agissait là d'une guerre pour le pétrole [1]. On a en effet pu constater ensuite qu'en entreprenant, au second semestre 2002, de justifier la prochaine offensive en Irak par une invraisemblable série de mensonges contradictoires, la propagande américaine préparait plutôt son propre effondrement, tant est écrasant le poids de la même évidence. L'Irak, comme on sait, a le malheur d'abriter les plus importantes réserves mondiales de pétrole bon marché, juste après l'Arabie Saoudite, et il est prévu que leur exploitation ravitaille le monde durant la décennie 2020 ; le contrôle des champs pétrolifères irakiens, c'est l'hégémonie économique mondiale garantie pour toute cette période. Au regard de cet enjeu, que peut valoir la vie de trois mille salariés du World Trade Center et de quelques milliers de GI'S, le bien-être des populations afghane et irakienne, ou l'opinion de milliers de manifestants ?... Personne n'ignore, au demeurant, que l'administration Bush Junior est de bout en bout le gouvernement du pétrole : de Dick Cheney (vice-président, Halliburton) à Richard Armitage (sous-secrétaire d'État, Unocal) en passant par Condoleeza Rice (conseillère pour la sécurité nationale, Chevron), Gale Norton (secrétaire à l'intérieur, British Petroleum), Donald Evans (secrétaire au commerce, Tom Brown Inc.) et Kathleen Cooper (sous-secrétaire au commerce, Exxon), sans oublier bien sûr au sommet le plus dégénéré d'entre eux, ses membres ont tous dans l'aventure des intérêts économiques personnels à faire fructifier : et la guerre, suivie de l'occupation militaire, financées par l'accumulation illimitée de la dette publique [2], est manifestement l'opération qui leur garantit le plus haut taux de rentabilité.

Les attentats du 11 septembre sont ainsi d'abord le résultat d'une concentration, entre les mains d'un très petit nombre d'individus, d'une gigantesque quantité de puissance, économique autant qu'étatique. Qu'on compte au premier rang de ce très petit nombre les seigneurs du pétrole ne peut étonner personne : puisque dès son origine, l'industrie du pétrole accumule capital et pouvoir à un rythme inconnu jusqu'alors [3]. En 1872, seulement deux ans après la fondation de la Standard Oil et treize ans après les premiers forages en Pennsylvanie, Rockefeller peut prendre la tête d'un syndicat clandestin de raffineurs, qui négocie un accord secret avec les compagnies du chemin de fer : celles-ci doublent leurs tarifs pour acheminer les barils des concurrents, qui sont d'autant plus vite ruinés que la Standard Oil elle-même perçoit 25 % de ce qu'ils dépensent en frais de transport ! Quand on apprend l'existence de cette association occulte, des violentes manifestations éclatent dans les rues de Titusville et de Cleveland ; mais rien ne saurait entraver la constitution en monopole de la Standard, dont l'avidité est sans limite : tous les producteurs indépendants sont liquidés un à un, victimes de sabotages et de conspirations - c'est-à-dire victimes des méthodes les plus modernes du capitalisme, appliquées dans ce secteur avec une étonnante précocité. C'est la Standard qui, la première, théorise le principe de l'intégration verticale, adopté depuis par toutes les multinationales, quand elle devient propriétaire des ses propres entrepôts et de ses propres navires. C'est elle qui fait distribuer gratuitement, en Chine, cinq cent mille lampes à pétrole dans le but de vendre ensuite le combustible nécessaire à leur emploi, comme aujourd'hui ces entreprises qui offrent du matériel informatique ou des armes qui ne fonctionnent qu'avec des accessoires vendus, eux, à des prix de racket. Ces méthodes se heurtent bien sûr à une rude opposition : The Atlantic Monthly publie à partir de 1881 des articles qui dénoncent le terrorisme de la Standard, et vingt ans de forfaits commis par cette compagnie seront compilés par Ida Tarbell dans une retentissante Histoire de la Standard Oil. Celle-ci réplique en organisant, dès 1885, ses propres services d'espionnage et de contre-espionnage, et se lance simultanément dans l'exploration et l'extraction (elle n'était jusque-là qu'une entreprise de raffinage et de distribution). Mais sa puissance augmente alors jusqu'à inquiéter les autorités de Washington, qui font voter en 1890 une loi antitrust qui permettra, en 1911, son démantèlement ; l'initiative paraît bien vaine cependant, puisqu'en 1914, l'une des filiales de l'ex-Standard Oil, la Standard Oil of New Jersey, future Exxon, est accusée dans un rapport parlementaire de former un « gouvernement invisible ».

La première guerre mondiale, qui voit triompher le camp des tanks et des avions sur le camp de l'artillerie lourde, est aussi une victoire du pétrole sur le charbon, qui prouve à tous les États l'immense importance stratégique de cette nouvelle source d'énergie ; on voit alors se multiplier les compagnies pétrolières en Europe : la Compagnie française des pétroles, la Petrofina belge, l'Agip italienne. En France, une loi de 1928 garantit le monopole de l'importation de la précieuse denrée à l'État, qui délivre ensuite des « autorisations spéciales » aux sociétés pétrolières. Deux ans plus tôt, le gouvernement américain avait permis aux compagnies pétrolières de déduire de leurs impôts plus d'un quart de leurs revenus, déclarant vouloir tenir compte de l'épuisement des ressources. C'est l'époque du fameux scandale du « Teapot Dome », quand la presse révèle que le secrétaire à l'intérieur, corrompu par deux compagnies pétrolières, leur a loué des champs pétrolifères, au Wyoming et en Californie, qui sont la propriété de l'État et qui étaient officiellement réservés à l'usage de l'US NAVY. Si ces tractations occultes font alors scandale, elles expriment surtout la formation d'une alliance stratégique durable, d'une solidarité fondamentale, entre les États modernes et l'industrie du pétrole, elle-même fer de lance de l'économie moderne.

L'entre-deux-guerres est ainsi la période où, avec la complicité de l'État, le pétrole pénètre peu à peu toute la société : avec l'industrie automobile, qui connaît un développement fulgurant et commence déjà à bouleverser l'environnement, il devient progressivement la marchandise de base du système, celle qui permet de produire et de consommer toutes les autres ; autrement dit, le fluide social vital. Dès lors, qui contrôle le pétrole contrôle tout le reste ; d'où la nécessité d'abolir toute concurrence dans le secteur : car un tel pouvoir ne se partage pas. Ainsi, en août 1928, les trois plus puissantes compagnies pétrolières du monde, la Standard Oil of New Jersey, Shell et la British Petroleum, qui sont déjà de gigantesques trusts modernes [4], se rencontrent à Achnacarry, en Écosse, pour conclure un accord secret (il faudra vingt-cinq ans pour que ses clause soient divulguées) qui vise entre autres à organiser délibérément la pénurie, en mettant en place des quotas de production, dans le but de maintenir élevés les cours du pétrole sur le marché mondial. Quelques années plus tard, les mêmes s'accordent à nouveau pour restreindre la concurrence, notamment pour empêcher l'émergence de nouvelles compagnies. Ce monopole mondial, qui succède au monopole de la Standard Oil aux États-Unis, est à l'économie ce que l'État totalitaire, qui naît en même temps, est à la politique : les deux côtés concrets du principe de la domination monopolistique d'une seule classe sociale sur l'ensemble de la société. À cela s'ajoute la complicité qui unit tous les secteurs industriels qui trouvent leur intérêt à reconstruire le monde sur la base générale de l'exploitation des hydrocarbures : ainsi, à la fin des années 1930, la Standard of Oil of California, General Motors et Firestone s'entendent en secret pour racheter le réseau de tramways de Los Angeles, dans le seul but de liquider et de convertir par-là la Californie à l'automobile. Dans un cadre si étroitement limité, on peut tout au plus lutter pour le partage du monopole, c'est-à-dire du butin : ainsi la guerre entre la Bolivie et le Paraguay, qui dure de 1932 à 1935, est l'expression de la concurrence entre Shell et la Standard Oil of New Jersey, qui espèrent toutes deux faire main basse sur la région pétrolifère du Gran Chaco en soutenant et en finançant chacune un des deux belligérants.

La fin de la deuxième guerre mondiale laisse le Moyen-Orient dans les griffes des compagnies pétrolières anglo-saxonnes. En l'absence d'État, c'est l'Arabian American Company qui, ayant pris ses quartiers à Dhahran, se charge d'édifier dans le désert saoudien des routes et des villes, et d'y organiser une police et une bureaucratie ; pendant que Shell fait de même au Brunei. C'est l'occasion de pactes avec quelques chefs de clan, à qui ces compagnies garantissent rente et protection en échange d'une totale soumission déguisée sous le masque d'une pseudo-indépendance « couleur locale ». On reverra le même processus, avec Elf, au Gabon ou au Congo : les intérêts du pétrole et de l'État moderne sont en effet si inextricablement solidaires que le pétrole invente l'État là où celui-ci n'existait pas encore. Et l'on peut voir, dans l'Iran de 1953, comment l'État défend réciproquement les intérêts du pétrole : le premier ministre Mossadegh ayant nationalisé le pétrole iranien, exploité jusque-là par la British Petroleum, une opération secrète de déstabilisation du régime est orchestrée en représailles par la CIA (« opération Ajax ») ; Mossadegh est destitué et emprisonné, et le shah rétabli dans son pouvoir [5]. Parallèlement, c'est aussi dans les années 1950 que le pétrole, employé à l'origine comme combustible pour l'éclairage, puis - l'électricité l'ayant supplanté sur ce marché - pour le moteur à explosion, voit son horizon s'élargir toujours davantage : de l'industrie automobile aux engrais nécessaires à l'industrie agroalimentaire en passant par le développement des plastiques et des textiles synthétiques [6]. Cette progression tous azimuts, en permettant à l'industrie du pétrole d'avoir mainmise sur une partie croissante de la vie sociale, vient en même temps révéler quelle est sa vérité profonde - qui est aussi devenue celle de tout le système capitaliste : il lui faut désormais polluer pour ne pas cesser d'être rentable. Ainsi le naufrage du Torrey Canyon, en 1967, première marée noire de l'histoire, inaugure une longue série qui, en passant par l'Amoco Cadiz en 1978 et l'Exxon Valdez en 1989, se poursuit depuis novembre 2002 avec la marée noire permanente du Prestige. L'augmentation en flèche de la pollution atmosphérique, liée entre autres à la circulation automobile, a eu pour conséquence directe une soudaine flambée de maladies comme l'asthme ou le cancer, et en est venue dans le même temps à ronger jusqu'à la « couche d'ozone », constitutive de l'atmosphère terrestre. De cette manière, le bouleversement climatique, premier effet de l'exploitation du pétrole sur une longue période à l'échelle globale, devrait d'ici quatre ou cinq décennies, selon les prévisions les plus sérieuses, avoir anéanti un quart des espèces végétales et animales et provoqué l'engloutissement d'une part non négligeable des terres émergées... Mais le profit se moque de ces considérations, comme l'administration américaine se moque aujourd'hui des « protocoles » pourtant misérables issus des conférences internationales sur l'environnement de Kyoto ou de Rio.

Nietzsche écrit quelque part que deux ou trois anecdotes suffisent à résumer tout un personnage : on pourrait résumer par ce moyen toute une industrie, et même, puisqu'il s'agit ici du pétrole, le système capitaliste tout entier : ainsi le fameux « colonel Drake », qui le premier a découvert du pétrole à Titusville, en 1859, était un mythomane qui n'avait jamais été colonel ; Zijlker, fondateur de la Royal Dutch, écrivait depuis les marécages de Sumatra : « Ce qui ne veut pas plier devra rompre. Durant toute mon exploration, ma devise a été : quiconque n'est pas avec moi est contre moi ». Et l'un de ses successeurs, Henri Deterding, rêvait quant à lui, dans ses Mémoires parus en 1934 (où il écrit Pétrole avec un grand P), d'être « dictateur du monde ». Comme l'or avant lui, le pétrole ne se trouve pas partout, mais seulement en certains endroits dont il faut s'emparer coûte que coûte : les seigneurs du pétrole sont ainsi l'aboutissement ultime de la figure de l'avant-garde capitaliste internationale, qui avait d'abord été incarnée par les condottieri, ces seigneurs mercenaires de la Renaissance qui ont fini par guerroyer pour leur propre compte, puis par les conquistadors qui, les premiers, ont pratiqué le génocide pour assouvir leur soif de richesses, enfin par les négriers de la Compagnie des Indes qui édifiaient l'empire colonial britannique. Cupidité, perfidie, cruauté, bassesse et démence sont leurs traits communs. Rien n'est donc plus logique que l'aventure du 11 septembre ait été menée par ces hommes : ils étaient historiquement désignés pour cela.

Le massacre du 11 septembre est ainsi le manifeste d'une nouvelle génération de la classe capitaliste, à qui absolument tout est désormais permis, et qui de cette manière a fait savoir au monde qu'elle entend moins que jamais remettre en cause l'étendue de sa puissance. Quoique déjà ancien, le processus qui a permis la constitution de cette relève dans la domination s'est subitement précipité en 1989 avec la liquidation de l'empire bureaucratique, inaugurant une sanglante redistribution des cartes dans les cercles étroits du pouvoir, en Algérie, en Italie, en Russie, et jusqu'en Chine, où l'on a récemment forgé le terme de compitalists pour désigner ceux qui détiennent des intérêts dans les affaires économiques en même temps que des leviers de pouvoir dans l'État. C'est pourtant aux États-Unis, parce que les conditions socio-économiques y sont plus avancées qu'ailleurs, que cette classe dominante s'est constituée pour la première fois : dans les années 1970 en effet, le pétrole étant parvenu à un point où il envahit toute la surface de la société moderne, le raisonnement prévaut, dans les sphères restreintes de l'industrie du pétrole, selon lequel il faut faire usage de cette puissance. C'est ainsi qu'en 1973, année de cette ridicule tentative de putsch ratée par les pays de l'OPEP, David Rockefeller fonde avec Zbigniew Brzezinski la « Commission trilatérale », que l'on peut définir comme l'association secrète - ou plutôt à but secret - d'un petit nombre d'individus amenés, par le pouvoir et/ou les intérêts qu'ils détiennent dans l'État et/ou dans l'économie, à s'organiser internationalement à partir d'un double constat profondément lucide : celui de l'impossibilité de gouverner plus longtemps par les moyens démocratiquement autorisés, et celui de l'incompatibilité entre le respect de la légalité et la poursuite de l'accroissement des profits. La constitution de la Trilatérale (dont George Bush père fut l'un des membres les plus éminents) correspond ainsi au moment historique où le pétrole, qui a littéralement dévoré l'économie mondiale, aspire à voir son pouvoir inscrit dans les structures : elle exprime ce fait que le pétrole a désormais un programme politique. La réalisation de celui que la trilatérale expose de façon à peine voilée dans les années 1970 - anéantissement de l'empire bureaucratique stalinien, suppression de la liberté de la presse, ultralibéralisme sauvage - apparaît aujourd'hui comme un indispensable préliminaire au programme qui présidera, un quart de siècle plus tard, à l'exécution des attentats du 11 septembre, derrière lequel il semble qu'on doive reconnaître au moins le désormais célèbre « Groupe Carlyle », fondé en 1987 et devenu depuis, grâce aux efforts d'un ancien dirigeant de la CIA et ministre de l'administration Reagan, Frank Carlucci, le numéro un mondial de l'investissement de capitaux privés, notamment en spéculant sur le marché mondial des armements. George Bush père, encore lui, est devenu conseiller à Carlyle après avoir quitté la Maison-Blanche, officiellement jusqu'en octobre 2003 ; son rejeton George W. a lui aussi été salarié par le groupe - de 1990 jusqu'à son élection au poste de gouverneur du Texas en 1994 -, de même que Colin Powell et nombre d'autres anciens ministres américains, les ex-premiers ministres britannique et sud-coréen John Major et Park Tae Joon, l'ex-président des Philippines Fidel Ramos, l'ex-président de la Bundesbank Karl Otto Pöhl, etc. Et parmi les happy few qui peuvent confier à ce groupement une part de leur fortune, on compte entre autres, ce qui n'étonnera décidément personne, des membres du clan Ben Laden.

Après soixante-dix ans d'insurrections depuis la Révolution française en Europe et ailleurs, la société capitaliste se proclamait officiellement démocratique. Mais elle ne pouvait évidemment pas l'être réellement - puisqu'elle se fonde sur l'esclavage salarié : elle pouvait seulement le simuler. Le pouvoir réel devait quant à lui rester entre les mains de la classe possédante, la bourgeoisie. Mais celle-ci, à l'inverse des féodaux de l'Occident médiéval ou des mandarins chinois, doit nier son pouvoir effectif, parce qu'il est grandement renforcé par la façade d'une représentation populaire. C'est pourquoi cette classe n'a jamais pu s'organiser que dans les coulisses, d'abord dans des sociétés secrètes telles que certaines loges maçonniques ou sectes d'Illuminés, puis, une fois parvenue au pouvoir, dans le cadre de ces « gouvernements parallèles » qui naissent dans la deuxième moitié du XIXe siècle. (C'est sans doute parce qu'ils connaissaient de près les mécanismes du droit bourgeois que l'avocat français Maurice Joly et le juriste américain Lysander Spooner pouvaient comprendre si tôt la nature de ces nouvelles conditions socio-politiques, le premier en faisant dire au Machiavel du Dialogue aux enfers à quel impératif se trouvent désormais soumis les dirigeants de l'État : « A l'intérieur, je suis obligé de rétablir le cabinet noir » ; le second en définissant, dans No Treason, tout gouvernement comme « une association secrète de voleurs et d'assassins »). C'est aussi précisément à la même époque que se constitue en Sicile cette autre « association secrète de voleurs et d'assassins » qu'est la Mafia, dont le sommet hiérarchique, la fameuse « Coupole », organise le partage des intérêts entre gangs concurrents exactement de la même manière que les principales compagnies pétrolières se partageront le marché mondial, par exemple à Achnacarry en 1928. On ne peut manquer ici de souligner tout ce que la Mafia a en commun avec l'industrie du pétrole : leur date de naissance, aux alentours de 1860 ; leur tendance naturelle à l'extorsion et à la constitution de réseaux occultes jusqu'aux sommets de l'État ; la nécessité où elles se trouvent de maintenir le plus absolu secret sur leurs véritables activités ; et la pratique terroriste de la violence et de l'assassinat [7].

Ainsi ces organismes, tels que la Commission trilatérale ou aujourd'hui le Groupe Carlyle, que nous appelons « Coupoles » en raison de leur structure directement héritée de la Mafia, se présentent d'emblée comme la jonction enfin achevée entre l'État et l'économie modernes ; et c'est en tant que tels qu'ils sont venus fournir au monde, dans les années où s'est dissout l'empire stalinien, le modèle du seul gouvernement possible, où - à tout seigneur tout honneur - le pétrole tient le premier rôle [8]. Les causes historiques de cette jonction sont aisées à percevoir : d'une part, le développement de l'économie étant devenu, à son stade actuel, démesurément illégal et criminel, il ne peut plus se perpétuer qu'à l'ombre de l'État ; d'autre part, l'État ne peut lui-même se perpétuer (c'est-à-dire continuer à financer ses seules activités de surveillance et de répression des populations) qu'en devenant rentable, par le moyen des trafics auxquels il sert de couverture et de protection : drogues, armes, virus, gènes, animaux protégés, organes humains, et bien sûr hommes, femmes et enfants... On est donc fondé, au degré de globalisation qui est désormais le leur, à considérer ces « coupoles » comme les assemblées démocratiques de la classe dominante, au sein desquelles tout peut être librement débattu entre des individus disposant tous d'une importante quantité d'informations confidentielles. Elles méritent de ce point de vue d'être considérées comme l'autre face de la politique, la politique véritable. On ne saurait être plus myope qu'en voyant en elles un horrible défaut de la merveilleuse démocratie, situé à la périphérie de la vie sociale : puisqu'elles sont au contraire le centre occulte du système, où se décide tout ce qui importe vraiment. Et de fait, l'abstention massive à toutes les élections est le plus remarquable symptôme de ce qu'un nombre croissant d'individus ne peut plus croire au mythe « démocratique » ; et le personnel politique « démocratiquement élu » admet lui-même publiquement, en de rares repentirs sincères, que la plupart des décisions qui affectent réellement la vie de l'immense majorité de la population ont été prises par d'autres. Il faut donc que ce pouvoir se soit retranché ailleurs ; et cet « ailleurs » ne saurait être le sommet de ces institutions internationales comme l'OMC, le FMI, la Banque mondiale ou l'Union européenne, puisque leur rôle, dès l'origine, n'est que de transmettre bureaucratiquement des ordres reçus. C'est précisément ce que veulent ignorer d'innombrables contestataires, qui se rassurent en voulant croire à la seule domination d'une machine. Que celle-ci soit considérée généralement protectrice et bienveillante ou bien, comme dans tant de scénarios de science-fiction, devenue soudain autonome et malveillante, cela est de peu d'importance : tant que les diverses agences de l'organisation du silence, qui ne peuvent plus nier tout bonnement les catastrophes qui résultent de cette organisation sociale, restent capables de dissimuler, sous la froideur mécanique des institutions du système, l'existence d'une caste de privilégiés, de décideurs, de programmeurs. C'est ainsi qu'est semée la confusion dans les milieux « contestataires », qui se retrouvent complices du secret dont cette caste a besoin pour se maintenir. La « classe dominante » n'est pas une abstraction.

C'est là la première menace à laquelle doit faire face le pouvoir des « Coupoles » : en s'étendant tout en se densifiant sans interruption, il devient visible, et toute publicité incontrôlée peut désormais le mettre en grand péril ; le « cabinet noir » des généraux d'Alger en a fait l'amère expérience, avant d'être sauvé in extremis par la mobilisation générale de ses complices du monde entier, rendue possible par le 11 septembre. La Trilatérale pouvait donc préconiser à mots couverts, dès 1975, l'application de cette option tactique : saborder en grande partie le concept de « démocratie » avant qu'il ne soit totalement démenti par les faits, pour le remplacer par un autre, qui permette de maintenir plus fermement l'ordre public. De toute évidence, l'« antiterrorisme » mondialisé est ce nouveau concept - dont l'efficacité réside en cela qu'il permet de supprimer la « démocratie » en affichant de la défendre. Les attentats du 11 septembre, qui ont servi de prétexte à l'administration Bush junior pour supprimer les dernières apparences de libertés publiques aux États-Unis, ne peuvent donc pas être la miraculeuse opportunité saisie au vol par l'État américain pour improviser des lois d'exception ; car ce serait occulter ce fait que peu avant l'actuelle « guerre contre le terrorisme », la pseudo-démocratie avait déjà commencé d'être abolie : avec les élections truquées de 2000 aux États-Unis comme avec la fin, en 1999, de la très courte parenthèse « démocratique » en Russie, où Poutine a programmé son maintien aux affaires jusqu'en 2018. Et l'on a pu voir ensuite un président français promis aux poursuites judiciaires assurer sa réelection avec un score à faire pâlir de jalousie tous les dictateurs africains, tandis que partout, la domination sabordait allègrement la notion d' « État de droit ».

Mais le triomphe politique même des « Coupoles » a aussi enfermé la classe dominante dans une logique autistique, la séparant radicalement de toute la réalité sociale ; et ce processus lui a fait perdre inexorablement toute capacité stratégique. Le 11 septembre en est bien sûr la plus éclatante illustration : en montrant au monde l'étendue de leur puissance, les seigneurs du pétrole ont en même temps montré l'étendue de leur bêtise. Non contents de multiplier les incohérences et les absurdités dans un scénario déjà incroyablement simpliste, qu'on croirait destiné uniquement aux plus épais rednecks de la brousse texane, ils n'ont pas non plus su tirer efficacement profit de leur provocation : il suffit par exemple de penser aux fabuleux bénéfices politiques qu'ils auraient engrangés si une vidéo de revendication de « l'Ennemi du Peuple » avait été diffusée sur tous les écrans de la planète le jour même des attentats. Au contraire, ils n'ont cessé de sombrer toujours plus profondément dans le ridicule, en tentant par exemple de justifier l'offensive en Irak, d'abord en affirmant que Saddam serait complice d'Al Qaeda, puis en inventant la fable des « armes de destruction massive » (à propos desquelles le gouvernement britannique a dû finalement jurer avoir été berner par ses propres services secrets...), enfin en prétendant piteusement « libérer » le peuple irakien. On peut donc en conclure, et cette règle devrait se vérifier bientôt dans le monde entier, qu'en propageant le mensonge, l'ignorance et l'amnésie la classe dominante est devenue globalement plus stupide encore que ses esclaves. De la même manière, elle refuse de comprendre quel danger représente pour sa propre survie le désastre écologique généralisé, qui menace désormais, comme chacun sait, l'existence même de l'espèce humaine : elle mérite donc aujourd'hui d'être définie, dans son ensemble, comme la classe de l'inconscience. C'est pourquoi rien n'empêchera que cette classe sociale occulte devienne à court terme, en dépit de tous ses efforts - en fait, en raison même de tous ses efforts en sens contraire -, la classe dominante la plus transparente de l'histoire ; en un mot : la dernière.

Bien sûr, les « Coupoles modernes » ne luttent pas spécialement pour le maintien de l'ordre établi mais aussi, et avant tout, pour soutenir et faire fructifier les intérêts économiques que détiennent leurs membres. C'est en cela qu'elles se distinguent notamment de la « Loge P2 » italienne, où militaires, industriels, chefs de police et des services secrets, politiciens, patrons de presse, etc., s'étaient regroupés d'abord pour sauver le régime d'une subversion généralisée, et pouvaient donc compter sur le soutien indéfectible de puissants alliés. Les « Coupoles » modernes, quant à elles, luttent aussi les unes contre les autres : conséquence inévitable de leurs rivalités en matière économique. Il est ainsi légitime de penser que ceux qui ont voulu le 11 septembre sont aussi ceux qui ont voulu qu'une brochette d'ingénieurs français en armement soit liquidée à Karachi, ou qu'une vedette piégée explose contre le pétrolier français Limbourg : les Français sont en effet leurs principaux concurrents sur le marché des très réelles « armes de destruction massive », et Total, qui négociait depuis plusieurs années avec la dictature de Saddam l'exploitation des gisements de Nar Umr et des îles Madjnoun, doit avoir du mal à renoncer à sa part de butin. Cela dit, malgré ces rivalités qui les opposent, chacun comprend aisément que toutes ces « Coupoles » ont des connexions entre elles, que leurs membres habitent dans les mêmes gated cities, qu'ils fréquentent les mêmes plages privées et les mêmes cliniques de chirurgie esthétique, qu'ils se donnent rendez-vous dans les salons des mêmes palaces, et qu'ils s'entendent dans leurs orgies confidentielles sur la seule et inviolable loi qui les unit tous : la permanence du profit et de l'exploitation.

Le programme économique des « Coupoles » se révèle ainsi tout aussi précaire que leur projet politique, quoique d'une tout autre manière. En effet, toute l'activité de l'économie a pris depuis quelques années l'effet d'un sauve-qui-peut généralisé, que caractérise entre autres la hausse tendancielle du taux de spéculation. Ainsi l'assassinat de Massoud, le 9 septembre 2001, que tout le monde regarde comme le message codé qui annonçait les attentats du surlendemain, devait également servir de signal aux initiés, pour les avertir qu'il ne leur restait plus qu'une journée pour spéculer, au plus haut taux possible, sur les marchés financiers. Ils pouvaient donc alors souscrire, dans les heures précédant les attaques terroristes, des milliers d'option de vente sur les actions de quelques compagnies d'aviation et d'assurances, et engranger ainsi un maximum de profits le 17 septembre, jour de la réouverture de Wall Street et de l'effondrement du cours de ces actions. Cette si vaste opération n'a pu être cachée sur le moment, mais elle a été aussitôt oubliée, exactement comme l'enquête officielle chargée de la question, au point que même le montant de ses bénéfices n'a jamais été divulgué. Que de délit d'initiés ait été calculé dès l'origine par les conspirateurs, ou seulement plus tard, cela n'a aucune importance, puisque de toute façon, il n'a pu qu'encourager la réalisation des attentats [9]. Il faut donc regarder la généralisation du « délit d'initiés » comme inhérente au système des « Coupoles » ; ainsi lors des investigations sur la faillite frauduleuse d'Enron, on pouvait apprendre quel profit en avait retiré un consortium d'initiés, lié au parti républicain et à la famille Bush en particulier. On peut même constater ici et là des tentatives de systématiser les conditions dans lesquelles une élite restreinte de spéculateurs, proche des sphères conspiratives de la domination, pourra commettre en toute impunité des délits d'initiés : en 2003, le ministère américain de la défense annonçait la constitution d'un marché financier, le « Policy Analysis Market », qui devait permettre de spéculer sur divers évènements de la politique mondiale tels que, par exemple, le tir d'un missile par la Corée du Nord, l'assassinat de Yasser Arafat, ou la chute de la monarchie jordanienne.

Mais cette économie du naufrage, où le capital lutte avec l'énergie du désespoir pour continuer d'être accumulé en un nombre toujours plus restreint de mains [10], n'est en réalité que l'aboutissement du naufrage de l'économie. Les « guerres pour le pétrole » des dernières années en sont le symptôme le plus éclatant : en effet, les compagnies pétrolières sont les premières à savoir à quel point les gisements qu'elles peuvent exploiter à moindre coût ne sont pas éternels. Depuis les « chocs pétroliers » de 1973 et de 1979, une armée d'experts calcule donc en permanence la date prévisionnelle du pic de la fameuse « courbe de Hubbert » : car une fois ce pic atteint, cela signifiera que la moitié des réserves mondiales de pétrole aura été extraite, ne laissant dans les roches et le sous-sol que la moitié la plus difficile à extraire, donc la moins rentable, et qu'au-delà, rien ne pourra plus empêcher une permanente inflation du prix du baril. Les plus optimistes de ces experts situent ce pic vers 2035, les pessimistes avant 2010, et une étude a même récemment prétendu qu'il a été atteint en 2000 ; quoi qu'il en soit, les compagnies pétrolières elles-mêmes ont pu annoncer à plusieurs reprises qu'elles envisagent d'ores et déjà « la fin de l'ère des hydrocarbures ». L'offensive mondiale des compagnies pétrolières anglo-américaines pour le contrôle des derniers grands champs pétrolifères ne pouvait dès lors plus être retardée davantage : sous cet éclairage, les attentats du 11 septembre, prétexte choisi pour déclencher par surprise cette offensive, resteront dans l'histoire comme le signal de l'ultime razzia de l'économie capitaliste.

Les défenseurs de la société existante ne peuvent évidemment admettre une telle condamnation ; et ils prévoient déjà d'être à la tête d'une vaste entreprise d'adaptation du capitalisme à l'inéluctable pénurie de pétrole - menace dont ils sont plus conscients que quiconque -, peut-être sous la bannière de « l'écologie politique ». Le futurologue de gauche Jeremy Rifkin, par exemple, pouvait préconiser, à l'automne 2002, dans l'Économie hydrogène [11], la reconstruction de l'économie sur la base de l'énergie hydrogène, qui possède sur les énergies fossiles l'avantage d'être sans doute inépuisable, et bientôt meilleur marché. Puisque Rifkin est de gauche, il entend bien faire profiter « le peuple » des bienfaits de cette « prochaine grande révolution technologique, commerciale et sociale de l'histoire » ; et de prédire une décentralisation des sources de l'énergie hydrogène par la mise sur le marché de centrales individuelles coordonnables en un réseau qu'il nomme « Hydronet ». Même le fait, que Rifkin évoque pourtant dans son ouvrage, que les compagnies pétrolières sont déjà propriétaires de tous les brevets autorisant, entre autres, le développement de l'énergie hydrogène ne saurait modérer son enthousiasme : tant est ardente sa foi en la démocratie d'aujourd'hui (on ne peut ici dresser une liste de toutes ses niaiseries, chacune plus puérile que les précédentes). Quand il écrit, à juste titre, que « toutes les institutions économiques et sociales qui caractérisent un régime énergétique fondé sur les combustibles fossiles sont menacées », et qu'il propose de les sauver par l'énergie hydrogène, il se refuse à comprendre que ces « institutions économiques et sociales » sont devenues, elles aussi, fossiles - et ce n'est pas là qu'un jeu de mots : elles ont perdu toute capacité à se réformer sans s'effondrer, sur le modèle exact de la décomposition de l'empire international de la bureaucratie totalitaire : d'abord graduellement et puis brusquement. La seule perspective réaliste pour un développement d'Hydronet est de s'inscrire désormais dans le programme de la révolution totale qui doit mettre enfin face à face, sans intermédiaire, l'humanité et les problèmes qu'elle s'est créés.









[1]. On pouvait lire par exemple, dans un numéro d'une publication « anarchiste » française à prétentions théoriques intitulée Ni patrie ni frontières, un texte d'un certain Guy Fargette s'employant à démontrer que puisque cette guerre a pour principal objectif de « détruire la base arrière de l'islam politique », s'y opposer équivaut à capituler face au terrorisme, et même à prendre le risque de devenir « la Cinquième Colonne d'Al Qaeda » ! Les milieux contestataires n'ont décidément pas été épargnés par cette campagne générale de désinformation qu'on pourrait résumer par la formule : « Quand j'entends le mot "pétrole", je sors mon Huntington ! »

[2]. « Prenez, prenez, tout cela ne me coûte rien, c'est l'argent de l'Etat. » (D.A.F. de Sade, Histoire de Juliette ou les prospérités du vice).

[3]. Sur l'histoire du pétrole, à propos de laquelle on ne devrait pas craindre de parler d'omertà, tant les rares livres intéressants sur le sujet sont tous, sans exception, épuisés, on peut lire - en gardant toutefois à l'esprit que leurs auteurs sont très loin d'être opposés aux méthodes des industriels du pétrole - Les Sept Sœurs, du journaliste britannique Anthony Sampson (Paris, 1976) et Les Hommes du pétrole, de Daniel Yergin (Paris, 1991).

[4]. Dans son rapport annuel de 1973, Exxon déclarera avoir été « une société multinationale cinquante ans au moins avant que ce terme soit entré dans le langage courant ».

[5]. En 2002, les États-Unis montaient une opération semblable au Venezuela, instrumentalisant un mouvement social pour tenter de chasser le président populiste Chavez, qui cherchait à reprendre le contrôle de la puissante Petroleos de Venezuela. Si le coup d'État s'est soldé par un échec, l'affreux Chavez n'en a pas moins dû changer de politique pétrolière.

[6]. Vers 1940 déjà, la firme américaine Dupont de Nemours, inventeur du Nylon, parvenait au prix d'un intense lobbying puritain « antidrogue » à faire interdire l'usage de la fibre naturelle de chanvre, imposant ainsi son produit dérivé du pétrole à l'industrie textile.

[7]. La liste des victimes du pétrole est en effet sans fin : on se contentera ici d'évoquer les dizaines de mexicains abattus dans les années 1920 pour avoir refusé de brader leurs terres à des compagnies pétrolières, George Bell, traqué et exécuté en 1933 pour avoir révélé devant un tribunal les liens unissant la Royal Dutch Shell au parti nazi, ou encore Ken Saro-Wiwa et ses huit camarades, pendus en novembre 1995 au Nigeria pour s'être opposés au massacre de l'écosystème planifié par Shell sur le territoire ogoni.

[8]. En France par exemple, le nouveau patron des Renseignements généraux découvrait en 1981 que des agents secrets des compagnies pétrolières avaient infiltré ses services : on peut consulter à ce propos le volumineux rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le pétrole publié en octobre 1999 et comiquement intitulé Pétrole et Éthique : une conciliation possible ?, où un journaliste cité comme témoin résume ainsi son sentiment pour l'actualité : « Elf a un service de renseignement intérieur, qui dispose de notes émanant des Renseignements généraux ; elle est elle-même source de renseignement. »

[9]. L'exemple d'American Airlines, dont le cours de l'action a subi la plus forte chute à la réouverture de Wall Street, et qui a donc été la première source de profits du délit d'initiés, est remarquable : la spéculation ne portait pas sur la baisse de la valeur matérielle de l'entreprise (seuls deux avions ont été perdus), ni sur la baisse de la fréquentation (personne ne peut croire sérieusement que la clientèle puisse se détourner de cette compagnie par pure superstition). La chute du cours de cette action n'est rien d'autre que le résultat normal de l'hystérie du marché, dont la logique se résume ainsi : des avions d'American Airlines sont détournés, l'un est jeté contre le World Trade Center ; donc le marché se débarrassera de ces actions, dont la valeur va chuter. Le fait que ce raisonnement a été intégré aux calculs des commanditaires des attentats du 11 septembre suffit à prouver qu'il y a parmi eux des financiers, qui ignorent moins que personne les réactions irrationnelles du système boursier.

[10]. Aujourd'hui, les trois cents individus les plus riches de la planète possèdent ensemble davantage de capital que la moitié la plus pauvre de l'humanité, environ trois milliards d'individus.

[11]. Ce livre est passé étrangement inaperçu, en dépit de la notoriété de son auteur (on se souvient qu'il avait annoncé, il y a quelques années, La Fin du travail, prédiction que tout le monde a pu voir se réaliser depuis sous la forme d'un renforcement impitoyable de l'esclavage salarié).










Chapitre 5
Avant-propos

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